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Peines
et enfermements.
« Une
approche historique des peines et des conditions carcérales. »
Préface.
Sous
ce titre, plutôt insolite et inaccoutumé dans cette
monographie,
nous proposons aux lecteurs parfois
confrontés à un ancêtre délinquant, un rapide survol des
peines, délits et enfermements de la fin du Moyen-Age au 19°
siècle.
Évoquer à grands traits l’histoire des différentes pénalités
au cours des siècles nous astreint inévitablement à bien
des simplifications.
Ancien
Régime- Fin du Moyen-Age.
La
justice de cette époque arbitre plus qu’elle ne réprime.
Elle se limite à réguler les conflits par l’application
d’amendes appuyées par le bannissement des impécunieux
et autres récalcitrants, tels que marauds*,
ruffians*, bélîtres*, caymans*, caymandeuses*…
Pour les amendes les plus élevées des modérations sont
accordées, mais beaucoup ne peuvent payer, ce qui entraîne
l’exil, contribuant ainsi à grossir la foule des bannis
et des proscrits en divers lieux (basses-fosses,*
bastille,*chartre,*forteresse*, hôpitaux généraux,*
petites maisons,* oubliettes,*et quartier de force*…)
Les
peines corporelles, mutilations* et exécutions capitales,
existent mais sont rarement employées. Les gibets*et
fourches patibulaires*, nombreux autour des villes,
intimident mais servent peu, sauf pour les atteintes à
l’ordre princier, royal,
politique ou religieux.
Le gibet.
(Dessin
de Jean-François Lohou)
L’évolution
des supplices au 16° et 17° siècle.
Avec
le développement de l’absolutisme et la montée en
puissance d’un État central qui cherche à renforcer son
pouvoir, le châtiment va progressivement remplacer le
rachat des crimes par le versement d’une amende. Il faut
maintenant châtier le coupable parce qu’une faute a été
commise, cela va de pair avec une répression plus sévère,
fonctionnant à l’exemplarité. Le châtiment vise surtout
à préserver l’ordre public dont le pouvoir royal se sent
de plus en plus le garant. Le siècle de la Renaissance
devient l’époque des châtiments corporels.
« La
terreur est convoquée pour assurer l’ordre »
L’adoption
officielle de la torture devient un moyen de preuve. François
1er en 1534 introduit le supplice de la roue*
pour les voleurs de grands chemins. Le condamné est étendu
sur une croix de St André, le bourreau lui rompant les
quatre membres et la poitrine à coups de barre de fer.
Par les supplices, il y a donc en même temps réponse à
une violence de crises ( guerres, brigandage, paupérisme)
et affirmation de l’État absolutiste.
Supplice de la roue*
Les
supplices vont de pair avec la peine de mort, y compris sous
la forme du bûcher ; cette dernière peine est infligée
dans des procès d’écrits subversifs ou de sorcellerie.
Le
bûcher
L’exemplarité
est présente dans le caractère spectaculaire, pédagogique
de nombreuses peines cruelles : peine du feu vif contre
les coupables de sacrilège, parricide, crime
contre nature, empoisonneurs et incendiaires ; peine de la
roue (à partir de 1534) pour les voleurs de grand chemin et
les assassins... Le plus souvent, la décision de justice
demande au bourreau d’étrangler en secret le condamné
sur l’échafaud* de sorte que la "mort cruelle"
ne frappe qu’un cadavre tout en conservant ses vertus
d’intimidation.
C’est aussi au bourreau que revient l’accomplissement
des peines corporelles : le fouet avec la marque ou la flétrissure
du fer chaud ; le fouet "sous la custode"* infligé
sans publicité au mineur délinquant ; le poing coupé en
cas de sacrilège ou faux ; la langue percée ou coupée
appliquée au blasphémateur récidiviste ; la peine d’être
traîné sur la claie* pour le corps des suicidés ; la
pendaison sous les aisselles pour les mineurs auteurs de
crimes graves mais que leur âge soustrait à la mort ; la
peine d’être promenées par les rues sur un âne pour les
femmes proxénètes.
On veut
d’autant terroriser que la répression est encore aléatoire,
peu efficace, faute
de moyens nécessaires.
