Callac-de-Bretagne

retourPage d'Accueil




Le numéro d’identité

Nous avons pensé qu’il serait utile aux lecteurs de ce site de rappeler l’histoire originale du numéro que chacun  et chacune porte sur ses documents de Sécurité sociale, carte vitale et livrets de retraite

 


« Le numéro d’identité, qualifié naguère de national, est plutôt connu des Français sous le nom de « Numéro de sécurité sociale », que lui vaut son utilisation fréquente dans les formalités liées à cette institution : remboursement de frais de maladie, hospitalisation, liquidation des retraites, versements de prestations familiales… et paiement des salaires. Son usage est également répandu dans l’administration de l’Éducation nationale, et de nombreux jeunes gens en ont pris connaissance en s’inscrivant à un examen scolaire ou universitaire.

Rappelons qu’il est constitué de treize chiffres, entièrement déterminés au moment de l’entrée de la déclaration de naissance dans le répertoire d’identification, et ainsi organisés :

  • Le premier est 1 pour le sexe masculin, 2 pour le sexe féminin ;
  • Les deux suivants sont les derniers chiffres de l’année de naissance ;
  • Les deux suivants correspondent au mois de naissance, de 01 à 12 ;
  • Les deux suivants correspondent au code du département de naissance (99 pour l’étranger), en vigueur au moment de la naissance[1] ;
  • Les trois suivants correspondent de même au numéro de la commune (ou du pays) de naissance, selon l’ordre alphabétique dans le département[1] ;
  • Les trois derniers sont un numéro dans le répertoire, à l’intérieur de l’année pour les petites communes, du mois pour les grandes.


Ce numéro est aujourd’hui complété par une « clé[2] » à deux chiffres, qui permet de détecter la plupart des erreurs de transcription, notamment toutes celles portant sur un seul chiffre, et toutes celles résultant de la permutation de deux chiffres.

Un numéro de treize chiffres permet de distinguer dix mille milliards d’individus ( dix puissance treize), chiffre bien supérieur au nombre total de naissances humaines depuis la nuit des temps. Mais on aura observé que tous les arrangements de chiffres ne sont pas envisageables :

·         Le premier chiffre est « 1 » ou « 2 » ;

·         Il n’y a que douze mois…

 

     Quant à prévoir 1 000 communes par département, et 1 000 naissances mensuelles par commune, c’est plus qu’il n’en faut le plus souvent : il y a 36 000 communes en France métropolitaine, ce qui conduit à une moyenne de quelque 400 communes par département, et de …2 naissances mensuelles par commune. Mille naissances mensuelles, soit environ le soixantième du total national, cela pourrait arriver dans les communes d’environ un million d’habitants- encore que les arrondissements de Paris constituent, pour l’état civil, des communes riches en maternité ou en hôpitaux. Dans ce cas, on attribue un deuxième numéro de code à la commune.

Chose rare pour une institution administrative, l’ inventeur  du numéro d’identité est parfaitement connu, de même que les circonstances de son invention, qui ne sont liées ni aux besoins de la Sécurité sociale, ni à ceux de l’Éducation nationale, mais à ceux du Recrutement militaire.
Chose encore plus rare, cette invention trouva du premier coup sa forme définitive, sans tâtonnement d’aucune sorte..

L’inventeur est René CARMILLE{
3], polytechnicien de la promotion 1906, contrôleur général de l’Armée, maître de conférences d’économie à l’École libre des Sciences politiques. Pendant l’Occupation, CARMILLE était fonctionnaire de l’État français, et militait secrètement dans la Résistance (réseau Marco Polo). Arrêté à Lyon en février 1944, sur dénonciation, et déporté au camp de Dachau, il y mourut le 25 janvier 1945.

François René CARMILLE, (° Trémolat, 08.01 1886- Dachau-Allemagne 25.01.1945),



  Après l’Armistice de 1940, qui interdisait à la France d’avoir une armée, il avait obtenu de camoufler un service de recrutement militaire en un prétendu « Service national de démographie », dans lequel furent affectés de nombreux militaires de l’intendance. Celui-ci fut fusionné l’année suivante, avec l’ancienne »Statistique générale de la France » (SGF). Pour les besoins du fichier de recrutement, établi à partir des registres de naissances conservés dans toutes les mairies de France, fut inventé le numéro national, et la logique de camouflage fit aussi relever les naissances féminines. Les filles furent cependant distinguées des garçons par le premier chiffre du numéro.

