Lettre d’Oscar Wilde à Lord Alfred Douglas :
« Votre amour est la lumière de toutes mes heures. »
Il
y a certaines lettres qui nous bouleversent, d'autres que l'on croirait
écrites pour nous, d'autres encore qui nous renversent, nous émeuvent,
nous font sentir vivants. Cette lettre de Wilde, né ce jour en 1854,
c'est un peu tout ça à la fois.
Mon enfant chéri,
Ce
mot est pour vous assurer de mon immortel, de mon éternel amour pour
vous. Aujourd’hui l’on va décider de mon sort. Si la prison et le
déshonneur doivent être ma destinée, pensez que mon amour pour vous et
l’idée, croyance encore plus divine, que vous m’aimez en retour, me
soutiendront dans mon malheur et me rendront capable, je l’espère, de
supporter ma peine avec plus de patience. Puisque l’espoir, je dirai
plutôt la certitude, de vous retrouver un jour est le but et
l’encouragement de ma vie actuelle, il me faut à cause de cela
continuer à vivre en ce monde.
Le
cher… est venu me voir aujourd’hui. Je l’ai chargé de plusieurs
messages pour vous. Il m’a fait une promesse qui m’a rassuré, à savoir
que ma mère ne manquerait jamais de rien. Comme j’ai toujours pourvu à
sa subsistance, penser qu’elle pourrait avoir à subir des privations me
rendait malheureux. Quant à vous (gracieux enfant au cœur de Christ),
quant à vous, je vous supplie de partir, dès que vous aurez fait tout
ce que vous pourrez, de partir pour l’Italie, de récupérer votre calme
et d’écrire ces ravissants poèmes que vous composez avec tellement de
grâce étrange. Ne vous exposez sous aucun prétexte à la vindicte de
l’Angleterre. Si, un jour, soit à Corfou, soit en quelque autre île
enchantée, il est une petite maison où nous puissions vivre ensemble,
oh ! la vie serait plus douce qu’elle ne le fut jamais. Votre amour a
de grandes ailes et de la force : il vient à moi malgré les barreaux de
ma prison et m’encourage. Votre amour est la lumière de toutes mes
heures. Si le sort nous est contraire, ceux qui ne connaissent pas
l’amour écriront, je le sais, que j’ai eu une mauvaise influence sur
votre vie. En ce cas, vous répondrez, vous écrirez à votre tour qu’il
n’en est rien. Notre amour fut toujours noble et beau et, si je suis
l’objet d’une effroyable tragédie, c’est parce que l’on n’a pas compris
la nature de cet amour. Dans votre lettre, ce matin, vous dites quelque
chose qui me donne du courage. Il faudra que je me le remémore souvent.
Vous écrivez qu’il est de mon devoir, pour vous et pour moi-même, de
vivre malgré tout. Je pense que c’est exact. Je l’essaierai – et je
réussirai. Je désire que vous informiez de vos déplacements Mr.
Humphreys afin qu’il puisse, quand il viendra, me dire ce que vous
devenez. Je crois que l’on permet aux avocats de voir les prisonniers
assez souvent. Ainsi je pourrai communiquer avec vous. Je suis si
heureux de penser que vous êtes parti ! Je sais ce qu’il a dû vous en
coûter ; mais il eût été angoissant pour moi de penser que vous étiez
en Angleterre pendant que l’on citait votre nom au tribunal. J’espère
que vous avez des exemplaires de tous mes livres. On a vendu tous ceux
que je possédais. Je tends les bras vers vous. Oh, puissé-je vivre pour
caresser vos cheveux et vos mains ! Je pense que votre amour va veiller
sur ma vie ; mais, si je meurs, je veux que vous meniez une existence
douce et paisible, agrémentée de fleurs, de tableaux, de livres et de
beaucoup de travail. Tâchez de me faire parvenir bientôt de vos
nouvelles. Je vous écris cette lettre du fond d’une grande douleur ;
cette longue journée au tribunal m’a exténué. Enfant chéri, oh ! vous,
le plus délicieux des jeunes gens, le plus aimé, le plus aimable,
attendez-moi, attendez-moi ! Je suis à présent, comme je l’ai toujours
été depuis que nous nous connaissons, dévotieusement et avec un amour
immortel, vôtre.
Oscar.