Pour édifier les populations, le pouvoir royal utilise
l’exposition, le pilori* et le carcan*, dans un lieu fréquenté
et au moment le plus propice, généralement au milieu de la
journée. Dans tous les cas, la foule par ses cris et
quolibets participe à l’exécution de la sentence et
stigmatise le coupable.
Il s’agit de chasser le mal et de réaffirmer l’adhésion
aux valeurs morales transgressées.
La législation royale restant relativement vague sur les pénalités,
l’équité et la jurisprudence inspirent les décisions de
justice sauf pour tout homicide. Ce dernier crime entraîne
de fait la peine de mort, le condamné devant sollicité la
clémence royale (Lettres de rémissions)*.
L’exemple
de Robert François DAMIEN, agresseur de Louis XV.
«
Le 26 mars 1757, La Cour condamne le dit
Robert François DAMIEN, convaincu du crime de lèse-majesté,
à faire amende honorable devant la porte de l’église de
Paris, où il sera amené & conduit dans un tombereau
nud en chemise, tenant une torche de cire ardente, du poids
de deux livres, & là, à genoux, dire et déclarer que
méchamment et proditoirement
il a commis le dit très méchant & très détestable
Parricide & blessé le Roi d’un coup de couteau dans
le côté droit, dont il se repent &t demande pardon à
Dieu, au Roi et à Justice ; ce fait mené &
conduit dans le dit tombereau à la place de Grève, &
sur un échafaud* qui sera dressé, tenaillé aux mamelles,
bras, cuisses et gras de jambes, la main droite tenant en
icelle le couteau dont il a commis le dit Parricide brûlé
de feu de soufre, & sur les endroits où il sera
tenaillé jetté du plomb fondu, de l’huile bouillante, de
poix résine brûlante, de la cire & du soufre fondu
ensemble, & ensuite son corps tiré & démenbré à
quatre chevaux, & les membres & corps consumés au
feu, réduits en cendres, & ses cendres jettés au vent ;
déclare tous ses biens, meubles & immeubles en quelques
lieux qu’ils soient situés, confisqués au Roi… »
Un
condamné exposé au pilori
Un carcan, bracelet de fer
L’évolution
au 18° siècle.
Cette
évolution va se faire progressivement sous l’influence
des transformations économiques et sociales, de la force du
pouvoir royal et de ses limites.
Dans le milieu du 17°siècle, la rigueur commence à
s’atténuer, les sentences prononcées par les tribunaux
montrent une répression plus policière que judiciaire,
visant surtout à imposer l’obéissance par le spectacle
de punitions publiques infamantes (flétrissure*, fouet*,
essorillement*, écartèlement*), sans usage de la peine de
mort. La cruauté du siècle précédent s’atténue peu à
peu.
Le recul de la peine de mort ouvre la voix au développement
d’une autre pénalité, à vocation également éliminatrice,
mais plus économique pour l’État : les galères* ou
chiournes*.
Ce système atteint son apogée au 18° siècle vers 1748,
puis décroît et voit le désarmement des galères, devenu
inutile sur le plan militaire, servant surtout à la parade ;
Les forçats* allant dans les bagnes* des ports de Brest,
Rochefort et Toulon pour continuer à y effectuer les
travaux d’entretien et de construction de navires.
Une galère
La
peine des galères est largement utilisée par les tribunaux
et, à la fin de l’Ancien Régime, le Parlement de Paris
en fait un usage massif avec près de 50% des peines prononcées,
l’autre grande peine étant le bannissement*.
Sous l’influence des Lumières et des écrivains(Voltaire,
Rousseau, Montesquieu), hostiles aux supplices de l’Ancien
Régime, la justice humanise les peines, les mutilations ne
sont plus prononcées, le bannissement recule également, et
la peine de mort est de moins en moins appliquée.
Après avoir montré sa force avec éclat pour s’imposer,
la justice royale peut maintenant faire preuve de plus de
retenue. Une telle évolution s’explique en grande partie
par le meilleur exercice de la Justice et de l’établissement
de peines plus douces et utiles( bagne*, prison*, cachot*.)
Un bagnard*
L’apparition
de la guillotine*.
