Une affaire de moulin sous l'ancien régime dans la région de Callac
Un jugement de la Cour du Parlement de Rennes du 5 juillet 1709 met fin
à une procédure engagée devant la juridiction seigneuriale de Callac le
2 août 1702 , poursuivie devant 1a juridiction Royale de Carhaix le 29
mars 1704.
Cette affaire, en appel devant le Parlement de Rennes, concerne un droit de suite de moulin.
« Entre Escuyer de
Quéranflech appellant de sentante rendûe en la juridiction Royale de
Carhaix du 29 mars 1704 et de tous ce que fait a esté en conséquence à
son préjudice et demandeur en requestes des 4 octobre et 9 octobre 1708
d'une part et Henry Fercocq, Françoise Lochou veuve de déffunt Jacques
Fercocq et tutrice de leurs enfants mineurs, Marie Fercocq authorisée
de Guillaume le Béniguer son mary faisant tant pour eux que pour
Vénérable er discret missire Yves Fercocq, prêtre tous enfants et
héritiers de déffunt Vincent Fercocq intimés et deffendeurs et
Françoise Cadic et Catherine Jézou veuve aussy intimée et défaillante. (1)
Quelle est la situation des plaideurs ?
Henry de Quéranflech ou Keranflec'h écuyer, descendant d'une famille
reconnue noble depuis plusieurs générations (2) , titre de noblesse
confirmé par acte de notoriété des notables de Pestivien le 25 janvier
1699, possède la seigneurie du Launay en la trève de Botmel , paroisse
de Plusquellec, dépendant actuellement de la commune de Callac. Dans
cette affaire il prend fait et cause pour Pierre Thomas meunier, à qui
il a affermé son moulin de la seigneurie du Launay, situé sur les rives
de l'Hyére.
Les intimés sont des convenanciers du village du Gohellou , trève de
Botmel( actuellement Gouélou), Françoise Cadic , Catherine Jézou , et
Vincent Fercocq ménager en la-paroisse de Calanhel mais dont
l'exploitation du Gohellou est affermée à Guillaume Daniel.
La cause du différend.
Sous l'ancien régime, le droit de suite de moulin, banalité consacrée
par la Coutume et la jurisprudence coutumière de Bretagne, assujettit
les vassaux, quelle que soit leur situation sociale, à suivre le moulin
du seigneur du fief, c'est à dire celui qui détient un droit éminent de
propriété. Cette coutume est une source de nombreux conflits devant les
tribunaux , conflits opposant parfois les seigneuries entre elles, mais
plus souvent le seigneur ou son meunier aux usagers, comme c'est ici.
le cas.
Le tribunal seigneurial de Callac puis la Cour royale de Carhaix avaient déjà rendu un
jugement favorable aux habitants du village du Gohellou. C'est eu égard « aux
déclarations des
dits jours 12 décembre 1662, 23 novembre 1678, au contrat du 24
novembre 1632 où il est reconnue que les héritages dont c'est cas sont
tenus prochement dudit Callac et
à la déclaration du 17 may 1690 ) (1) , que les dites juridictions ont débouté le sieur de
Quéranflech et son meunier Thomas.
La
teneur de ces déclarations et contrat ne nous sont pas connus ;
s'agit il de dispositions prises entre héritiers suite à un partage des
moulins de la seigneurie ? La coutume prévoyait en effet lors de telles
dispositions que les « mouteaux « , usagers du moulin, pouvaient être
également répartis entre différents moulins , ceci bien entendu selon
le bon vouloir de l'aîné des héritiers à l'égard de ses juveigneurs !
Dans le cas présent il semblerait , d'après l'expression « prochement
dudit Galicie» que ces usagers, suite à un héritage, sont tenus de
suivre un autre moulin relevant du fief de la seigneurie de Callac.
Procédure d'appel devant la Cour du Parlement de Rennes.
Malgré les décisions déjà rendues par une juridiction basse et une
juridiction d'appel , Henry de Queranflec'h persiste dans sa démarche
et interjète à nouvel appel devant cette fois le Parlement de Rennes
par une requête rédigée en ces termes :
« ...il a été toujours pour lui et
ses auteurs d'avoir eu droit de moulte indéfiniment sur les mouvances
(3) dudit village du Gohellou dans son moulin de Launay conjointement
avec les autres moutaux (4) pour passé de ce contre fait droit et
seront les intimés condamnés aux despens de toutes les instances
............... .......seroint condemnés de payer audit sieur de
Quranflech garanteur de Thomas son meulnier, savoir de dit Fercocq pour
le dit Daniel leur fermier la somme de 24 livres pour le droit de
moulte des bleds qu'il a fait moudre ailleurs pendant le temps de dix
mois précédant la demande deidit Thomas , ladite Cadic la somme de
qinze livres pour pareildroit de moudre ailleurs q 'au dit moulin de
Launay, Pendant six mois pendant ladite demande de laditte Jézou, la
somme de douze livres pour pareil droit de
moutte... » (1)
Vincent Fercocq étant décédé en 1705 et son
fils Jacques début 1709, ce sont ses enfants , Henry, Yves et Marie et
Françoise Lohou, veuve de Jacques qui sont asssignés devant le
Parlement de Rennes. Ils seront défendus par le procureur Grain.
