Callac-de-Bretagne

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Une promenade au pays de Callac
L'Eglise de Bulat.

Par JEAN GUILLOTIN[1] (Flammik- en français :Flamboyant).

Au jugement des Bretons, rien ne vaut le saint de leur paroisse. Pour eux la paroisse n'est autre que la famille agrandie; c'est le clan de jadis avec un caractère plus religieux. Ce sentiment d'excellence est, à bon droit, profond et vivace au coeur des habitants de Bulat-Pestivien. Ils possèdent, en effet, une merveilleuse église qui, dans la richesse et la pureté de son architecture, apparaît comme un magnifique écrin dans l'éclosion des sanctuaires mariaux sur notre sol breton. Si le pèlerinage compte parmi les plus anciens de Bretagne, sa fondation repose sur un fait bien torchant: la naissance d'un héritier dont fut providentiellement favorisé le seigneur de Pestivien à la suite d'un vœu à Marie. Sa reconnaissance pour la Mère de Dieu se traduisit par la construction d'une chapelle. Bulat est le vocable de ce sanctuaire comme il est devenu le nom de la modeste bourgade qui s'est peu à peu' formée à l'ombre de son clocher. C'est cette merveilleuse chapelle que je vais essayer de décrire.
A mi-chemin de Callac et de Bourbriac, Bulat-Pestivien est situé au coeur de la montagne au point précis où le Blavet qui coule vers l'océan, l’Hyère, affluent de l'Aulne qui se dirige vers la rade de Brest, le Guer qui s'en va vers la. Manche, forme le plus remarquable centre de dispersion des eaux de la Basse-Bretagne.
C'est au centre de ce paysage pittoresque et grandiose que s'élève le sanctuaire vénéré de Notre-Dame de Bulat, dominé par le majestueux clocher à jour dont la pointe hardie crie vers le ciel la foi et la confiance des Bretons.
Le plan de Notre-Dame de Bulat est une nef avec doubles collatéraux, à partir de la moitié supérieure de l'église; les piliers du chœur, formés de quatre colonnes engagées, appartiennent au XIVe siècle, les colonnes sans chapiteaux des bas-côtés au XVe, le reste de l'église est du XVIe; le chevet droit est occupé par une immense baie flamboyante à nombreux meneaux.
La tour est flanquée de huit contreforts et décorée de pilastres et de niches couvertes de sculptures, cette tour est distribuée en trois étages par des entablements, des frises, des corniches et des galeries. Les deux étages supérieurs sont percés de quinze fenêtres de cinq mètres de hauteur. Une galerie composée tour à tour d'arcades cintrées et de balustres couronnés de chapiteaux couverts de feuillages, règne au pourtour de la plateforme. Au-dessus se dresse une superbe flèche de granit tort ajourée de gracieuses lucarnes et enrichie de multiples crochets sculptés. Enfin, cette belle tour est accompagnée d'une svelte tourelle percée de longues meurtrières et terminée par un dôme en forme de pyramide octogonale que couronne un fleuron épanoui.
Au pied de cette tour s'ouvre la Porte occidentale ou de procession ; elle est d'y ne richesse d'ornementation vraiment extraordinaire. Un arceau la coupe en deux baies superposées; deux chambranles chargés d'arabesques et ayant dix mètres de hauteur l'encadrent en guise de clochetons. Son ogive se termine par une accolade surmontée d'un pédicule qui supporte une figure grotesque et nue. Plus de quatre cents personnages, animaux ou feuillages donnent à. cette porte une animation ravissante. Dans les trois voussures ogivales de la baie inférieure on voit d'abord les quatre Evangélistes, les douze Apôtres, des Saints et des Saintes, des Anges, etc... Des personnages nus mêlés à, des rinceaux délicatement fouillés, rampent sui les parois de l'étage supérieur.
A hauteur d'homme, et des deux côtés du portail, sur deux contreforts, se voient deux bustes, malheureusement décapités, un homme et une femme en costume du temps de François Ier. L'un d'eux tient en main une banderole avec cette inscription :
« En, l'an 1530, 29e jour (le febvrier, fait commencée ceste tour par F. Jehannou mestre de lesvre (maître de l'œuvre) et G. Cozic, procureur fabrique. »
Non loin de la tour, au sud, se trouve la sacristie, ce délicieux monument de. la plus belle renaissance, et sans rival dans le pays. Cette sacristie est- percée de cinq fenêtres, en équerre, flanquées de chambranles de la plus riche ornementation. Leurs chapiteaux, composés de figurines et d'arabesques, sont surtout remarquables.
Sur les arêtes de l'aiguille du pignon rampent des crochets dont les feuillages, habilement fouillés, représentent des figures d'hommes, de femmes et des grappes de raisin. Deux personnages nus placés sur le sommet, s'appuient l'un de la main droite, l'autre de la gauche, sur un pédicule malheureusement mutilé. Aux deux angles inférieurs de la base de l'aiguille dit pignon, deux bustes représentant un homme et une femme, se détachent de -la paroi du mur et allongent tous les deux le bras comme pour se donner la main.
L'abbé Daniel (Annuaire des Côtes-du-Nord, 1864, page 28), prétend que ce sont les figures du marquis et de la marquise de Kerveno, seigneur et dame de 'Pestivien à l'époque de la construction de la tour et de la sacristie.

