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Les
GONDI
"jaune à deux masses de noir
posé en croisé et liés
de gueules"
La
famille des Gondi
Non
sans quelques hésitations en raison de la complexité de cette
famille, j'ai décidé de remettre sur le métier cette histoire des
Gondi, florentins d'origine, connus en Italie depuis le XII° siècle,
qui ont été seigneurs de Callac par l'intermédiaire de l'abbaye de
Sainte Croix de Quimperlé de 1573 à 1667. Dans l'histoire de Callac
qui figure au premier chapitre de ce site, les Gondi sont
simplement énumérés à partir de l'ancêtre Antoine qui s'établir à Lyon
au milieu du 15° siècle et remarqué par Catherine de Médicis pour
en faire le maître d'hôtel du futur roi Henri II. Antoine, après son
mariage en 1515 avec Marie Catherine de Pierrevive, gouvernante des
enfants de France, contracte de flatteuses alliances avec la vieille
noblesse française. Son fils aîné Albert, né en 1522, épouse en 1565
Claude-Catherine de Clermont, veuve de Jean d'Annebaud, baron de Retz
et de la Hunaudaye et poursuit une carrière exceptionnelle de
militaire en commandant successivement huit armées sous cinq rois, de
Henri II à Henri IV. Albert devient ainsi Marquis de Belle Isle
et comte de Retz. Ces terres appartenaient à l'abbaye de sainte Croix
de Quimperlé depuis l'aube des temps, c'est à dire à l'origine de la
fondation de cette même abbaye par Alain Canhiard au XI° siècle. Le duc
de Retz, Albert de Gondi, échange Belle Isle contre les terres de
Housillé, près de Vitré et de Callac en 1572, mais en fait après un
litige sur les prix en 1584. Pierre de Gondi, frère d'Albert et évêque
de Paris reçoit le bénéfice de la commande de l'abbaye de sainte Croix
de Quimperlé. Il fut le premier seigneur abbé de 1572 à 1584.
Henri de Gondi, cardinal de Retz et fils d'Albert lui succéda
de 1593 à 1623, soit pendant 34 ans. Puis vint le
personnage qui nous occupe dans les lignes qui suivent, Jean
François Paul de Gondi(1613-1679), archevêque de Paris,
cardinal de Retz et seigneur abbé, succédant à son frère
Henri, décédé d'une chute de cheval en 1622 à l'âge
de 12 ans, fonction qu'il occupa pendant près de 45 ans, de
1624 à 1668.
Notes :
Les armes des Gondi, figurant ci-dessus, sont toujours visibles dans le
grand virtrail de la croisée gauche du transept de l'église Saint
Laurent de Callac.
Antoine
de Gondi.
Antoine
de Gondi, deuxième du nom, quinzième et dernier enfant
d’Antoine de Gondi et de Madeleine de Corbinelli, vint en
France vers 1507 et s ‘établit à Lyon où il exerçait
la banque. Le 20 janvier 1516, il y épousa Marie Catherine
de Pierre-Vive, fille de Nicolas, seigneur de Lézigny, maître
d’hôtel ordinaire du Roi François 1er . En
1533, après la célébration de son mariage à Marseille,
Catherine de Médecis, passant par Lyon, reconnut dans
Antoine un compatriote, un allié de sa famille, dont
l’expérience pouvait lui être utile. Elle emmena les
deux époux avec elle, attacha la femme à son service, en
fit plus tard la gouvernante de ses enfants, et plaça
Antoine comme maître d’hôtel ordinaire auprès d’Henri
II, son époux.
Cet Antoine fut le fondateur de la maison de Gondi en
France.
Albert de Gondi
Albert de Gondi
(1522-1602), fils d'Antoine et seigneur du Perron,
comte, puis marquis de Belle-Isle (1573), et en 1581, duc de
Retz, maréchal de France, naquit à Florence, le 4
novembre1522.
Le 4 septembre 1565, il
épouse Claude Catherine de Clermont-Tonnerre, baronne de
Retz et baronne de Dampierre, fille de Claude de
Clermont-Tonnerre, baron de Dampierre (+1545), avec qui il a
10 enfants dont Jean-François de Gondi, 1er
Archevêque de Paris, l'oncle du célèbre Cardinal de Retz.
