Callac-de-Bretagne

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LES TRIOMPHES DE MOREAU,  enfant de MORLAIX

La Constitution de l'An II qui nous avait été « donnée par Dieu », s'il faut en croire le « citoyen d'Erm », Dieu n'allait pas tarder à nous la reprendre.

Aussi le « citoyen d'Erm » a-t-il été bien inspiré d'en célébrer les vertus pendant qu'elles opéraient encore. Huit mois après, il eût été trop tard !... Huit mois après, c'était le coup d'Etat du 18 Brumaire (An VIII), perpétré par Bonaparte, avec le concours de Moreau et de quelques autres. La Constitution de l'An III était dès lors reléguée au pays des vieilles lunes pour faire place à celle de L’An VIII qui instituait le Consulat en faveur du héros corse.
Le complice de Bonaparte en cette aventure, le fameux général Moreau, — celui-là même qui devait tomber à la bataille de Dresde (1813), alors qu'il combattait, dans les rangs de l'armée russe, son ancien compagnon d'armes devenu Empereur des Français, —Moreau était, comme on sait, originaire de la vieille ville bretonne de Morlaix, qui lui avait donné le jour en 1763. Il apparaissait alors, à trente-sept ans, clans tout l'éclat de sa jeune gloire et beaucoup voyaient en lui un rival possible du Premier Consul, ce qui ne pouvait manquer d'amener bientôt sa disgrâce. En attendant, il était assez naturel que les Morlaisiens, ses compatriotes, éprouvassent quelque fierté des exploits retentissants d'un des leurs et qu'il se rencontrât parmi eux un poète pour exprimer ce sentiment dans la langue du pays. La Campagne d'Allemagne de l'an VIII allait en fournir l'occasion à Jean-François d'Erm.
Six mois à peine après le coup d'Etat, auquel il avait pris une part active, en gardant militairement le Directoire prisonnier au palais du Luxembourg (1) pendant que Bonaparte opérait à Saint-Cloud, Moreau rejoignait son poste à la tête de l'Année du Rhin, que menaçaient les forces autrichiennes du feld-maréchal Kray. Le 7 Floréal an VIII (27 avril 1800), il déclenchait sa brusque offensive, passait le Rhin et entamait une nouvelle campagne d'Allemagne, tandis que Masséna attaquait en Italie. Cette campagne d'Allemagne, qui dura moins de trois mois, fut une course victorieuse, marquée par les succès de Moreau et de ses lieutenants à Stokach, Engen, Moesskirch, Biberach, Memmingen, Augsbourg, Ulm, Hochstaedt, etc...

(i) Le rôle de Moreau en cette affaire a été noté avec une scrupuleuse précision par l'un de ses prisonniers du 18 Brumaire, et non des moindres. Il s'agit de Collier, alors président du Directoire, qui, dans ses Mémoires, fait le récit très circonstancié qu'on va lire des événements auxquels il fut mêlé:
« Les sentinelles, placées à toutes les issues du palais directorial, se renfermant strictement dans la consigne que leur avait donnée notre geôlier en chef, répondaient à tous les députés qui se présentaient pour nous voir: « On n'entre pas... »    « Mais nous sommes députés... » —
«On n'entre pas. »    « Laissez-nous au moins écrire chez le concierge. »
« On n'entre pas. »    « Ce palais, dont l'entrée est interdite à la représentation nationale même, n'est donc plus habité par les membres du Directoire? » — « On n'entre pas. »
Indignés de l'insolente consigne, plusieurs députés se présentent chez Moreau pour s'en plaindre. Les sentinelles, placées à la porte du Général-Geôlier, leur répondent: « On n'entre pas. »

L'ayant rencontré un jour chez M. Garat: « Vous devez, me dit-il, avoir une bien triste opinion de moi, ne connaissant pas les motifs de ma conduite au 1S Brumaire. Le Général Moulins et vous étiez les seuls Directeurs auxquels je fusse attaché. Je vous vis en péril; j'acceptai un commandement qui étonna tonte l'armée; je ne chargeai de la garde de vos personnes, je fis le sacrifice de mon amour-propre au désir de vous sauver. J'aurais voulu révéler les intentions secrètes de ma détermination, et ne laisser aucun nuage dans votre esprit; mais l'accueil méprisant de Moulins, qui, sans daigner m'entendre, lorsque je venais d'expliquer confidentiellement avec lui, me tourna le dos et me fit signe d'aller dans son antichambre, m'empêcha de me présenter chez vous dans la crainte d'essuyer un nouvel affront.

