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Jules FERRY n’est pas celui qu’on croit.
A son arrivée à la présidence de la République, François Hollande a
donné le ton et le branle : au premier plan de ses préoccupations et de
ses discours, l'école, et d'abord l'école primaire.
Dès lors, tout le monde en parle. Mais comment en bien parler ?
C'est simple, mais ce n'est pas facile. Une formule court sur toutes
les lèvres, y compris les plus autorisées, les plus officielles, les
plus qualifiées : « l'école gratuite, laïque et obligatoire ». Son
histoire reste à faire. Elle n'est pas originelle : ce n'est pas
ainsi que parlaient Jules Ferry et les parlementaires de son époque.
Elle contient plusieurs erreurs ou confusions. Elle mélange ce qui doit
être distingué.
En premier lieu, l'école n'a jamais été obligatoire. C'est
l'instruction qui est obligatoire, sous peine de sanctions pour les
parents qui ne la donneraient pas ou ne la feraient pas donner à leurs
enfants. L'école est une forme de socialisation qu'aucun texte
n'impose. L'instruction peut être donnée à la maison, en famille et par
les parents ou par un précepteur, sous le contrôle de l'administration
chargée de veiller à sa réalité et à sa qualité. Peu connue, peu
utilisée, peu médiatisée, cette latitude doit se limiter à quelques
centaines d'enfants, parmi lesquels un certain nombre de handicapés
physiques ou mentaux.
Par ailleurs, ce n'est pas l'instruction primaire qui est gratuite,
mais l'école publique communale, école de garçons, puis école de
filles, et finalement l'école mixte, dans une France (au prix librement
fixé par leur directeur) les classes primaires de l'enseignement privé,
paroissial ou congréganiste (dans le cas catholique), de l'enseignement
privé non confessionnel ou même des petites classes des lycées publics.
Les réorganisations des dernières décennies n'ont pas remis en cause
cette situation.
Reste enfin la question la plus confuse, concernant le caractère laïque
des établissements scolaires. Tout établissement peut s'afficher
laïque, mais seuls les établissements publics sont astreints
à cette obligation. Encore faut-il s'entendre sur cette laïcité.
Longtemps, elle a reposé sur une sorte de division du travail entre
l'instituteur et le curé : l'article 30 de la loi du 9 décembre 1905
sur la séparation des Églises et de l'État interdit l'instruction
religieuse pendant les heures de classe, un jour étant laissé vacant
pour la permettre.
La laïcité porte sur l'école
(le bâtiment), le personnel, le programme et la pédagogie. Elle inclut
les faits religieux en tant que faits (historique, littéraire, social,
politique) sans se prononcer sur leur vérité ou leur autorité
proprement religieuse. Sur ce fond assuré, elle est largement
tributaire de la culture et de la personnalité des enseignants comme
des flottements dans le vocabulaire et la pensée des usagers. Il faut
être clair : l'affirmation de la laïcité de l'enseignement public n'a
jamais remis en cause la liberté de l'enseignement privé, aujourd'hui
reconnu (depuis 1976) comme un principe constitutionnel.
Question subsidiaire, agitée par la 46° des propositions du candidat
François Hollande : peut-on, faut-il constitutionnaliser la Loi de
1905, c’est-à-dire la séparation des Églises et de l’État ? En sa
première formulation, qui ignore les régimes particuliers de l'Alsace-
Moselle (celui dit « concordataire »)
et de l'outre-mer, certainement pas.
En maintenant conditionnellement ces exceptions - « tant qu'il n'aura pas été disposé autrement par la loi » -, pourquoi pas, après tout ? Rien n'urge, rien n'y pousse, rien ne s'y oppose.
Notre situation présente nous oblige ainsi à ne pas confondre séparation et laïcité.
Notes.
Émile POULAT, ( ° 1920) historien et philosophe français -Directeur
d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, il est
également directeur de recherche au CNRS et historien de l'Église
contemporaine. Il est l'un des membres fondateur du Groupe de
sociologie des religions, directeur et membre des comités de rédaction
de plusieurs revues dont "Politica hermetica1".
Ses recherches portent surtout sur le conflit entre culture catholique
et culture moderne dans l'histoire du catholicisme contemporain1. Il
est spécialisé sur la question de la crise moderniste et s'est
également intéressé à l'antimaçonnisme et la laïcité.
Annexe-1.
Jules Ferry est la personnalité dominante des premiers gouvernements
républicains de 1879 à 1885, en charge soit de l’éducation nationale,
soit des affaires étrangères. Plutôt qu’une révision profonde de la
constitution, il est le partisan d’aménagements.
Son objectif principal est de mettre en place une école républicaine
qui forme des citoyens éclairés. Il oblige chaque département à se
doter d’une école normale d’instituteurs (1879), puis établit la
gratuité de l’enseignement primaire (1881), son caractère obligatoire
(1882). l’instruction religieuse ne peut être dispensée qu’en dehors du
cadre scolaire : un jour sans école est instauré le jeudi.
Il développe les libertés collectives : liberté de la presse (1881),
liberté syndicale (1884) et élection des maires par les conseils
municipaux (1884). Seule Paris reste sous la tutelle de son préfet :
elle ne pourra élire son maire qu’à partir de 1976.
Enfin, les libertés individuelles ne sont pas oubliées : possibilité de
divorcer, mais pas encore par consentement mutuel (1884) et liberté des
funérailles (1887).
Joseph
Lohou(mai 2012)