Apparemment Fançoise Cadic et Catherine Jézou ne sont pas représentées
à l'audience.
Arrêt de la Cour.
Faute d'avoir pu produire l'original de l'acte du 17 may 1690 fourni à
la juridiction de Callac, la Cour du Parlement de Rennes, par un arrêt
du 5 juillet 1709, condamne les intimés aux dépens et à «
payer à Henry de Quéranflec 'h ou à son meunier au moulin du Launay le
droit de moulte pour tout le temps qu'ils ont cessé de faire moudre
leurs grains audit moulin, et ce à dire d'expert dont les parties
conviendront ou qui sur leur refus seront nommés d'office et ledit
condamné de suivre à l'avenir le dit moulin... (1)
Les consorts Fercocq avaient sollicité
l'intervention en leur faveur de Missire Guillaume Charrier abbé
commanditaire de l'abbaye de Sainte Croix de Quimperlé, seigneur de
Callac. Mais celui-ci, considérant qu'il avait été « mal et follement
intimé », obtint de la Cour que les consorts Fercocq soient déboutés et
condamnés aux dépens. Grande fut certainement leur déception !!
Epilogue.
Grande déception certainement du côté des habitants du Gohellou au
moment de cette sentance, d'autant plus qu'ils n'ont pu présenter à
Rennes les preuves qui leur avaient permis d'obtenir gain de cause
devant les deux précédentes juridictions. Les consorts Fercocq
bénéficiaient apparemment d'une certaine aisance ce qui a dû leur
permettre d'assurer leur défense tout au long de cette procédure, même
à Rennes où le Procureur Grain les représentait. Il aurait été
intéressant de connaître la situation de l'ensemble des intimés à
l'issue de cette affaire, condamnés aux dépens, au paiement des
honoraires , et du droit de « moufte « pour la période durant laquelle
ils ont cessé de se rendre au moulin du Launay, situation provoquant
souvent à l'époque de graves préjudices aux familles .
La longueur des procédures judiciaires et surtout la multiplication des
possibilités d'appel favorisent les plus riches , et dans le contexte
de l'époque, les seigneuries. Pour Henry de Quéranflec'h et son
meunier, faire respecter le droit de suite de moulin, quasi monopole ,
est d'un intérêt économique évident.
Le revenu des moulins, même affermés, représente en moyenne pour les
seigneuries de la région , 20 % de leurs ressources. ( 5)) .
De leur côté les meuniers perçoivent une rémunération, « devoir de
mouture », fixée par la coutume au seizième du grain moulu, travail
très lucratif , en raison de la hausse constante des cours des céréales
au XVIII° siècle, mais aussi de l'absence de concurrence favorisant la
pratique de certains abus, ce qui les rend très souvent plus
impopulaires que les seigneurs propriétaires des moulins.
Ce droit de suite de moulin, sujet de nombreux procès, est devenu
exécrable à la fin de l'ancien régime à tel point que sa suppression
figurait en tout premier lieu dans les cahiers de doléances de 1789 .
D'où par exemple les doléances des habitants de Plougonver le 30 mars
1789.
« Suppression ,
dans la province de Bretagne le droit odieux et onéreux du droit de
suitte de moulin qui ruine la plus grande part des gens de la campagne
tant par la rapacité des meuniers que par les procès en tout genre qu'occasionne cette subjection » (6)
Notes.
(1) Extrait des registres du Parlement de Rennes- AD22 ( recherches de Michel Guillou)
(2) Charles Herculez de Keranflec'h- J.P. Février - Pays de l'Argoat n°36-3.
(3) Mouvances : ensemble des terres dépendant d'une seigneurie.
(4) Moutaux : :usagers du moulin.
(5) Seigneurs et seigneuries du Beffou- Louis Dudoret (Ed Plomée).
(6) La Paroisse de Plougonver - Michel GUILLOU- Pays de l' Argoat n°34-3.
Joseph Lohou (nov. 2016)