Il parut à la cour d’Henri
II, à son avènement à la couronne, en 1547 ; et eut
vers 1550, une compagnie de chevau-légers.
Le 13 août 1554, iI
servit à la bataille de Renty. Henri II le fit bientôt
après gentilhomme de la chambre et maître de la garde-robe
de Charles de France (depuis Charles IX). Il continua d’exercer
ces charges sous les rois Charles IX et Henri III.
En 1555, il s’acquit
beaucoup de réputation en Italie, aux sièges d’Ulpiau,
de Coni et à la prise de Verceil. Il servit aussi avec
beaucoup de distinction dans les expéditions que l’on fit
en Piémont et en Corse.
Le 10 août 1557, iI
participa à la bataille de Saint-Quentin et le 13 juillet
1558 à la bataille de Gravelines.
Nommé, en 1559, capitaine
d’une compagnie de gendarmes, il combattit à Saint-Denis,
le 10 novembre 1567 ; à Jarnac, le 13 mars 1569 ;
et à Moncontour, le 3 octobre suivant.
On le choisit pour porter
au roi, à Tours, la nouvelle de cette dernière victoire.
Il fut nommé, dans ce même mois d’octobre, capitaine de
50 hommes d’armes. Créé chevalier de l’ordre du roi,
il obtint une place de conseiller d’État.
Employé comme ambassadeur
à la cour de Vienne, en 1570, pour le mariage de Charles IX
avec Élisabeth d’Autriche, il épousa cette princesse, au
nom du roi, le 22 octobre. À la mort du maréchal de
Vieilleville, le comte de Retz fut établi gouverneur et
lieutenant général au pays Messin, et gouverneur de la
ville de Metz, par provisions données à Duretal, le 30
novembre 1571.
On le fit capitaine de la
première compagnie des gentilshommes de la maison du roi,
après la mort du duc de Roannois, par provisions du en
décembre de la même année. Il fut chargé, sur la fin de
l’année 1572, d’une mission auprès d’Elisabeth,
reine d’Angleterre. Il réussit à empêcher l’arrivée
des secours que les protestants attendaient d’Angleterre.
Au commencement de 1573,
revenu de Londres, le comte de Retz commanda une escadre et
força le comte de Montgomery à abandonner Belle-Isle. Le
roi érigea cette île en marquisat, et la donna au comte de
Retz, qui partit ensuite pour le siège de La Rochelle, où
il fut blessé.
Il fut pourvu d’une
charge de maréchal de France, vacante par la mort du
maréchal de Tavanes par état donné au château de
Boulogne, le 6 juillet 1573 (1), enregistré à la
connétablie, le 2 août 1574. On le pourvut du gouvernement
de Provence, par provisions données au même lieu et le
même jour, 6 juillet 1573 : elles furent enregistrées
au parlement de Provence, le 22 août 1574.
Le maréchal de Retz se
démit alors du gouvernement du pays Messin. Il accompagna
Henri III, duc d’Anjou en Pologne, revint en France avec
lui, et représenta le connétable au sacre de ce prince,
qui l’admit à son conseil secret. Il se démit de sa
compagnie des 100 gentilshommes, au mois de janvier 1575.
Commandant en chef l’armée de Provence, il soumit au roi
les villes et châteaux qu’y tenaient les factieux, et
remit sous l’obéissance du pape la ville de Menerbe.
Pourvu du gouvernement des
ville et château de Nantes, et de la lieutenance générale
au pays Nantais, le 12 février 1578, il se démit du
gouvernement de Provence, le 1er juin suivant. Créé
chevalier des ordres du roi le 31 décembre de la même
année, il obtint, le 24 juin 1579, la charge de général
des galères, pour Charles de Gondi, marquis de Belle-Isle,
son fils aîné, avec une commission du même jour pour
exercer cette charge pendant la minorité de son fils.