CARMILLE indique que  l’établissement du Répertoire général de tous les Français, commencé en avril 1941, a été terminé au mois d’août de la même année. Puis il poursuit :
Il est intéressant de signaler que l’idée d’identifier tous les individus par un numéro chiffré rappelant le lieu et la date de naissance était assez répandu en France. Le Service de la Démographie a reçu de nombreuses lettres de gens les plus divers qui se prétendent les inventeurs du système. Certaines même croient avoir droit à une réparation du tort causé par l’État qui leur a pris leur invention. Ils ne se doutent pas qu’un système de classement des individus et des choses naît toujours du système de numérotation employé dans une civilisation déterminée. Mais il est curieux de signaler que la presque totalité des inventeurs d’identification individuelle mélangent les chiffres et les lettres et perdent ainsi les avantages de la numération décimale. Ils sont étonnés et quelquefois furieux quand ils apprennent que leur système était appliqué en Egypte et en Chaldée plusieurs siècles avant notre ère.
Cette remarque témoigne de la grande culture de Carmille, qui s’était montré, bien avant la guerre, partisan des fichiers de grande taille, traités sur des tabulatrices à cartes perforées, au nom même de l’efficacité à opposer à celle des régimes totalitaires. A la suite du  recensement des activités professionnelles en  juillet 1941, une démonstration fut organisée à Clermont-Ferrand devant le Maréchal Pétain, qui vit déboucher, dans le réceptacle inférieur de la machine, prêtes à être postées en cas de mobilisation, les convocations timbrées à son effigie, des spécialistes d’un régiment d’artillerie, éventuellement reconstitué.

Après l’invasion de la Zone libre, CARMILLE, parfaitement conscient que l’efficacité du système pouvait être utilisée par les Allemands à leur profit, prit toutes dispositions pour en interdire un usage perverti. Il fit détruire une partie des documents, ralentit la mise à jour des autres, cacha dans un couvent de la Région lyonnaise les codes et instructions permettant l’utilisation du Répertoire, confirma diverses nomenclatures embrouillées à dessein pour les rendre inopérantes. Il donna oralement l’instruction d’opposer une grève du zèle à toute utilisation non légitime du répertoire, créant ainsi la déontologie qui est restée celle des gestionnaires ultérieurs. C’est pourquoi, à notre connaissance, ni le Service du travail obligatoire (STO), ni les déportations raciales, ni la répression des activités de Résistance, ne purent tirer parti du fichier Carmille et du numéro d’identité. Cependant, diverses injonctions de prétendues administrations témoignent que des alertes furent chaudes. Il fut ainsi question d’affecter les valeurs non utilisées du premier chiffre à l’appartenance à la citoyenne française et à la race juive. Le zèle qu’y mit le SNS, jouant en particulier sur le principe d’intangibilité du numéro, même après naturalisation ou dénaturalisation, ainsi que les problèmes que posaient les statuts des habitants de l’Algérie et des colonies, fit que le code adéquat n’avait toujours pas été trouvé en 1945.

A la Libération, le Recrutement militaire reprit ses fonctions. Après de vifs débats entre Jacobins, partisans des fichiers Carmille, et Girondins partisans de leur éclatement, le SNS fut transformé en Institut national de la Statistique et des Études économiques (INSEE), dont les directions régionales conservèrent la gestion du répertoire d’identité, mais non l’adresse.

Au début des années 1970, la possibilité se présenta d’informatiser les registres individuels, et aussi de les centraliser. Les ordinateurs allaient remplacer la mécanographie, encore lourde et encombrante, et de grandioses utilisations devenaient envisageables, et étaient d’ailleurs mises en œuvre  pour ce qui concernait les entreprises. Une polémique s’éleva alors devant les possibilités d’interconnexion de fichiers individuels, d’autant que les informaticiens, choisissant à leur habitude des sigles pittoresques, comme  SIRENE pour le fichier des entreprises (Système Informatique du Répertoire des Entreprises et des Établissements), avaient malencontreusement choisi, pour le fichier des individus, celui de SAFARI : Système Automatisé pour le Fichier Administratif et le Répertoire des Individus…A moins qu’ils aient voulu, précisément, pointer à leur tour le caractère illégitime de certaines exigences.

Finalement les fichiers furent informatisés et centralisés à Nantes. Mais l’INSEE refusa qu’il y ait modification de leur contenu. Simultanément la loi du 6 janvier 1978, sur l’informatique, les fichiers et les libertés,  créait une Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL), chargée de garantir les droits des personnes fichées, de vérifier en particulier que les utilisations des fichiers étaient conformes à leurs finalités premières, en contrôlant les applications de l’informatique aux traitements des informations nominatives ». La loi dispose en son  article 18 : « L’utilisation du répertoire national d’identification des personnes physiques en vue d’effectuer des traitements nominatifs est autorisée par décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission ». En toute rigueur, ce texte ne réglemente pas l’utilisation du numéro de l’INSEE.

