Introduction
Les Lavoirs d'Antan ; un monde de femmes
Autrefois, pour
les femmes, le jour de la lessive était un événement important
: cette opération n'avait lieu, en général, qu'une ou deux
fois par an. On lavait le linge accumulé depuis plusieurs mois,
ce qui supposait plus d'une journée entière d'un travail
harassant. Cette rareté des lavages obligeait les maisonnées à
emplir leurs armoires d'impressionnantes piles de linge. Sans
aller jusqu'à compter le nombre de draps, de torchons ou de chemises,
chacun se souvient des trousseaux d'antan !
Au jour voulu du
printemps ou de l'automne, les femmes se mettaient au travail en
s'entraidant naturellement. Certaines faisaient appel à une
lavandière. Métier particulièrement pénible, car
elle vivait dans la buée, les pieds mouillés, les mains fripées
et déformées par les rhumatismes. Après avoir coulé la lessive dans la
buanderie, opération longue et délicate, venait alors le rinçage
au lavoir. Des lavoirs étaient aménagés le long de certaines rivières
où les femmes se rendaient en cortèges pour rincer les lessives
familiales. Dans certains villages éloignés de la vallée, le rinçage
s'effectuait à la mare communale ou à la fontaine.
A
Callac à
partir de 1920, les édiles firent construire trois lavoirs couverts,
à niveau d'eau constant, à Guerhallou, au Costang et à
Pont-ar-Vô. Les lavandières, relativement nombreuses,
constituaient un monde à part dans cette petite cité
et les "nouvelles" circulaient vite ; leur réputation de cancanière
était bien établie.
L'animation
commençait tôt le matin. Les paniers de linge mouillé étaient descendus
de la brouette ou de la charrette. On déchargeait aussi le seau et le
baquet dans lequel on faisait dissoudre la "tototte" de bleu (boule de
bleu emmaillotée de chiffons). La lessivière attendait parfois que soit
libre sa place préférée. A la mare, elle convoitait l'endroit où l'eau
était la plus claire. Les anciens se rappelle des demies caisses en
bois, souvent remplie de paille, où les lavandières s'aguenouillaient.
Elle se mettait
alors au travail: d'un geste preste, elle lavait la pierre, trempait
son linge dans l'eau claire, le ressortait, le tordait, le battait à
l'aide de son battoir pour en exprimer l'eau savonneuse, puis
recommençait jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de traces blanchâtres
dans l'eau...
La lessive
terminée, il fallait remonter les brouettes chargées de linge. Il
séchait au grand air, parfois étendu sur l'herbe, s'imprégnant du
parfum subtil de l'air environnant. Voilà pourquoi les lourdes armoires
de nos grand-mères fleuraient bon mille senteurs champêtres.
Situé
sur le petit ru qui prend sa source au village de Kerroux, le lavoir du
Costang
au bas de la rue
Traversière, près de la tannerie Lucas, était
autrefois très fréquenté.
On distingue sur la droite, la tannerie des Guilloux, une famille
originaire de Guerlesquin,
qui plus tard devint la tannerie Lucas.
Le
lavoir de Guerhallou(vers 1925)
Situé au bas de la rue du Dr Quéré, alimenté une source
naturelle, le lavoir de Guerhallou
dessert toute la partie basse de l'ouest de la ville.
La fontaine, maintes fois rénovée, avait une excellente réputation
et les vieux callacois, bien avant l'évènement des eaux en bouteilles,
venaient s'approvisionner en eau de boisson pour la semaine.
Le
lavoir de Pont ar vau(vers 1910), dans sa forme primaire avant la
construction de le nouvelle structure en dur vers les années 1920.
Alimenté par le même ruisseau que celui du Costang, étant en aval en
bas de la côte de Botmel, le lavoir de Pont ar Vau ou Pont ar Vô, dont
la signification nous échappe encore, malgré les recherches dans les
livres et recueils de toponymie divers.
Nous priviliégieons "Pont ar Vau ou Vô" ou Bod qui signifie "hêtre", mais
sans en être certain, car la toponymie celtique se prête à bien des
interprétations(Voir "L'identité bretonne de Jean Marie Plonéis aux
Éditions du Félin.)
Une autre vue du lavoir de Pont ar Vô prise en direction de Botmel.(Vers 1910)
Les métiers disparus
(*) Voir glossaire en fin de texte.
Voici
un texte qui provient d'une autre région de France, l'Auvergne, et qui,
sous d'autres appellations décrit ces métiers aujourd'hui
disparus.
Les
lavandières étaient appelés péjorativment "Les Poules d'Eau",
elles lavaient tantôt ici, tantôt là, partout où les gens les
demandaient. La coutume voulait qu'une laveuse à domicile apporte sa
brosse en chiendent, l'employeur la nourrissait en contrepartie.
Comme
en Bretagne, le linge n'était décrassé que deux fois l'an, en avril et
en automne. Cela nécessitait une réserve impressionnante de draps, de
taies, de torchons, de mouchoirs...
