Callac-de-Bretagne

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Les élections cantonale à Callac en 1867.







                          La Bretagne et la République.

 « Les hommes ont tellement pris l’habitude d’obéir à d’autres

hommes, que la liberté est, pour la plupart d’entre eux, le droit de

n’être soumis qu’à des maîtres choisis par eux-mêmes. »


Condorcet[1]



Marie Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet, né le 17 septembre 1743 à Ribemont et mort le 29 mars 1794 à Bourg-la-Reine, est un philosophe, mathématicien et politologue français


 

Le modèle républicain s’est imposé en France dans la seconde moitié du 19ème siècle ; Ce modèle se définit comme un « écosystème social dont tous les éléments sont en symbiose les uns avec les autres : représentations mentales, fondements philosophiques, références historiques, valeurs, dispositions institutionnelles, organisation et structures sociales, pratiques politiques. »

 

La Bretagne n’accepte que tardivement ce modèle républicain et reste longtemps opposée à ses constituants. L’image traditionnelle d’une Bretagne « chouanne » conserve cette représentation qui trouve sa source dans la profonde
influence de l’Église catholique dans la région. Le catholicisme dominant expliquerait l’opposition à la République laïque de J. Ferry puis des radicaux. En réalité, l’attitude de la Bretagne face au modèle républicain mérite d’être nuancée ; néanmoins, la République est majoritaire en Bretagne dès 1881, les conservateurs étant  distancés par les républicains.

L’influence des élites administratives dans les élections locales.

 

Nous sommes en 1867, et depuis le coup d’État  du 2 décembre 1851 et le « sénatus-consulte[2] » du 7 novembre 1852, Louis-Napoléon[3], empereur des Français sous le nom de Napoléon III règne sur la France et est fort occupé à soutenir en Italie les troupes pontificales contre le républicain GARIBALDI[4].

En France et dans l’arrondissement de Guingamp, le sous/préfet en place, M. Geffroy de Vieuxville s’apprête à étudier l’élection des conseillers d’arrondissement, plus simplement appelée « élection cantonale ». Dans une lettre citée ci-dessous, il s’adresse au préfet des Côtes-du-Nord, M. DEMANCHE pour lui demander son avis sur les candidats pressentis du canton de Callac.

 

Cette curieuse lettre du 25 juin 1867 semble avoir échappé à la « censure » des services de la sous/préfecture de Guingamp ; le sous-préfet M. Geffroy de VIEUXVILLE porte sur les deux personnes citées, M. Claude LANCIEN et M. François VAUCHEL, ce dernier qu’il nomme par erreur « DEVAUCHEL, des jugements relativement abusifs et sévères, à la limite de la désinformation. Son informateur présumé est un notaire de Callac, M. Joseph François Louis BINET, morbihannais originaire de Guéméné et gendre de  M. Pierre Marie JORET, maire de 1859 à 1865,  commerçant en fers et guingampais d’origine ; des personnalités allogènes à la population locale callacoise.
Ce dernier, M. JORET est un adversaire politique de M. Pierre Marie GUOT, notaire,  personnage influent et qui vient de lui succéder aux fonctions de maire. M. Claude LANCIEN, huissier,  est un proche de M. GUIOT[5], nota





Lettre du S/Préfet de Guingamp, Monsieur Geffroy de VIEUXVILLE à Monsieur Le Préfet des  Côtes-du-Nord, M. DEMANCHE.

 

« Guingamp le 25 juin 1867.

Monsieur le Préfet.

Conformément au désir exprimé dans votre dépêche du 18 de ce mois, j'ai l'honneur de vous faire connaître que, jusqu'à ce moment, on ne sait pas encore bien clairement dessiné dans le canton de Callac sur les candidatures aux prochaines élections pour la nomination d'un conseiller d'Arrondissement en remplacement de Monsieur L'HÉLIAS[6] décédé.

 

 J'ai entendu prononcer deux noms : ceux de Messieurs LANCIEN[7] et DEVAUCHEL[8] s'il est vrai que ces deux personnes aient la pensée de se mettre sur les rangs, ils me paraissent devoir être repoussés énergiquement par l'administration, et, pour vous éclaircir à ce sujet, je crois devoir vous transmettre des informations sur chacun.

 

 Monsieur LANCIEN est huissier à Callac même, c'est un homme peu aimé, peu estimé, d'un esprit tracassier, se faisant craindre, mais jouissant d'une assez triste réputation ; il était autrefois trésorier du conseil de fabrique ; ayant eu en main un maniement de fonds assez important, il n'a pu justifier de l'emploi d'une somme de huit mille francs ; et, après des discussions qui ont duré plusieurs années et dont le conseil de Préfecture, dont il était bien connu, a eu plusieurs fois à s'occuper ; il n'a pu en sortir qu'en transigeant au moyen d'un paiement d'une somme assez forte que le conseil s'est enfin décidé à accepter pour terminer une aussi fâcheuse affaire. Monsieur LANCIEN est connu et apprécié du Parquet[9] ; et, dans ces conditions, je ne comprendrais même pas qu'il eu le courage de se mettre en avant, il ne pourrait être appuyé que par Monsieur le Maire[10] de Callac avec lequel il se trouve constamment en relations d'affaires.

