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Pléonasme
- C’est ce que je demande, s’écria-t-elle, en
se levant debout.
STENDHAL(Le Rouge et le Noir)
-
La
langue française souffre de nombreuses plaies, dont la
moindre n’est pas… le pléonasme !
Il
faut donc se garder d’accumuler dans une même phrase
plusieurs mots ayant la même signification. Car, si le
bonheur de l’homme se satisfait de trop de richesses, le
bonheur de la phrase exige, lui, économie et rigueur.
Entre
deux mots, dit-on, il faut savoir choisir le moindre, mais
surtout éviter d’utiliser les deux. En technique langagière,
le « trop c’est trop » se traduit par
un seul mot : « pléonasme ».
Traduit du grec « pléonazein »
signifiant « être surabondant, exister en trop
grande quantité », le mot pléonasme a été créé
pour montrer du doigt ces verrues de la phrase que sont la
redondance et le double emploi.
Le
moment est venu d’introduire une distinction fondamentale
entre le « pléonasme inconscient » appelé
aussi « périssologie » et le pléonasme
volontaire que les grands auteurs ne dédaignent pas
d’utiliser afin de donner de la force à une réplique ou
à un raisonnement.
- Quel lycéen n’a appris les imprécations de Camille
dans « Horace » (acte IV, scène 5) ?
Puissé-je de mes yeux
y voir tomber ce foudre
Voir ses maisons en cendres et tes lauriers en
poudre…
-
Et qui se souvient de ce pléonasme célèbre dont Molière
est l’auteur ?
Je l’ai vu, dis-je, vu de
mes propres yeux, vu
Ce
que l’on appelle vu…
-
Des
répétitions commises par ces deux maîtres du style, qui
dans un cas vise à obtenir un effet dramatique et dans
l’autre un effet comique.
Cette
profonde référence effectuée en direction de nos grands
classiques, nous voici maintenant tout à fait à l’aise
pour dénoncer les pléonasmes involontaires, ceux qui résultent
de l’irréflexion ou même de l’ignorance et qui s ‘épanouissent
dans les discours de nos hommes et femmes politiques, dans
les communiqués des journalistes de radio et de télévision
et, en général, dans les conversations quotidiennes. Peu
de gens aujourd’hui se laissent prendre au piège grossier
du « monter en haut » ou « sortir
dehors » (« Sors dehors, si tu es un
homme » !)
En revanche, le « prévoir à l’avance »
fait une assez jolie carrière chez les jeunes cadres au
profil marketing qui éprouvent sûrement le besoin de préciser
un verbe qui n’en demandait pas tant puisqu’il porte déjà
en lui une indiscutable idée d’anticipation.
Dans notre univers de consommation, on n’hésite guère à
se payer de mots dans la mesure où ils sont gratuits.
- A quoi bon préciser qu’une « panacée
est universelle » puisque
la panacée se définit comme le remède à toute les
maladies ?
-Et
la « fausse perruque « ne peut pas être
deux fois plus fausse qu’une perruque qui l’est
déjà suffisamment toute seule !
-
Celui qui précise qu’il va faire un peu de « marche
à pied » tient-il vraiment à ce que son
interlocuteur sache qu’il n’a pas l’intention de
marcher sur les mains ?
Et puisqu’il est question de mains, doit-on préciser à
celui qui a bien parlé : »J’applaudis des
deux mains à votre proposition ? Il est
vrai que l’applaudissement d’un manchot a toutes les
chances d’être discret.
- Lorsque Marthe Richard se mit en tête, en 1946,
d’obtenir « la fermeture des maisons closes »,
elle ne commit pas seulement une faute mais un pléonasme.
-Une
alternative se définit déjà comme le choix entre deux
possibilités. Le quidam qui prétend être placé « entre
deux alternatives » complique la solution à son
problème : le voici maintenant face à quatre éventualités !
Commenter
chacun des pléonasmes qui offensent quotidiennement la
grammaire deviendrait vite un exercice fastidieux. En
collectionnant ces perles d’inculture, nous obtiendrions
bientôt un collier de plusieurs rangs. Permettez-moi de
vous offrir les premiers grains :
-
D’abord,
pour commencer…
-
Car,
en effet…
-
Tous
les
experts sont unanimes…
-
Le
mutisme le plus total, le black-out le plus
absolu…
-
S’entraider
mutuellement…
-
Le
petit nain avait en main un petit opuscule…
-
Ils
sont complémentaires l’un de l’autre…
-
Faire
des projets d’avenir…
-
Au
jour d’aujourd’hui…
-
Le
cadavre était inanimé, sans doute à la
suite d’une hémorragie de sang…
-
Son
amoureux, chaque soir lui donnait la sérénade et
chaque matin lui chantait une aubade.
Voilà
deux beaux pléonasmes qu’il convient pourtant de préférer
à cette bourde que serait « une aubade du soir »
ou « une sérénade du matin » !
-
L’hypothèse
s ‘est avérée exacte…
-
Le
fleuve et ses sinueux méandres…
-
L’ingénieur,
qui est un joyeux luron, a présenté le tout
premier prototype d’une nouvelle invention…
-
Voire
même : les
deux adverbes ayant le même sens de même, nous voilà en
présence d’un même de trop !
-
Le
coureur arrivé le premier en tête…
Et
puis, tous ces superlatifs qui viennent apporter un renfort
inutile à des mots qui sont déjà des superlatifs : la
plus infime partie, la plus extrême lenteur, ne
frisent-ils pas le ridicule le plus absolu ?
Autre
exemple de pléonasme intentionnel donné par Jean Grenier :
-
« Une
femme insatisfaite » !
On peut broder sur ce modèle afin de se fâcher rapidement
avec tout le monde. Essayons :
-
« Un
mari égoïste » - « Un enseignant en
vacances » - « Un Écossais radin »
- « Un fonctionnaire en grève » -
« Un automobiliste mal embouché ».
Les Français se moquent de leurs voisins belges en prétendant
que la dénomination « primitifs flamands »
est un pléonasme. Ce à quoi répliquent les Belges en
assurant que l’expression « Le Français moyen »
en est un également !
Certains pléonasmes connaissent une promotion inattendue.
Sanctionnés par un long usage ; ils terminent leur
carrière dans le dictionnaire :
-
C’est
ainsi qu’on parle couramment de nos jours de « l’économie
domestique » alors que chacun des termes contient
l’idée de « maison » : une fois
en grec –oïkos – et une fois en latin –domus.
De même qu’il n’est plus un puriste pour sourciller
en entendant parler de « démocratie populaire ».
Le mot « démocratie » signifiant
« gouvernement par le peuple », doit-on
considérer que, dans ce genre de régime, le peuple a si
peu de pouvoir qu’on se croit obligé d’y accoler
l’adjectif « populaire » ?
Si Pascal vivait aujourd’hui, il pourrait écrire :
« Plaisante abondance qu’une frontière borne ;
démocratie en deçà du rideau de fer, pléonasme au-delà ! »
Sources.
GAGNIERE, Claude –« Pour tout l’or des mots »
-Bouquins –Robert Laffont.
Communiqué par Joseph Lohou(avril 2008)