Callac-de-Bretagne

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CALLAC SUR NOSTALGIE

 

Voici ce vieux pays dont l'âme s’effiloche.
Un par un se sont tus les antiques témoins
De jours pleins de rumeurs et de senteurs de foins,
Quand tournaient les moulins, quand sautait la galoche

Sur le sable crissant du jeu de la marelle.
L'essieu de la charrette hurlait avec les veaux
Et l'écho des battoirs vibrait à Pont ar Vaux
Où cascadait encor l'eau sous la passerelle.

 
La pioche du carrier ne pourfend plus les schistes
Et nul n'entend le fouet claquant sur les labours
Ni le martèlement des fléaux dans les cours

    Ventées où caquetaient des poules anarchistes.

Les moteurs sont rouillés des anciennes batteuses
Qui ronronnaient la nuit à la lueur des feux ­
Et de fanaux fumants qui rougissaient les yeux
Sous les fronts où perlaient des moiteurs poussiéreuses.

 

Le tour du sabotier a cessé sa rengaine
De même que les scies et les poussifs ahans
Des bûcherons massifs qui tranchaient les sarments
Au fil de la cognée sans perdre leur bedaine.

Les marchands ambulants ne clament plus leur offre:
Rétameurs, rémouleurs, chiffonniers pleins d'humour
Le garde-champêtre ne joue plus du tambour
En clamant ses «Aviss » d'une voix d'outre-coffre.

 


Mais l'on entend encor si l'on prête l'oreille
Et se montre discret, attentif, entêté,
Le coucou au printemps et le grillon l'été.
L'adagio du pivert, le scherzo de l'abeille.

 

Les accents rocailleux de la langue bretonne
Retentissent gaiement dans les marchés couverts
Où parfois le cadran affichant les enchères
Provoque le dépit d'un paysan qui tonne.

 

Une fois l'an les bourgs entament le cantique
De leur vieux saint patron qu'ils mènent alentour
Avant de l'enfermer dessous la haute tour
Pour qu'il n'entende point la musique exotique.

 

Le soir par tradition les habitants s' assemblent
Pour danser la gavotte, fredonner les refrains
Tour à tour vifs et lents des chants armoricains.
De fatigue et de joie les plus acharnés tremblent.

 

Quant au petit matin, baillant, à bout de souffle,
Ils vont parachever cette nuit sans sommeil
Sur un point culminant d'où l'on voit le soleil
A chaque aube arracher la nue qui l'emmitoufle.

 

Sur ce sol imprégné d'insolites légendes
Et d'un humble passé se dressent des menhirs
Et plusieurs tumulus clos sur leurs souvenirs,
Des chapelles surtout avec leur tronc d’offrandes,

 

Leur calvaire brisé par d'infâmes vandales,
Quelques statues scellées à mi-hauteur des murs
Afin de rebuter les malfaiteurs impurs.
Combien ont disparu, par d'inconnus dédales.

Qui flattent aujourd'hui' .1a passion sans vergogne
D'un vil collectionneur ? Ils sont trop bons, ces saints,
Qui n'osent foudroyer ceux qui les ont contraints
A l'exil et l’oubli ! Mais leur front se renfrogne.

 

Nul ne pourra voler, si ce n'est dans un conte,
L'église de Plourac'h ou celle de Bulat.
Le Diable à Burthulet fera fuir les Goliath
Et l'étalon Naous est trop lourd pour la fonte...

 

Voici ce vieux pays dont le corps s’effiloche.
Il possède toujours des sites inviolés,
Des chaos, des forêts. Et ses champs bariolés.
Je l’aime à fleur de peau. Il m’aime à fleur de roche.


            Edmond RÉBILLÉ  (1984)

 

 

Publié avec l’aimable autorisation de l’auteur.
Extrait du livre : « La vie n’est-elle qu’un long poème ??? »
Imprimerie de Guingamp-2005-

 


 

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