Au
printemps 1791, un nouveau code pénal est adopté par
l'Assemblée Nationale Constituante. L'article 3 est encore
dans toutes les mémoires : "Tout condamné aura la
tête tranchée". C'est alors qu'un inventeur
proposa une manière moins douloureuse de mise à mort, et
fit valoir le "principe d'égalité"
devant la mort, devenue enfin possible grâce à un couperet
perfectionné ; le docteur Guillotin
se chargera de la réalisation de l'invention : "Je
vous fais sauter la tête en un clin d'œil et vous ne
souffrez pas". La machine fut adoptée et la
guillotine se mit en marche le 25 avril 1792.
La guillotine
Chanson
d'époque
Guillotin,
Médecin,
Politique
Imagine un beau matin,
Que pendre est inhumain
Et peu patriotique.
Aussitôt,
Il lui faut
Un supplice,
Qui, sans corde ni, poteau,
Supprime du bourreau
L'office...
C'est en vain que l'on publie
Que c'est pure jalousie
D'un suppôt
D'un tripot
|
Que
c'est pure jalousie
D'un suppôt
D'un tripot
D'Hippocrate,
Qui d'occire impunément,
Se flatte.
Le Romain Guillotin
Qui rien n'arrête,
Consulte gens de métier
Barnave et Chapelier,
Avec le coupe-tête ;
Et sa main,
fait soudain
La machine
Qui humainement tuera,
Et qu'on appellera :
Guillotine...
|
Et
la Convention envoie le roi et sa famille à la guillotine
malgré l'intervention de Condorcet qui le lendemain de la
condamnation présente sans succès une motion en faveur de
l'abolition.
"Le
vilain est pendu, le noble décapité"
Le
temps des prisons et de l’exclusion (19° siècle)
Le 19° siècle est le siècle des révolutions politiques
avec leur cortège de répressions, souvent massives et
sanglantes.
Le pouvoir vise le maintien de la paix bourgeoise et modifie
le régime des peines, la dissuasion et l’intimidation
l’emportent.
Comme la répression montre son inefficacité, la finalité
des peines se rapproche de la mesure de sûreté, la
solution utilisée généralement est l’enfermement. La
prison devient la peine par excellence, la fin des supplices
étant illustrée par le recul de la peine de mort, mais la
transportation* d’une partie des criminels outre-mer
aboutit souvent au même résultat.
Après
les différentes peines, cruelles et barbares, des siècles
précédents, la prison devient le lieu d’amendement et de
réinsertion sociale.
Loin
de faire l’unanimité, la prison conçue comme peine répressive
a, pour ses nombreux opposants, des effets corrupteurs ;
la question du rôle de la prison revient en surface à
chaque proposition de réforme : punir ou amender ?
Dissuader ou éduquer ?
La
mortalité y est trois fois plus élevée que dans la
population libre. Ce n’est réellement qu’avec la Troisième
République que la mortalité dans les prisons se rapproche
de celle de la population libre.
De nos jours, le sujet de la prison est toujours d’une
actualité brûlante et loin d’être résolu, un exemple
est celui de la surpopulation des prisons d’ou la nécessité
de reconsidérer l’utilisation des autres peines( travail
d’intérêt général, caution…) et de redéfinir les
missions que la société leur impose afin de prévenir
l’avenir de ceux qu’elles emprisonnent.
Cet article est paru dans le Bulletin de Liaison N° 75
de juillet 2007 du Centre Généalogique des Côtes d'Armor.
Sources.
PETIT, Jacques Guy- « Histoire des galères et
prisons du XIII° au XX° siècle »-Bibliothèque
Historique Universelle PRIVAT.-Toulouse-ISBN
2708953486 / 9782708953482.
MARTIN,
Henri – Arrêts DAMIEN- « Histoire de France »-T.
XV, p.508
École Nationale de la Magistrature..
Joseph Lohou.(avril 2002-mai 2017)
Annexe
1.
Glossaire des
peines et lieux d’enfermement.