En 1580, l’esprit de
discorde ayant divisé le gouverneur général du marquisat
Saluces, et les gouverneurs particuliers des places de ce
gouvernement, le maréchal de Retz y fut envoyé avec un
plein pouvoir, daté de Fontainebleau, le 27 septembre, pour
pacifier, accommoder, et même réduire par force les
gouverneurs particuliers dans tout le pays, les destituer,
en mettre d’autres, faire de nouvelles levées, assembler
une armée ; enfin faire et exécuter tout ce qui
conviendrait le mieux pour le service du roi. Il répondit
à l’idée qu’on avait de ses talents, parvint à
réunir ces gouverneurs, et, après avoir rendu le calme à
cette province, il revint à la cour. Le roi érigea en sa
faveur, pour lui et ses descendants, le comté de Retz en
duché-pairie, par lettres données à Paris, au mois de
novembre 1581 ; enregistrées au parlement de Paris, le
20 mars, et à celui de Rennes, le 20 avril 1582. Il fut
reçu en cette qualité, et en celle de conseiller d’honneur,
au parlement de Paris, le 20 mars de la même année. Il
prêta serment le même jour pour la charge de maréchal de
France.
En 1594, au sacre de Henri
IV, il représenta le comte de Toulouse. Le 25 avril 1598,
on accorda à son second fils la survivance de la charge de
général des galères. Le maréchal se démit du
gouvernement de Nantes, et de la lieutenance générale du
comté Nantais. Il se trouva, le 16 octobre 1596, à Rouen,
à la suite du roi, lors de l’ouverture de l’assemblée
des notables que ce monarque avait réunis dans cette ville.
Il servit ce prince avec fidélité jusqu’à sa mort
survenue le 21 avril 1602.
Pierre
de Gondi, frère d'Albert
Pierre de Gondi, cardinal de Retz
(1533-1616) fut un évêque de Paris.
Né à Lyon,
et frère du maréchal de Retz, il fut
protégé par Catherine de Médecis.
Il devint successivement :
· évêque
de Langres (1565),
· évêque de Paris
(1570),
· chancelier et grand
aumônier d'Élisabeth d'Autriche (femme de Charles
IX)
· cardinal
(1587).
Il remplit diverses missions à Rome
sous Henri III et Henry
IV .
Henri de Gondi
Henri de
Gondi, duc de Retz est né en 1590 de Charles de Gondi, duc
de Retz et de Antoinette (1574 † 25 avril 1618), dame de
Château Gonthier (fille de Léonor de Longueville). Il
devint duc de Retz à la mort de son père en 1596. Il
épouse Jeanne de Beaupreau, dont il aura deux filles.
Participant de la bataille des Ponts de Cé du coté de
Marie de Médicis, il fit défection, entraînant avec lui
ses 1 500 hommes; l'armée amputée d'un tiers de ses hommes
ne peut résister à l'assaut des troupes royales.
Il se
démettra de son titre de duc en faveur de son gendre Pierre
de Joigny, en 1634. Il meurt le 12 août 1659.
De son union
avec Jeanne, duchesse de Beaupréau et comtesse de Chemillé
( † 1620) (fille de Guy IV de Scépeaux et comte de
Chemillé et duc de Beaupréau, tué en 1597), il aura deux
filles : Catherine († 18 septembre 1677), marié en
août 1633 à Pierre comte de Joigny ( † 1676), Marguerite
(18 avril 1615 † 31 mai 1670), duchesse de Beaupréau et
comtesse de Chemillé, mariée en 1645 à Louis de Cossé de
Brissac (1625 † 1661
Philippe Emmanuel de Gondi
Philippe
Emmanuel de Gondi, comte de Joigny, marquis des Isles d'Or,
3ème fils d'Albert, duc de Retz et de Claude Catherine de
Clermont, dame de Dampierre, épousa Françoise Marguerite
de Silly, dont il eut Pierre, Henri, marquis de
Belle-Isle, Jean François Paul.
Il fut le protecteur de Monsieur Vincent de Paul.
Il mourut au château de Joigny le 29 février 1662 à
l'âge de 81 ans.