 

   Quant à Monsieur DEVAUCHEL, cultivateur à Carnoët, c'est un paysan riche, assez intelligent et ayant une certaine instruction, mais peu convenable pour faire un conseiller d'arrondissement, et dans une position de famille telle qu'il ne saurait être accepté tout en n'étant pas responsable des fautes des siens, ainsi son père, ancien Maire de Carnoët,  a été révoqué de ses fonctions et a passé en cours d'assises ; une de ses cousines a aussi passé en cours d'assises sous l'inculpation d'assassinat de son mari.

 

 Pour moi je suis donc fortement d'avis de repousser de tout notre pouvoir ces deux candidatures.

 

    Le canton de Callac est fort difficile et n'est pas très riche en hommes. J'ai parlé à Monsieur BINET[11], notaire à Callac, ancien adjoint, et l'ai fortement engagé à se porter comme candidat, il accepté, mais à la condition formelle d'avoir l'appui de l'administration, et d'être ouvertement soutenu par elle.

  C'est un homme capable, instruit, zélé, actif, fort intelligent, très dévoué au Gouvernement et dont le concours le plus entier n'a jamais fait défaut à l'administration ; il est d'une grande intégrité, et, plus que personne apte à remplir cette mission. Pour mon compte personnel ce serait un excellent choix, et je serais fort heureux de le voir arriver au conseil d'arrondissement, il est particulièrement connu du Colonel de la JAILLE[12] qui pourrait au besoin vous renseigner à son sujet.

 

 Connaissant particulièrement Monsieur BINET et ne voulant lui occasionner aucun désagrément, ce ne serait que si vous consentiez à l'accepter qu'il poserait ouvertement sa candidature. Je vous demanderais alors l'autorisation de le patronner auprès des Maires du canton.

 

    Veuillez agréer, je vous prie, Monsieur Le Préfet, l'assurance de mon profond respect et de mon entier dévouement;

 

Le Sous Préfet.

Le Baron G. de VIEUXVILLE des ESSARTS »

 

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SOURCES.

  1. AD 22- Série 



[1] CONDORCET, Marie Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet, né le 17 septembre 1743 à Ribemont et mort le 29 mars 1794 à Bourg-la-Reine, est un philosophe, mathématicien et politologue français

[2] Sénatusconsulte -[Sous le Consulat et l'Empire] Acte émanant du Sénat-conservateur et ayant force de loi.

[3] LOUIS-NAPOLEON BONAPARTE, dit Napoléon IV, surnommé « Badinguet », (20 avril 1808 - 9 janvier 1873), est le premier président de la République française, élu le 10 décembre 1848 avec 74 % des voix au suffrage universel masculin, ainsi que le troisième empereur des Français (1852-1870 sous le nom de Napoléon III à partir du 2 décembre 1852. Il est donc à la fois le premier président de la République française et le dernier monarque français.

[4] GARIBALDI, Guiseppe,(°1807 Nice-1882 Caprera), homme politique italien, surnommé « Le héros
des deux mondes ».

 

[5] GUIOT,- Les GUIOT, une saga familiale »-Cet article a été publié dans "Histoire et Généalogie" du Cahier du Poher( KAIER AR POHER) -n° 15-Décembre 2005.

[6] HÉLIAS(L’), Jacques, maire de Calanhel.

[7] LANCIEN, Claude François Marc (°Duault 1808), huissier.  Fils de Jean Louis (°1769 Plougonver) et de  Marie Joseph THOMAS (°1772 Duault)  .  Claude  s'était marié à  Callac en 1836 avec Marie Noëlle  SORNET, fille d'un ex-gendarme originaire de BOZ  dans L'Ain, devenu par la suite commerçant  sur la place de  Callac...

[8] VAUCHEL, François (Carnoët 1834), fils de Jean François VAUCHEL, maire de 1834 à 1853.

[9] PARQUET, Lieu où les officiers du ministère public tiennent leur séance.

[10] GUIOT,Pierre Yves Marie (Callac 1811-1886), personnage fort influent, notaire, maire de Callac de 1840 à 1852, puis de 1865 à 1885, conseiller général du canton de 1848 à 1852.

[11] BINET, Joseph François(°Guéméné-56-1818-Callac 1887), notaire.

[12] JAILLE de la, François Charles (°Bois Mahaut, Guadeloupe 1822- Ploujean 1889), gendre d’Émilie Barbe Marie GUITTON, originaire de Callac et collaboratrice de  Théodore HERSSART de la VILLEMARQUÉ, auteur controversé du « Barzaz Breiz ».










Joseph Lohou (avril 2011)  (janvier 2013)  

















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