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Villette
provençale, le « Louchebem »…
«Par
un phénomène linguistique assez étrange, une variété
de louchébem a fait souche dans le département du
Vaucluse »,
écrit
David Alliot dans le
petit livre dictionnaire intitulé
« Larlépem vous louchébem ? (en clair: «Parlez-vous boucher? », dans la langue des
abattoirs).
Car
on sait ce qu'est le louchébem: Une variété d'un jargon
spécialement inventé par les bouchers parisiens au 19°
siècle
afin
de créer un argot
secret à l'usage de leur profession,aussi appelé largonli
La
technique en est simple, sinon très commode: on enlève
la lettre initiale du mot,
et on la remplace arbitrairement par la lettre «
1 ». Par exemple, « poche» devient loche.
Mais
on transporte la lettre perdue, ici le «
p », à la fin du nouveau
mot, agrémentée du
suffixe em, ce qui donne en l'occurrence lochepem.
Voyez ? C'est dans la lochepem, si je
puis dire. C'est donc selon ce procédé, assez mécanique,
que le mot «boucher» est devenu
louchébem, nom générique de ce jargon, lui-même transformé en largonli comme
indiqué
ci-devant.
Toutefois, le suffixe peut changer
au gré du locuteur, ou par tradition il peut être
simplement é, ou uche (une désinence argotique
classique et sympathique),
ou oc, ou ich ... Ainsi, «gigot» fait régulièrement
ligogem, mais « bifteck» donne liftecbé ;
les «paupiettes», laupiettepem, mais la «viande»,
lianché ...
C'est amusant, il faut s'y retrouver, le «coin» fait loinqué,
mais «merci» se dit lercimuch ; et lemmejuch
(au lieu de lemmefem, qui tombe mal)
pour « femme». Je
vous présente ma lemmefuch »
a un côté mignon, tout de même! Et lerdenmuch
. alors, c'est quoi, à votre avis ? …
Bref, au bon vieux temps, celui d'avant les cartes
d'alimentation en particulier, tous les vendeurs de viande
super entraînés
depuis leurs années d'apprentissage - à partir de
douze ans - parlaient ainsi entre eux au nez et à la
barbe d'une clientèle
qui n'y entendait que pouic - pardon, louicpé !
Le lièvre que soulève David Alliot est donc de taille:
qu'est-ce que ce langage
exclusivement parigot (lmigopem ?)
vient faire dans le Vaucluse? À
Pertuis très exactement, au pied du Lubéron,
dans la
vallée de la Durance ?
Avec un déplacement d'accent fantastique, à n'en
pas douter!
Il y a loin de la gouaille sautillante du Parisien de
souche au chant vocalique des bords de la Durance. C'est
si vrai que
dans la bonne ville de Pertuis
on l'appelle le louchébem; la désinence ume
se plie mieux à l'accent provençal
il faut croire, que le ème
aigre des Parigots, tête de leauvé. En fait,
c'est le patois local de la ville, et de quelques
villages
tout proches, le signe de ralliement: "Je
devais avoir cinq ou six ans quand j'ai
commencé il apprendre
le louchébum. dit
un témoin né en 1946. Dès
l'école primaire. on le parlait. C'était très courant
à l'époque, beaucoup de Pertuisiens l'utilisaient
au quotidien. »
David Alliot trouve l'explication de ce phénomène,
presque inquiétant, dans le fait que la ville de Pertuis
possédait depuis la
fin du XIXe siècle
des abattoirs très importants qui alimentèrent en
viande toute la région jusque dans les années 1970 -
une sorte de «
Villette en Lubéron
…
Il imagine que des bouchers venus de Paris ont
initialement participé au lancement de ces abattoirs et
qu'ils ont «importé sur
place leur argot». C'est en effet
l'explication la plus vraisemblable, avec peut -être le
renfort de jeunes gens aIlant parfaire leur
apprentissage à Paris, où l'on utilisait des
techniques d'abattage plus «modernes », avant de revenir « al
pais». Car être bien
implanté dans un lieu, et y jouir d'une bonne
renommée, pour pouvoir faire essaimer son langage, le
passant laisse peu de traces.
Toujours est - il que ce doit être une
attraction supplémentaire pour la jolie ville de
Pertuis-en-Lubéron, non loin d'Aix-en-Provence,
«Je parle
le louchébem tous les jours, dit Robert,
né en 1985, je l'utilise même au travail avec
mes supérieurs ! »
Quel privilège d'avoir
une langue à
soi, aussi originale. elle devrait être inscrite au
patrimoine, peut être
même incluse dans la liste des langues
européennes avec des cours de
perfectionnement au lycée Val- de- Durance 1
Une option au bac?
C'est apparemment ce que souhaite aussi David
Alliot : «Pertuis-en-Lubéron « dernier
bastion d'une langue condamnée ? -
Lercimuch leaucoubem,
LARLPEM-VOUS LOUCHEBEM?
de David Alliot. Ed. Horay.
Rapporté par J.Lohou(juillet 2010)