Un
portrait de Jean François Paul de Gondi, Seigneur de Callac
Jean François Paul de Gondi, qui
sera cardinal de Retz en 1652, voit le jour le 20 septembre
1613, au château de Montmirail en Brie champenoise, sous
les plus heureux auspices. Les Gondi n'ont rien perdu de
leur de leur puissance du siècle dernier, son père
Philippe Emmanuel est général
des galères et son oncle Henri, deuxième fils du maréchal
et futur cardinal, dirige le diocèse de Paris devenu comme
un bien de famille et c'est le cousin de Jean François Paul
qui porte le titre ducal depuis le décès du maréchal en
1602.
Tous les espoirs d'une belle carrière sont donc permis au
nouveau-né, De ses deux frères, le plus âgé, Pierre II,
est destiné à succéder à son père Philippe Emmanuel et
à devenir à son tour général des galères. Henri, le
second frère, est voué à l'église en tant que cadet,
mais il décède à 12 ans d'une chute de cheval. Leur père, pour
garder dans la famille la commande des abbayes de Buzay et
de Quimperlé, substitue Jean François Paul à Henri. Le
troisième fils portera donc la soutane et non le mousquet.
A 10 ans, il entre dans le clergé ; on l'appelle, du nom de
son abbaye bretonne, l'abbé de Buzay.
Au collège des jésuites à Clermont à Paris en 1625, il
se montre un élève doué et brillant mais rebelle à la
discipline rigoureuse des pères. Après avoir passé son
baccalauréat en juillet 1631, il commence en Sorbonne ses
études de théologie sous le nom d'abbé de Retz,
abandonnant le nom de Buzay qu'il juge démodé et prêtant
à la moquerie. Il accepte difficilement sa condition et se
livre à la galanterie malgré son physique ingrat. Il n'est
pas très grand, a des jambes courtes, un teint basané, une
myopie prononcée, maladroit de ses mains ; mais malgré
tous ces défauts, il a un esprit vif qui lui donne un
charme fou. Vers les années 1635-1637 commencent ses
liaisons avec Anne de Rohan, princesse de Guéméné et
Marie de Cossé-Brissac, maréchale de la Meilleraye, puis
vers 1641 Denise de Bordeaux.
Non content de collectionner de belles amies, l'abbé se bat
en duel à plusieurs reprises en raison de son caractère
intrépide et très chatouilleux sur le point d'honneur. Son
ambition est sans limite, mais Richelieu, le premier
ministre en place se méfie des Gondi et contraint Pierre
II, son frère aîné à se défaire du généralat des galères.
L'abbé de Retz en conçoit une vive irritation et une
rancune tenace contre le tout-puissant ministre.
Il en profite pour s'éloigner du pouvoir et entreprend avec
quelques amis un voyage en Italie dans l'année 1638 de mars
à fin décembre. C'est pendant le voyage de Retz en
Italie que le futur roi Louis XIV vient au monde à Saint
Germain en Laye le 5 septembre 1638.
C'est vers cette époque qu'il entre en littérature en
composant "La Conjuration de Fiesque" , véritable
manuel du parfait conspirateur dans lequel le personnage
central de l'œuvre, est le portrait idéalisé de l'auteur
lui-même. Richelieu ayant connaissance du texte
manuscrit, se serait écrié :" Voilà un dangereux
esprit !"
Cardinal de Retz, Jean François Paul de Gondi.
Ce cardinal à "l’âme la moins ecclésiastique de
l’univers" est un homme de génie, brûlant, libre,
éloquent. Acteur de premier plan durant la Fronde, passionné
d’intrigues, sa vie est un chef-d'œuvre.
Après avoir été
archevêque de Paris (1654-1662), il fut abbé de Saint
Denis.
Il est l’auteur
entre autre De la Conjuration de Fiesque. dont voici un
extrait :
"Le carrosse armorié pénétra
dans la cour de l'étude du notaire Pierre Fronsac dans un
grand fracas. Deux gentilshommes à cheval suivaient le véhicule
attelé par quatre chevaux bais. Le cocher beugla, retint
ses bêtes qui hennirent et la voiture s'arrêta.