 Un décret de janvier 1982 fixe les conditions d’emploi du répertoire d’identification des personnes physiques, en particulier quand il s’agit de vérifier, ou de demander, le numéro d’identification. Et la CNIL a émis le 29 novembre 1983 la recommandation suivante :
La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés,

Considérant :
Que le contenu du répertoire national d’identification des personnes physiques et sa mise à jour fréquente en font, de fait, un instrument de référence fondamental de l’état civil en France, destiné en particulier à lever les doutes sur les homonymies ;
 Qu’en raison du caractère des chiffres le composant, la généralisation du numéro d’inscription au répertoire (NIR) en ferait un identifiant national ;

Que le NIR a été utilisé d’emblée comme identifiant par la plupart des organismes (de) Sécurité sociale, (…), que cette extension de finalité ne peut être remise en cause, sauf à entraîner de graves perturbations dans le fonctionnement du régime de protection sociale ;
Que la tendance à la généralisation de l’emploi du NIR ne saurait être justifiée ni par la nécessité de résoudre les difficultés s’attachant à la conception des traitements, ni par le souci de faciliter les interconnexions de fichiers que le législateur a au contraire voulu limiter ;
Recommande ;

Que l’emploi du numéro d’inscription au répertoire, comme identifiant des personnes dans les fichiers, ne soit systématique, ni généralisé ;
Qu’en conséquence, les responsables de la conception d’applications informatique se dotent de d’identifiants diversifiés et adaptés à leurs besoins propres ;
Qu’en tout été de cause, la consultation du répertoire, qu’elle donne lieu ou non à délivrance du numéro d’inscription au dit répertoire, soit subordonnée à la conclusion de conventions spécifiques entre l’INSEE et les organismes habilités en vertu de l’article 187 de la Loi du 6 janvier 1978.
Cette attitude restrictive invite les administrations autres que la Sécurité sociale à utiliser d’autres identifiants. L’Armée, depuis longtemps, la Direction générale des Impôts, récemment, se sont orientés en ce sens. Les employeurs doivent réserver l’usage du NIR au seul paiement de rémunérations, strictement définies ;
Quant aux organismes d’étude et de recherche, et à l’INSEE lui-même, ils doivent soumettre à la CNIL tout projet d’enquête qui utiliserait le NIR comme base de sondage. La jurisprudence qui s’établit progressivement veille à ce que nul lien permanent ne s’établisse entre le fichier du NIR et l’adresse des personnes, mais aussi à ce que les Français profitent des avantages du système, par exemple pour la constitution des dossiers de retraite. En ce domaine, nous semble-t-il, l’expérience prouve qu’en plus des garanties juridiques, la protection des individus est aussi assurée par la taille même des fichiers, et par le sens des responsabilités des gestionnaires. « 



Extraits publiés avec l’aimable autorisation de l’Institut national d’études démographiques.

Sources.
Bulletin mensuel n° 232 de l’Institut National d’Études Démographiques en février 1989- Adresse : 27 rue du Commandeur, 75675 Paris Cedex 14.

Cet article a été publié dans le Bulletin de Liaison du Centre Généalogique des Côtes d'Armor - N° 70 de l'année 2006.


                                                                                                     Joseph Lohou (janvier 2006-mise à jour janvier 2011-déc2016-avril 2017)


[1] Si le code est modifié, le numéro attribué ne l’est pas. Beaucoup de personnes nées avant la prise en compte des nouveaux départements de la Région parisienne ont 75 et 78 dans leur numéro d’identité et non les codes 91 à 95 utilisés depuis.

[2] La clé est égale au complément à 97 du reste de la division du numéro à 13 chiffres par 97. Comme 97 est le plus grand nombre premier à deux chiffres, c’est la clé de deux chiffres la plus efficace, car deux nombres quelconques n’ont alors même clé qu’une fois sur 97.  

[
3}François René CARMILLE, (né à Trémolat, 24510 le 8 janvier 1886), fils d'un couple d'instituteurs. Polytechnicien en 1906, artilleur pendant la guerre de 14-18, deux fois blessé. Pendant la guerre de 39-45, s'engage en résistance dans le réseau Marco Polo, dénoncé en 1944, il est interné à Lyon au fort de Montluc et déporté au camp de Dachaud en Bavière, il y décède le 25 janvier 1945. Une rue de la Seyne dans le Var, où il était domicilié, porte le nom du "Général Carmille".

 


© Tous Droits Réservés (Joseph Lohou)