Désignations
|
Définitions
|
Bagne,
bagnard
|
Bâtiment
où étaient logés les condamnés aux fers, puis aux
travaux forcés.
|
Bannissement
|
Peine
politique criminelle infamante consistant dans la défense,
pour le condamné, de résider sur le territoire
national pendant une durée déterminée.
|
Basses-fosses
|
Cachot
souterrain, étroit et humide
|
Bastille
|
Tout
ce qui constitue une prison, une limite morale,
intellectuelle
|
Bélître
|
Gueux,
coquin, mendiant
|
Blasphémateur
|
Personne
qui blasphème, qui outrage.
|
Cachot
|
Cellule
de prison étroite, basse et obscure où l'on
enfermait les criminels ou les condamnés à mort.
|
Carcan
|
Collier
de fer par lequel on attachait un condamné au poteau
d’exposition.
|
Cayman
|
Mendiant
et vagabond sans travail
|
Caymandeuse
|
Féminin
de cayman
|
Chartre
|
Habitacle
clos de reclus
|
Chiourne,
chourne
|
1-Équipage
d'une galère.
2-
Ensemble des condamnés d’un bagne
|
Claie
|
Peine
d’être traîné sur la claie pour le corps des
suicidés
|
Dépôt
d e mendicité
|
Établissement
public accueillant des indigents
|
Écartèlement
|
Action
de déchirer, d'arracher les membres d'un supplicié.
(Écartèlement à quatre chevaux montés chacun
par un archer de la prévôté.)
|
Échafaud
|
Plate-forme
en charpente, employée pour l'exposition et l'exécution
des condamnés
|
Essorillement
|
Supplice
consistant à couper les oreilles d'un condamné.
|
Flétrissure
|
Marque
imprimée à un criminel avec un fer chaud.
|
Forteresse
|
Château
fort servant de prison d'État
|
Forçat
|
Criminel
condamné aux travaux forcés dans un bagne (ou,
autrefois, aux galères).
|
Fouet
|
Coups
de verges, de lanières ou de cordes à nœuds donnés
à des condamnés.
|
Fouet sous
la « custode »
|
Coup
de fouet infligé sans publicité :
châtier, réprimander en secret
|
Fourches
patibulaires
|
Gibet
composé primitivement de deux fourches de bois,
remplacées plus tard par des piliers.
|
Galère
|
1-
Bâtiment de guerre, long et étroit, à un ou
plusieurs rangs de rames et à voiles, en usage dans
l'Antiquité
2-
Peine de ceux qui étaient condamnés à ramer
sur les galères de l'État.
|
Gibet
|
Instrument
de supplice pour les condamnés à la pendaison
|
Guillotine
|
Instrument
de supplice constitué par une lourde lame qui s'abat
en glissant entre deux montants verticaux et destiné
à trancher la tête des condamnés à mort.
|
Hôpitaux
généraux
|
Lieu
d’enfermement des vieillards, des enfants orphelins
et des malades.
|
Lettre
de cachet
|
Lettre
du roi contresigné par un secrétaire d'État, fermée
du cachet royal et qui contenait un ordre
d'emprisonnement ou d'exil.
|
Lettre
de rémission
|
Acte
par lequel le prince remettait à un criminel la peine
à laquelle il avait été condamné.
|
Maraud
ou marault
|
Mendiant,
filou
|
Mutilation
|
Ablation
volontaire, retranchement d'un membre ou d'un organe
externe qui cause une atteinte grave et irréversible;
résultat de cette action
|
Petites
Maisons
|
Hôpital
de Paris où l'on enfermait les aliénés
|
Prison
|
Établissement
pénitentiaire clos, aménagé pour recevoir des
individus condamnés par les tribunaux à une peine
les privant de liberté ou des prévenus en instance
de jugement.
|
Oubliettes
|
Cachot
ménagé dans le sous-sol du donjon des châteaux
moyenâgeux où l'on enfermait les prisonniers condamnés
à la prison perpétuelle
|
Pilori
|
Poteau
ou appareil tournant auquel on attachait un condamné.
|
Quartier
de force
|
Partie
d'une prison réservée à un groupe particulier.
(Femmes qui ne peuvent être envoyées aux galères et
pauvres délinquants)
|
Roue
|
Supplice
qui consistait à étendre le condamné sur une croix
de saint André et à lui briser les membres..
|
Ruffian
|
Souteneur;
par extension, voyou
|
Transportation
|
Institution
en vertu de laquelle les condamnés aux travaux forcés
sont conduits dans une colonie pour y subir leur
peine, et, à l'expiration de cette peine, y demeurer
soit pendant un temps égal à la durée de la peine.
|