Callac-de-Bretagne

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Les Pardons Bretons



Ernest Renan et Anatole Le Braz voyaient dans les pardons une superposition des croyances païennes et chrétiennes. Au pays des pardons, l'ouvrage d'Anatole Le Braz, qui se lit comme un roman, le montre bien. Revenant de visiter la tour Saint-Michel, il rencontra des femmes en pays de Tréguier. "Je distinguai un groupe de femmes assises au bord du chemin. Chacune d'elles tenait un cierge. Je leur donnai le bonsoir en breton et elles s'interrompirent de prier pour me demander si elles étaient loin de Saint-Yves. Elles arrivaient de Pleumeur-Bodou, d'une seule traite, sans avoir pris aucune nourriture. Leur dessein était de passer la nuit en oraison dans l'église, de faire 'la veillée devant le saint; puis de s'en retourner chez elles après la première messe toujours pieds nus et à jeun".



Le pardon est une sorte de pèlerinage qui se déroule généralement à la date anniversaire de la mort d'un saint, sur sa tombe ou dans un lieu qui lui est dédié. Manifestation profonde de la foi, c'est un culte rendu aux saints bretons. Ce rite très ancien serait lié à l'arrivée dans le pays de moines venus d'outre-Manche au ve siècle. Si fd le mot pardon désigne la cérémonie, il évoque d'abord le péché, la confession et la pénitence : le pénitent prie et demande pardon pour se racheter de ses fautes ; il quémande une grâce et gagne des indulgences. Le rôle du pardon où l'on se rend par piété est le moyen le plus sûr d'obtenir l'absolution. La guérison par l'eau s'est greffée là-dessus - on n'hésitait pas à y plonger les enfants - chaque fontaine ayant sa spécificité, l'une pour les yeux, l'autre les maladies de peau ou la fertilité. Car si la foi est là, la superstition est également omniprésente.


Le pardon s'accomplit à pied en procession, par groupes, par paroisses pour les grands pèlerinages. Les fidèles portent des croix, des cierges, des bannières brodées et des statues de saints. Les femmes revêtent pour l'occasion leurs somptueux costumes anciens. Si le parcours est plus court que celui de la grande Troménie de Locronan, laquelle, tous les six ans, suit un par-cours de douze kilomètres ou bien, encore plus long, du Tro Breizh - un périple de près de 540 kilomètres en l'honneur des sept saints fonda-teurs de la Bretagne - marcher a un sens. Même si la plupart du temps, la promenade se limite à tourner autour d'une chapelle, cela valorise la terre, un des quatre éléments présents lors des processions au même titre que le feu, l'eau et l'air. En effet, on allumait des feux de joie, on se recueillait devant les fontaines et l'air, symboli-sant le vent, faisait claquer les bannières.

On venait parfois de loin, comme c'est le cas pour le pardon de Tréguier dédié à saint Yves, le saint patron des avocats ; les pèlerins du monde entier y affluent. Nombreux sont ceux qui défilent de son tombeau, dans la cathédrale, jusqu'à sa paroisse de naissance, en tenue d'avocat, de magistrat; d'évêque ou d'universitaire.

Pas de pardon sans fête

Jadis, chaque village avait son pardon. Et qui plus est, le plus petit calvaire, la moindre chapelle - il y en a plus de 6000 en Bretagne - avait le sien. Certaines commémorations étaient dédiées à des saints bretons inconnus de Rome. Anatole Le Braz, voyageant en voiture entre Spézet et Châteaulin vit, une fois, une grande foule assemblée près d'une fontaine que nul ne pouvait percevoir de la route. Aucun emblème religieux, pas de prêtre, les fidèles officiaient eux-mêmes. Ces moments étaient l'occasion pour les familles de se retrouver et de ressouder la communauté, chacun mettant dans sa poche les vieilles querelles de clocher. Parmi les écrivains bretons, Charles le Goffic se pencha également sur le sujet. Parallèlement aux veillées de prière, aux communions, aux confessions massives, il constatait un certain défoulement collectif où l'ivresse tenait une place. "La grand`messe, les vêpres, la procession, le salut et les visites au cimetière prennent les trois-quarts de la journée; le reste est pour l'eau-de-vie. Mais l'ivresse même a quelque chose de grave et de religieux chez ces hommes; elle prolonge leur rêve intérieur et l'élargit jusqu'au mystère". Si l'on ajoute aux cérémonies religieuses un repas champêtre, des jeux bretons, des danses, de la lutte bretonne parfois et, plus récemment, un fest-noz en fin de journée, il n'y a rien d'étonnant que l'alcool, auquel certains avaient recours, fasse revenir les vieux démons, comme la crainte et le mystère devant l'inconnu. L'Église lutta contre ces débordements en encadrant les plus grandes manifestations.


Le 19° siècle fut l'âge d'or des pardons. En affirmant la pureté de la foi qui doit présider à toute fête religieuse, le clergé voulait leur redonner leur sens initial et restreindre l'aspect profane, certaines pratiques dégénérant parfois en idolâtries. Parmi celles-ci, les fidèles cherchant à toucher ou embrasser les statues vénérées.  Des libertés avaient aussi été prises dans les dates qui ne coïncidaient plus avec les fêtes réelles des saints; et les pardons tendaient à devenir des fêtes villageoises, voire des compétitions sportives, où forains et vendeurs se pressaient, flairant les bonnes affaires.

Toutefois, la fête donne lieu à des échanges économiques, par exemple dans les pardons dédiés aux animaux. A Moncontour encore, on attachait aux cornes des bêtes les cordes des cloches de l'église. À Trégomar, Tressignaux et Plouisy, on honorait saint Antoine avec des cochons. A Laniscat, on baignait les chiens dans la fontaine, le jour de la saint Gildas. Le pardon du coq n'en est pas moins connu à Bulat-Pestivien et un chapon offert par les fidèles était lâché du clocher pour porter bonheur aux récoltes. Quant à saint Eloi, le protecteur des chevaux, il était fêté au pardon des chevaux de Saint-Nicolas-du-Pélem chaque 24 juin, sous la forme d'une bénédiction et d'eau versée dans leurs oreilles. Il ne faut pas oublier les pardons en lien avec la mer, comme celui de Paimpol, le pardon des Islandais qui avait lieu avant le départ des bateaux pour la pêche.

Tous les pardons n'attirent pas autant de monde. En Côtes d'Armor, les plus connus sont celui de Notre-Dame de Bon-Secours à Guingamp, celui de Querrien à la Prénessaye où un grand portique a été aménagé pour une célébration en plein air et bien évidemment celui de saint Yves à Tréguier en mai. Aux yeux des Bretons, saint Yves est le justicier, l'incorruptible.

Les motivations sont diverses chez les pèlerins. Les uns y retrouvent leurs racines, d'autres sont à la recherche de valeurs dans une société qui en a beaucoup perdu. S'y expriment aussi la convivialité, l'appartenance communautaire, le militantisme catholique.








                                       




Joseph Lohou (juillet 2013)