A hauteur d'homme, deux autres bustes déroulent 'une longue banderole où se lit l'inscription • suivante :
« Le 31ème jour d'aoust l'an 1552 fut commencée ceste secreterie par Fouquet, Jehannout mestre de levre, et Guillaume Cozic et Guillaume Daniel, fabriques. »  
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Au-dessus, et tort le long de cette banderole se trouvent des sujets macabres d'une admirable expression. La Mort y est représentée sous des formes effrayantes et dans des attitudes différentes.
A la suite de cette 'sacristie se trouve le porche du midi. Faisant saillie sur toutes les chapelles latérales, il est flanqué de quatre contreforts taillés en prisme et couronnés de clochetons malheureusement encore mutilés et dépouillés de leurs panaches. Ces contreforts sont décorés de 16 niches avec culs-de-lampe et dais de la plus splendide ornementation. Les chérubins, les festons, les guirlandes, les feuillages qui composent ces dais et ces culs-de-lampe, sont d'une finesse de travail inouïe. La porte extérieure est divisée en deux baies par une magnifique torsade, surmontée d'une rose flamboyante; l'ogive, et les parois latérales sont décorées de quatre guirlandes de feuillages sculptées à jour comme de la dentelle.
Tor te la façade méridionale de ce porche est couverte pour ainsi dire de sculptures d'animaux supportant des écussons mutilés. Parmi ces animaux on remarque des lions, des salamandres et particulièrement un Sphinx dévorant un enfant. « Le galbe est terminé par un clocheton. Au-dessous, très en évidence, se voit un écusson aux armes écartelées des familles de la Chapelle et de Mollac qui possédèrent la seigneurie de Pestivien. A l'intérieur du porche au fond se trouve une porte géminée terminée par des accolades couvertes de feuilles et couronnées de panaches. Sur le tympan de cette porte se trouve une statue de la Vierge, datant du Moyen Age. De chaque côté du porche, à l'intérieur sont les statues des douze Apôtres placées dans des niches surmontées de dais richement sculptés, terminés par des fleurons. Chaque niche est séparée l'une de l'autre par des colonnettes d'une finesse remarquable. A la clef de voûte deux lions tiennent l'écusson des Rohan, partie de la Chapelle de Mollac.
L'intérieur de l'église de Bulat a l'aspect d'une vraie cathédrale avec ses doubles collatéraux. La grande verrière du chevet de l'église représente des écussons et des anges jouant de divers instruments. Cette verrière a été en partie détruite par la foudre il y a plusieurs années, et assez mal restaurée.
L'autel majeur est en granit richement sculpté. La vie de Notre-Seigneur et de la Sainte Vierge -4- est représentée sur douze 'bas-reliefs. Deux grandes statues de pierre, l'une saint Corentin, l'autre probablement saint Brieuc, accompagnent l'autel majeur. Une balustrade en granit entoura le sanctuaire et présente en relief les scènes de la Passion du Sauveur.
En face du porche du midi, sous la grande nef, l'on voit une table de pierre de cinq mètres de long. C'est la table des offrandes. On y lit l'inscription suivante : « L'an, 1583 fut faicte ceste table par P. Le ilfouine, Me ouvrier, P. Lucas, et F. Kermen, fabriques lors ».
Aux extrémités de- la table sont des volutes auxquelles sont adossées deux figures d'homme et de femme.
Au bas des nefs, à gauche, se trouve une tribune en pierre découpée à jour. Elle est supportée par un cul-de-lampe et décorée de superbes sculptures. Cette tribune faisait communiquer autrefois l'église avec une chambre placée au-dessus de la sacristie.
On raconte qu'autrefois,  deux frères maçons qui avaient travaillé à l'église de Bulat, vinrent finir leur vie dans cette cellule, ayant sans cesse devant les yeux l'image et l'autel de leur patronne bien aimée. Ajoutons pour terminer que la statue de Notre-Dame de Bulat est en argent. Cette précieuse statue est l'œuvre de Jean Baptiste Buchet, orfèvre à Rennes. Ce travail lui fut confié en 1747 par les fabriciens d'alors: François Le Bastard et Vincent Lé Bricon, dont les noms restent gravés sur un pan du manteau de la Vierge avec la date d'exécution MDCCXLVII. Il fut payé sur mémoire du 9 février 1748, la somme de 591 livres. (15.000 francs-papiers actuels).
Cette œuvre artistique de 1 m. de hauteur sans le piédestal en bois, est en argent martelé, creuse à l'intérieur. Elle représente la Vierge dans l'attitude d'u.ne Reine écoutant et accueillant avec bienveillance les vœux et prières de ses dévots serviteurs, majestueuse dans les amples draperies de son vêtement et portant le diadème royal, elle tient sur le bras l'Enfant Jésus dont la main gauche, peu anatomique il est vrai, se dirige vers sa Mère en l'indiquant du geste, comme la puissance médiatrice entre le ciel et la terre.
Dans le chœur de l'église de Bulat se trouve un lutrin unique en son genre. Il représente un jeune homme du Guéméné, en costume national. Ce lutrin, œuvre du sculpteur Chamavaski de Rostrenen, fut placé dans l'église de Bulat sous le Rectorat de M. l'abbé Guillaume Le Rudulier, qui prit possession de cette paroisse en 1872. Le lutrin de Bulat est appelé dans le pays « Ar Gwenedour ».

