Le livre d'or des morts tombés pour la France, nul n'en a
jamais entendu parler. C'est un peu normal, puisqu'il
n'existe pas. Projet contemporain de la Grande Guerre, ce
"monument littéraire" n'a pas survécu aux années
30.
Il reste, au Centre des archives contemporaines de
Fontainebleau, des milliers de cahiers, un pour chaque
commune, où sont inscrits depuis les Années folles les
noms des soldats tombés au champ d'honneur*. Hauts- de-
Seine.net a enquêté.
Un monument littéraire de 120 volumes
Dès le début de la
guerre, en 1915, sur une initiative de Louis Martin, sénateur
du Var, la Chambre des députés décida, avec le concours
des communes, de réunir tous les noms des soldats morts
pour la France. En étaient exclus les soldats accidentés,
morts de maladies ou suicidés.
Une fois ces registres bouclés, inscription faite de chaque
nom, prénom, date et lieu de naissance, grade, jour et lieu
de la mort relatifs à chaque soldat tombé, le livre d'or
devait rallier son ultime destination, le Panthéon.
Estimé à environ 120 volumes, le "monument littéraire"
rejoindrait Victor Hugo.
Une rédaction laborieuse
Mais pour honorer la mémoire
de ces combattants, la Chambre ne voulait pas de ces cahiers
humbles, tapés ou rédigés par un secrétaire de mairie
appliqué, tout en pleins et déliés. De beaux volumes
luxueusement reliés, ornés de calligraphies, des
trouvailles artistiques feraient de ces pages crève coeur
un joli catafalque.
À cet effet, une loi fut votée par la Chambre, le 25
octobre 1919, des crédits alloués pour la rédaction dudit
livre d'or. Les communes sollicitées répondirent aux
questionnaires et la collecte des informations dura jusque
dans les années trente.
Rédaction laborieuse, car certains corps ne furent pas
retrouvés, d'autres portés disparus et des soldats furent
inscrits sur plusieurs communes. Les cahiers portent donc
ratures et rectificatifs comme autant de cicatrices sur les
corps des soldats mutilés. Les radiations laconiques, pour
cause de mort à la suite de maladies, parfois atroces comme
le tétanos qui prospérait dans la boue, ou d'accidents
horribles, exclurent également les blessés préférant le
suicide au lent coup de grâce donné par les rats dans un
trou d'obus.
Des morts oubliés à la veille de la seconde guerre
Combien sont devenus,
de ce fait qui n'était pas d'armes, SPF : sans Panthéon
fixe !
Quant à ceux qui obtinrent le triste agrément de voir
leurs noms inscrits sur le livre d'or, ils ne purent jouir
de cet honneur posthume.
Un concours fut organisé par le ministère des Pensions
pour choisir un artiste digne de réaliser l'ouvrage, lequel
conçut un projet, égaré en 1936 par les Beaux-Arts. Le
Parlement ne donna plus de crédits.
On avait oublié le livre d'or à la veille de la seconde
guerre mondiale, à la fin de laquelle un nouveau député,
Louis Marin, demanda la réalisation du livre d'or des
combattants de 39-45, croyant que celui de la première
guerre mondiale reposait en paix au Panthéon.
Mais pour ceux qui
veulent savoir combien de jeunes hommes ont payé le prix et
l'impôt du sang, ville par ville, village par village, les
vieux cahiers jaunes, humbles et dépenaillés sont toujours
là, au Centre d'archives contemporaines de Fontainebleau.
Sources
Pour tout savoir sur
l'histoire du livre d'or des soldats tombés au champ
d'honneur :
la Revue historique de l'armée, n° 2, 1973.Alain
PAUL.(http://rha.revues.org/)