À peine le roulement eut-il cessé que les deux laquais,
debout à l'arrière de la caisse, sautèrent au sol et l'un
d'eux se précipita à la portière pour déplier le petit
escalier. Un conducteur mit lui aussi pied à terre afin de
retenir les chevaux par leur bride.
En cette riante après-midi d'avril, Jacques et Guilllaume
Bouvier, les deux anciens soldats qui assuraient la garde de
l'étude et qui avaient pour unique tâche de ramasser le
crottin et de balayer la cour, se reposaient sur un banc,
dans un dernier rayon de soleil bien agréable après les
rigueurs de ces longs mois d'hiver. Ils étaient en
compagnie de Gaufredi, le garde du corps de Louis Fronsac.
Louis était le fils du notaire Pierre Fronsac. Il avait
aussi été notaire avant d'être anobli par feu le roi pour
les services exceptionnels qu'il avait rendus à Sa Majesté.
En voyant entrer le lourd carrosse, les deux frères, que
l'on ne pouvait distinguer que par leur attribut pileux -
Jacques avait une longue moustache et Guillaume une épaisse
barbe -, interrompirent leur débat sur la tactique utilisée
lors du siège de CasaI auquel ils avaient participé
quelques années auparavant. Se redressant, ils s'approchèrent
de l'attelage avec un mélange de curiosité et de méfiance.
.J
Gaufredi déplia à son tour sa grande carcasse. C'était un
vieux reître, maigre et noué par les ans, tout couturé de
cicatrices. Moustache en crocs, justaucorps de buffle barré
d'un baudrier soutenant une lourde épée de fer à poignée
de cuivre, bottes à revers jus- qu'aux cuisses et éperons
tintinnabulants, il avait tout du capitan de la comédie
italienne avec une seule différence : lui, il était
mortellement dangereux.
Sur les portières écarlates du carrosse étaient peintes
les armes de son propriétaire: deux masses d'armes de sable
en sautoir liées de gueules avec, au-dessus, deux clés
d'argent en sautoir surmontées d'une tiare papale d'or.
Les trois anciens soldats avaient déjà compris qu'ils
avaient affaire à Paul de Gondi, évêque et coadjuteur de
l'archevêque de Paris. Ils savaient donc qu'ils n'avaient
rien à craindre mais, par habitude, ils restèrent sur
leurs gardes. Guillaume garda sa main posée sur le manche
de la lame glissée dans sa botte droite.
L'escalier du carrosse baissé, un jeune homme de petite
taille descendit lentement. Il était étonnamment laid.
Rondelet' et court sur jambes, basané de peau . comme un
algérois, le nez en pied de marmite, il aurait pu faire
sourire les gardes de l'étude. Pourtant, botté comme un
cavalier, avec son pourpoint en chevreau et son épée à
poignée d'argent, il ne prêtait nullement à moquerie tant
il affichait arrogance et fierté.
Il ne portait pas de chapeau. Chacun savait que le
coadjuteur n'en avait jamais lorsqu'il était en habit
civil. Cet oubli évitait à ce jeune homme orgueilleux de
saluer les grands qui lui étaient socialement supéreurs.
Comme beaucoup de parisiens, Guillaume et Jacques Bouvier,
éprouvaient une grande admiration pour leur coadjuteur.
C'est que ce petit noiraud était réputé autant pour son
intrépidité - n'avait-il pas un jour porté secours, l'épée
à la main, à un homme attaqué par six marauds?- que pour
sa science de théologien.
Le coadjuteur cligna plusieurs fois des yeux, cher- chant à
identifier les deux silhouettes qu'il avait devant lui. Sa
myopie lui jouait souvent des tours.
- Monsieur, s'inclina Guillaume qui connais-
sait les usages. - Savez-vous, mon brave, si monsieur
Fronsac est
céans? demanda l'ecclésiastique.
- Il est ici, monseigneur, je vais le chercher. C'était
inutile!