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Voici en 1932, les deux statues principales de l’église de Bulat dessinées de la main de M. Jean Guillotin, Ste Anne et le Guénédour...
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                                                 Soixante seize ans séparent les deux clichés
Notes.
[1]GUILLOTIN, Jean
CALLAC AUTREFOIS par Jean GUILLOTIN (1931)
« Un volume broché, 80 pages, prix: 5.50 franco, chez l'Auteur,
Instituteur à l'Ecole libre des garçons de Callac. (Côtes-du-Nord.

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Jean Guillotin (°Nivillac 1907-1971
 

Notre jeune collaborateur, Jean Guillotin, archéologue très averti et fin connaisseur en histoire, a publié l'année dernière une monographie de Callac-de-Bretagne, qui -mérite de retenir l'attention, car jusqu'à ce jour, le passé de cette ville assez récente, développée en marge de l'ancienne paroisse-mère de Botmel, à l'ombre de son château fort et de sa chapelle de Sainte-Barbe, n'avait pas été fouillé. Jean Guillotin a reproduit tout ce qu'il y avait d'intéressant concernant Callac et quelques autres paroisses du canton ; travail utile d'un modeste instituteur libre, quel bel exemple pour d'autres membres de l'Enseignement, qui ne font rien pour reconstituer l'histoire locale!
Il ne reste que quelques exemplaires de l'édition de CALLAC AUTREFOIS. Les amateurs feront bien de profiter de l'occasion. Ils jugeront des aptitudes particulières de l'auteur par l'étude inédite qu'il nous envoie sur BOTMEL, et qui sera suivie d'une prochaine sur BULAT.

Ajoutons que M. Jean Guillotin n'est âgé que de 24 ans, ce qui ajoute à son mérite précoce. Il est originaire de Nivillac, de ce Morbihan » Gallo », où l'on-est resté très « ancien régime » très « chouan »; où le costume breton a survécu à la langue oubliée depuis un siècle. (Le grand-père de M. Guillotin, âge de 83 ans, se souvient de quelques mots bretons entendus dans son enfance.)
Aussi, le petit-fils s'est-il mis courageusement à l'étude du breton, et ce sont ses élèves qui l'aident... »

Généalogie de Jean Marie Joseph Guillotin, né le 29 octobre 1907 à Nivillac(56130), fils de Victor Arthur Laurent Marie Alphonse Guillotin, commerçant au bourg, et de Marie François Adrienne Gautier, commerçante au bourg. Il se marie à Nivillac le 26 février 1965 avec Cécile Victorine Thérèse Le Roux. Il décède également à Nivillac le 12 novembre 1971 à l’âge de 64 ans.

SOURCES;
 Ce texte est extrait du journal "An Oaled" (Le Foyer Breton) - N°41 du 3ème trimestre 1932.(AD29)