Il eût été sanglant, lui répondis-je... Mon collègue Moulins vous a rendu service, général... Plus indigné que lui, je vous aurais dit, si, alors vous eussiez paru devant moi: « Encore cette épée à votre côté, général!... Ce n'est plus la place d'une arme d'honneur ; désormais, c'est mon trousseau de clefs qui doit être pendu à votre ceinture.
» Si vous aviez des intentions si généreuses, pourquoi donc avez-vous intercepté notre message aux deux Conseils? »
—Pourquoi? répliqua vivement Moreau. Pour vous sauver de la déportation, qui était résolue si votre opposition s'était manifestée par un seul acte. Que vous connaissez peu les hommes, qui vous tenaient en chartre privée!
— Que vous nous connaissiez peu vous-même, général! lui répliquai-je. Auriez-vous su gré à l'homme officieux qui, le jour d'une bataille décisive pour le salut de votre pays, vous aurait sauvé du péril en compromettant votre honneur? Croyez-vous que le courage civil soit au-dessous du courage militaire, et que des premiers magistrats du peuple eussent plus craint que vous de sacrifier leur vie au jour où il fallait combattre? »
Ces derniers mots parurent faire une grande impression sur Moreau.
« Si j'ai fait une grande faute, ajouta-t-il en terminant cet entretien, je saurai la réparer. »
(Cité par Léonard Gallois, dans sa continuation de l' « Histoire de France » de L'Anquetil, tome III, p. 567).

       Les Autrichiens se voyaient contraints d'évacuer la Souabe,  Franconie et la Bavière. L'armistice du 26 Messidor (15 juillet) suspendit les opérations. Elles devaient reprendre quatre mois plus tard, pour aboutir en vingt-cinq jours.  A la suite de ces rencontres, bataille décisive de Hohenlinden (12 Frimaire an IX : 3 décembre 1800) qui ouvrait aux les s Francais la route de Vienne. Un second armistice, signé U.  Steyer, trois jours après, empêcha Seul. Moreau d'entrer en triomphateur dans la capitale autrichienne.

Le « citoyen d'Erm » n'avait pas attendu la victoire de Hohenlinden, ni même l'armistice du 26 Messidor pour accorder sa harpe guerrière en l'honneur de son illustre concitoyen. Dès le 7 Messidor, au lendemain des premiers succès de Moreau, sa gwerz sortait des presses d'Y. J. L. Derrien, imprimeur à Quimper. Notre Barde, on le voit, avait le sens de l'actualité et savait, à l'occasion,  battre le fer quand il est chaud. »
Ici, plus encore que dans la  Prise de Naples », le Barde développe son thème sur un mode humoristique pour évoquer le « bal » donné par Moreau à son adversaire :   

« Voilà donc Moreau en devoir de rassembler tous ses danseurs : Ils sont quatre-vine mille environ, avec un nombreux orchestre... »
Il s'agit, comme on dirait aujourd'hui, d'établir un record. Le vieux Kray est le premier fatigué et se décide it abandonner la partie qu'il voit perdue pour lui : En décampant, il maugréait : — Quelle terrible engeance que
«ces Français. — Je ne veux plus danser avec Moreau ; — Il me conduit beaucoup trop vite ».
Et le poète de conclure par cette exhortation à ses lecteurs et auditeurs Bretons :
t( Allons ! jeunes gens, courez à la fête — Et n'attendez pas cc votre reste, — Pour que l'on puisse dire un jour — Il y a  beaucoup de Moreau en Bretagne.
« Et vous, Morlaisiens, en vérité, — Puisque c'est parmi vous qu'il est né, — Resterez-vous à vous rebiffer — Au lieu d'aller au bal avec lui ?... »
It faut croire que les Morlaisiens ne montraient pas beaucoup d'enthousiasme — et nous le comprenons assez — pour ce genre de danse qui consistait à s'immoler, comme les conscrits de Plutueur chantés par Brizeux sur un autre ton, aux ambitions glissantes d'un nouveau César qui n'était pas celui de Vienne.
Et j'admets volontiers que mon aïeul, en proclamant dans le quatrain qui sert de conclusion aux notes explicatives de sa gwerz, que « la République durera autant que le monde », faisait assez figure de dupe et qu'il manquait de la plus élémentaire perspicacité en n'apercevant pas que, déjà — selon le vers célèbre de Victor  Hugo
« Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte. »

Cette chanson des « Triomphes de Moreau » m'a été communiquée en janvier 1914 par M. Allier, — décédé depuis, — alors trésorier de la Société Archéologique de Quimper et ancien conservateur de la Bibliothèque Municipale de Morlaix. M. Allier possédait de cette gwerz le seul exemplaire que je connaisse. Il l'avait citée, dans un inventaire sommaire des chansons bretonnes.

Sources.
An Oaled-n°39-1932.

Joseph Lohou (mars 2017 )