Louis Fronsac, chevalier de Saint Michel depuis quelques mois, futur marquis de Vivonne si le
Parlement de
Paris enregistrait ses lettres patentes, s' avançait, suivi
par son père le notaire Pierre Fronsac. De l'étage où ils
se trouvaient, tous deux avaient entendu le martèlement des
chevaux et le roulement de la voiture.
À nouveau le coadjuteur plissa les yeux pour tenter de
reconnaître les hommes qui s'approchaient. L'un était âgé
et portait une chevelure blanche, il l'ignora. Le second, en
pourpoint couleur feuille morte et chemise blanche à col
rabattu avait de longs cheveux noirs et une fine moustache
qui lui tombait jusqu'au menton. Le regard du coadjuteur s'égara
vers les poignets de ce dernier où il distingua les galans
noirs. 1
Louis Fronsac était parfois surnommé par ses amis l'homme
aux rubans noirs à cause des galans de cette couleur qu'il
attachait aux manches de sa chemise alors que la mode était
maintenant aux galans multicolores.
~ Louis! s'exclama le moricaud, maintenant sûr
de lui. Au collège de Clermont, Louis Fronsac et Paul de
Gondi étaient tous deux pensionnaires. Dans cet établissement
des jésuites, Don moricaud était le sobriquet de
Gondi et, depuis qu'il avait été nommé coadjuteur et évêque
- in partibus[1] - de Corinthe 1, les parisiens
l'appelaient amicalement: Don moricaud de Corinthe."
1. L'évêque de Corinthe n'avait pas d'évêché, c'est
pourquoi ce titre était donné au coadjuteur de Paris.
Paul de Gondi était le plus éminent rejeton de l'illustre
et richissime famille des Gondi qui se disait de très
vieille noblesse.
En réalité, les Gondi étaient des banquiers florentins
arrivés à Paris dans les malles de Catherine de Médicis.
Riches, ils s'étaient vite imposés. Le patriarche, Albert,
avait épousé la veuve du baron de Retz et obtenu le titre
de duc de Retz. Il avait eu dix enfants, dont l'un avait été
cardinal, un autre - Jean-François - était l'actuel archevêque
de Paris, un autre enfin, Philippe-Emmanuel, était le père
de Paul de Gondi.
Ce dernier était probablement le plus étonnant des membres
de cette illustre famille.
Général des galères, duelliste arrogant, violent et
redouté, Philippe-Emmanuel avait brusquement - à la veille
d'un duel !- reçu la révélation divine. Veuf, il avait
alors abandonné le luxe de sa vie de grand seigneur pour
entrer dans l'ordre contemplatif de l'Oratoire et se retirer
dans une cellule sous le simple nom de père de Gondi.
(A suivre)
Notes et
Sources.
HIPP,
Marie Thérèse-"Cardinal de Retz-Mémoires"-Édition
de Michel Pernot- Folio Classique- 3835-Éditions
Gallimard-2003.
Actes du Colloque de Quimperlé-L'abbaye Sainte Croix de
Quimperlé-UPRES-A 6038 du CNRS-UBO Brest. octo. 1998.
Commande ou Commende, attribution d'un bénéfice régulier(abbaye,
prieuré) à un membre du clergé sécilier, voire à un laïc.
L'abbé ou le prieur commendataire est dispensé de résidence
et perçoit le tiers des revenus du monastère.
[1] INnPartibus, Évêque titulaire d'un diocèse
situé en pays non chrétien, donc sans fidèle, ni
fidèles.
Jean
François de Gondi, oncle de Jean François Paul de Gondi
Né
à Paris en 1584, mort le 21 mars 1654, inhumé à Notre
Dame de Paris.
Capucin sécularisé et comblé de bénéfices ecclésiastiques,
il fut nommé par brevet royal et préconisé le 14 novembre
1622, Paris ayant été érigé en siège archiépiscopal le
20 octobre. Sous son épiscopat furent créées nombre d'œuvres
religieuses importantes : séminaire Saint Nicolas-du
Chardonnet, fondé par Monsieur Bourdoise, Prêtres de la
Mission et Filles de la Charité par saint Vincent de Paul,
séminaire Saint Sulpice, par Monsieur Olier. Il faut citer
également le vœu de Louis XIII (1637). Après avoir
travaillé à la fondation de l'Institut du Saint-Sacrement
(lié à Port-Royal), il en devint le directeur. Il eut à
sa charge son trop fameux coadjuteur et successeur Jean François
Paul de Gondi, cardinal de Retz
Le génial charabia du cardinal de Retz.