Le lavage ne se faisait qu'à la cendre de bois et pas n'importe
laquelle, il fallait éviter celle de chêne et de châtaignier dont le
tanin aurait taché le linge !
N'importe
quelle lavandière savait que les racines de saponaires(*) ajoutées à la
charrée(*) valaient le meilleur des assouplissants tandis que des rhizomes
d'iris parfumaient délicieusement la lessive.
Le
lieu de lessivage se situait toujours au bord d'un étang, d'une
rivière ou au lavoir communal. La veille, les ballots de linge
s'entassaent et la cendre était remontée de la cave.
Le
premier jour était consacré à l'essange(*) et au trempage. La laveuse
débourrait le linge d'un rapide savonnage et d'un coup de brosse ;
ensuite, elle rinçait; le tirebouchonnait en boudins qu'elle jetait
dans un baquet.
La véritable lessive se faisait le lendemain. Du haut de son trépier(*),
le cuvier(*) ouvrait sa bonde(*) sur une gouttière par laquelle son eau
s'écoulait dans la casse(*) de la chaudière, où elle bouillait. Au
fond du cuvier, un vieux drap condamné à finir en torchons, un sac de
cendre bien ficelé et par dessus, jusqu'à ras bords, le linge
débouchonné. Avec une puissete(*) à long manche, la laveuse retirait l'eau
bouillante de la casse pour la reverser sur le cuvier. Cette eau
traversait le linge et la cendre avant de s'échapper par la gouttière
et de retourner à la casse, d'où elle était repuisée et reversée sur le
linge. L'échaudage(*) ne cessait qu'au moment où les lavures
ressortaient brûlantes de la bonde, ce qui indiquait la parfaite
propreté du linge. La laveuse rendait son linge "un peu tordu" afin
d'en faciliter le transport vers l'étang, la rivière ou le lavoir
communal.
Le
lavoir communal ressemblait à une basse-cour où venaient caqueter
toutes "les poules d'eau" . Chacune d'elles apportaient son lot de
linge sur sa brouette. Elles se prosternaient dans un "cabasson" garni
de paille (sorte de caisse pourvue, sur le devant, d'une tablette
rainurée). Dans d'autres endroits, elles s'agenouillaient coude à coude
derrière les larges planches du rebord qui s'enfonçaient dans l'eau.
Elles
rinçaient dans l'eau courante en touillant le linge avec une longue
perche. Les grosses étoffent étaient essorées à coup de battoir. Le
linge était ensuite étendu sur des trétaux pour égouter en s'allongeant
sur lui-même, sans se chiffonner ni casser ses fibres.
Les
lavandières étaient payées à l'heure. Les soirs d'hiver, elles ne
rentraient qu'aux lampes allumées. Les lavages ne s'interrompaient qu'à
la saison des grands gels.
Glossaire.
- Saponaire,
plante dont on fait bouillir les feuilles dans l'eau pour nettoyer les
lainages, lesdentelles,etc. (saponaria officinalis, L.), genre de la
famille des caryophyllées, dont la saponaire est le type.
- Charrie, drap de grosse toile sur lequel, dans la lessive, est placée la charrée (charrée ; bourguig.charroi.)
- Essange, action d'essanger le linge, décrasser du linge dans de l'eau, avant de le mettre à la lessive.
- Trépied, ustensile de cuisine à trois pieds, se dit, en général, de tout meuble à trois pieds.
- Casse, étymologiquement identique à caisse.
- Bonde; le morceau de bois qui sert à boucher la bonde, ouverture destinée à laisser écouler l'eau d'un baquet ou tonneau.
- Cuvier, cuve pour la lessive.
- Puisette, en Berry, petit seau.
- Échaudage, action de passer l'eau chaude à travers le linge.
Ce texte, d'un auteur inconnu, nous a été aimablement communiqué par M. André LOHOU.
Le laborieux ballet des battoirs.
"A croupetons sur la pierre
Des vieux doués de chez nous,
Comme faisant leur prière,
Les femmes sont à genoux..."
Théodore Botrel, Les Cancans du lavoir.
Le
lavoir a ses règles : les places des professionnelles sont réservées et
gare aux usurpatrices. Le dimanche est jour de repos, où on laisse
l'eau s'éclaicir. Quand au lundi, c'est généralement le "jour de buée"
des particuliers.
Les blanchisseuses bretonnes ont une sombre déclinaison dans le peuple
des légendes. Sur les landes marécageuses, les "kannerezed noz"
-lavandières de la nuit- supplient le passant attardé de les aider à
essorer leurs draps. ce sont des "anaon", âmes condamnées à laver des
linceuls du coucher au lever du soleil. Gare au malheureux qui,
reconnaissant une parente défunte accède à la demande : s'il ne prend
garde à tourner dans le même sens que la femme pour éviter de tordre le
suaire, c'est son propre corps qu'il tordra dans le linceul.
Il s'effondrera, vidé de son sang...
(A suivre)
J.Lohou(26.12.2010)
Joseph Lohou(Dc. 2010)
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