Les Bretons du Havre
Une anecdote racontée dans ma famille peut apporter des
éléments de réponse à votre
question : j'ai bien souvent entendu ma grand-mère
me raconter son arrivée au Havre, à la fin du XIXe siècle.
Mon arrière-grand-père, Jean-Yves Le
Gall, ouvrier agricole à Callac — qui par ailleurs était un conteur renommé
dans la région — a été embauché par un "agent recruteur" qui battait
la campagne autour de Callac, pour aller
travailler aux usines Westinghouse, au
Havre, vers 1895.
Comme souvent quand on est
travailleur immigré, il lui fallut attendre deux à trois ans avant d'avoir
assez d'argent
pour faire venir sa famille.
Ma grand-mère, Anne-Marie Le Gall
(née en 1888) se rappelle ce voyage; c'était en 1897, elle avait 9 ans. Après
avoir rejoint Morlaix
en en char à banc — déjà un grand voyage, c'était la première fois
qu'elle quittait Callac !
Elle s'est embarquée avec sa mère et ses
deux frères sur un bateau qui faisait la liaison régulière Morlaix-Le
Havre.
Au bout de quelques heures survient une forte tempête et toute la
famille, trop pau¬vre pour louer une cabine, reste sur le pont, trempée
et malade. Un homme de l'équipage; ma grand-mère dit que c'est "le
capitaine" a pitié de cette mère et de ses trois enfants et les
conduit à la seule cabine restée libre... et pour cause : il y avait un
cercueil à l'intérieur !
"Pendant de longues heures, se rappelle ma grand-mère, on est resté
ballotté par la tempête, à côté du cercueil, éclairé par une petite
bougie, sans oser sortir".
Le
débarquement au Havre a fait l'effet d'une arrivée dans un Nouveau
Monde, one grande ville, un grand port, des gens qui parlent
français... toutes choses nouvel-les pour la famille Le Gall uniquement
bretonnante ! Heureusement le père Le Gall était là, qui a emmené bien
vite toute la maisonnée chez lui dans le quartier "breton" des
Raffineries.
Une
des explications possibles à ce fort taux d'immigration paysanne
bretonne au Havre tient à la situation de fa ville qui est une enclave
urbaine complètement étrangère à la campagne cauchoise environnante.
Vers 1860, au moment de l'arrivée du chemin de fer, lors de
l'installation des usines Westinghouse (à capitaux anglais), les
paysans refusèrent d'y travailler et il fallut faire venir des
travailleurs immigrés.
Michel Colleu
Le Juch
29100 Douarnenez.
Notes de la rédaction.
Anne
Marie Le Gall naît en septembre 1888 au village de Kernavalen en
Callac, ses parents, Jean Marie et Anne Cozic s'étaient mariés en
janvier 1877 à Callac ; le père, originaire de Callac et sa mère de
Duualt.
Anne Cozic, accompagnée de Pierre, son premier fils de 14 ans et Anne
Marie de 9 ans furent les voyageurs décrits dans cet article ci-dessus.
Une simple remarque, Anne Marie n'avait qu'un seul frère comme nous
l'avons constaté dans le recensement de 1891 !
Extrait du "Kaier Ar Poher" n° 6 -juin 2001.