Jean-François Paul de Gondi, cardinal de Retz.
Le bonheur de Retz, c'est un mélange d'amours,
d'audaces, de conspirations. de conclaves, de retournements,
de cavalcades, d'emprisonnements. d'ambassades, de tempêtes.
De coups de main, d'évasions, d'écharpes bleues, de dames,
de violons, de trompettes, qui donne « un spectacle qui se
voit plus souvent dans les romans qu'ailleurs ». Le'
bonheur de Retz, c'est un style étonnant, plein de
fulgurances, d'images télescopées, un style enfantin,
insolent, joueur, cousin du « génial charabia à la
noblesse impeccable » que Louise de Vilmorin prêtait à
Madame de Lafayette, le style d'un seigneur en robe de soie
et cuirasse dorée qui regarde le rouleau compresseur de
l'histoire pulvériser ses rêves et les relève un par un,
pour en faire de la littérature. Le bonheur de Retz, c'est
enfin, c'est surtout un art de la pointe qui donne, aux
premiers développements des Mémoires, la plus belle
galerie de portraits chargés de la langue
française.
La Fronde, mise en scène par Retz, devient une
tragi-comédie galante aux acteurs singuliers,
Comment ne pas savoir par cœur les descriptions
qui ponctuent le ballet 7. La Reine « avait plus d'aigreur
que de hauteur, plus de hauteur que de grandeur, plus de
manière que de fond. plus d'inapplication ni d'argent que
de libéralité, plus de libéralité que d'intérêt. plus
d'intérêt que de désintéressement, plus d'attachement
que de passion ». M. le duc d'Orléans « avait à
l'exception du courage, tout ce qui était nécessaire
à un honnête homme, mais comme il n'avait rien, sans
exception, de tout ce qui peut distinguer un grand homme, il
ne trouvait rien dans lui-même
qui pût suppléer ni même soutenir sa faiblesse ». M, de Beaufort « se croyait habile, et c'est ce qui
le faisait paraÎtre artificieux, parce que l'on connaissait
d'abord qu'il n'avait pas assez d'esprit pour être fin »,..
M, le prince de Conti « était un zéro, qui ne
multipliait que parce qu'il
était prince du sang »,.. Il faudrait continuer. évoquer tous les personnages du drame, le
Grand Condé, M. de Turenne, M. de La Rochefoucauld,
M"" de Longueville et ses « réveils lumineux
et surprenants », la douce Madame de Montbazon,
qui avait conservé dans le vice " si peu de respect
pour la vertu ".
On ne devrait jamais laisser passer un an sans
relire ces pages extraordinaires de Jean-François Paul de
Gondi, prêtre. archevêque, cardinal de Retz.
Cadet d'une famille italienne arrivée en France
au XVI' siècle dans les bagages de Catherine de Médicis,
effronté, comédien, tapageur, impudique, cynique,
impatIent. orgueilleux. comploteur. il crut après Richelieu
et Mazarin, pouvoir être le troisième prélat à régner
sur la France.
« Héros
de bréviaire» selon son amie Madame de Sévigné, il
ne régna jamais que sur nos bibliothèques et sur nos cœurs
grâce à une Vie du cardinal de Rais composée en dix-huit
mois, au soir de sa vie. Ce livre de Mémoires
fit successivement les délices de Stendhal, Paul
Morand, Guy Debord. Il serait dommage de ne pas leur emboîter
le pas. Pour une fois qu'on réédite un écrivain sans
qu'il soit question ni d'anniversaire ni de célébration.
notre bonheur est complet.
Sources.
Sébastien
LAPAQUE.écrivain.
Joseph Lohou(Décembre 2007)