Callac-de-Bretagne

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Une famille foraine, Les MOUTON

 

                  Petit Historique.

  En vieux français, un « forain » est quelqu'un d'extérieur, d'étranger au village (le mot a donné l'adjectif anglais foreign, qui a gardé ce sens). Dans la France rurale des siècles passés, les gens qui avaient des propriétés, des terres dans un village autre que le leur, étaient appelés « forains ».

Au XVIIIème siècle, le terme de « forain » s'oppose à celui d'artisan faisant partie d'une corporation d'artisans. Le sens initial de « forain » est encore présent dans des expressions comme :

  • audience foraine » (audience tenue par un juge en dehors du tribunal),
  • journée foraine » (sortie annuelle organisée par une société

 Les forains à Callac.

     Depuis les années 1900, les manèges forains avaient l'habitude de fréquenter en grand nombre la sainte Barbe, la dernière semaine de juillet, couvrant toutes les places de leurs caravanes et boutiques multicolores : donnant ainsi à toute la ville, un air de fête. Qui, ayant dépassé les 75-80 ans, ne se souvient de la "couleuvre" des CHEVALLIER, des "autos-tampons" des HOFFMANN, de la loterie et du tir des MOUTON...

   C'est par hasard que nous avons eu connaissance d'un livre de l'année 1954, "Profession Forain ?" où Mme Annick LORENZO, prenait contact à St Brieuc avec la famille MOUTON et s'entretenait avec eux de leur vie de forains ; une vraie tranche de vie publié en 1985 et que nous laissons le lecteur apprécier à sa juste valeur les aléas journaliers de la profession. 

 

L'aîeule des Mouton, centenaire,  à la fenêtre de sa roulotte

Annick MOUTON, une figure bien connue des callacois.


  


          L'entretien avec les filles MOUTON(1984).

 "J'ai passé quelques jours avec Georgette, 45 ans et Betty Mouton, 40 ans,  à Saint-Brieuc. Nous avons eu tout le temps de bavarder, le matin, dans leur petit «camping», en dehors des heures d'ouverture de la fête. Sœurs et célibataires, elles font partie des forains «régionaux» puisqu'elles ne quittent jamais la Bretagne. Le travail est artisanal, les boutiques modestes et les revenus précaires. Faute de pouvoir se développer, s'adapter à l'évolution de la profession, Georgette et Betty sont contraintes d'abandonner le métier.

«Pour vivre, nous ferons les marchés; c'est le seul métier qu'on puisse faire quand on quitte le monde forain».

Parlez-moi un peu de ce que vous avez fait jusqu'à aujourd'hui.

Georgette : J'étais au travail de très bonne heure. J'ai commencé par aider nies parents qui ont une loterie et j'ai travaillé avec eux jusqu'à l'âge de 20 ans. Puis, j'ai pris la succession de mon frère au stand de tir et j'y suis toujours; cela fait 25 ans que je tiens ce stand. Comme nous sommes deux sœurs célibataires, nous suivons nos parents et nous les aidons un peu à la loterie.

                                             

Georgette dans son stand de Tir

Betty et Georgette en préparation du stand de tir

Le tir est un métier assez dangereux où il faut faire attention. Des clients parfois sont maladroits ou sont ivres et peuvent me blesser avec les balles. Il ne m'est heureusement rien arrivé jusqu'à ce jour niais des voyageurs (elle est très confuse d'avoir employé ce terme et se reprend aussitôt)... je veux dire des forains, ont été tués en tenant ce métier.

      Betty: Quand j'étais enfant et pour nous occuper sur la fête, nies parents avaient monté, pour mon frère et moi, un panneau de bonne aventure. J'étais du côté femmes, mon frère du côté hommes et nous donnions aux clients leur horoscope: un petit carton sur lequel il fallait frotter un coin pour qu'apparaisse la photo de l'homme ou la femme de votre vie. Nous faisions venir ces cartons de Paris. J'avais sept ans. Ensuite j'ai tenu une petite loterie où l'on gagnait des poupées en plâtre noir et un manège d'enfants. A 29 ans, j'ai dû entrer dans la confiserie de mon oncle (mon père et mon oncle sont associés). Je ne le voulais pas à ce moment là, je préférais mon petit manège, mais il le fallait et je n'ai pas eu le choix. Je suis donc entrée dans la confiserie et je n'en suis plus ressortie.

 

Pouvez-vous me décrire votre métier?

     Georgette : J'utilise des balles de 6 mm et j'en donne cinq pour une partie à 10 F. Je fixe les prix en suivant le cours pratiqué par les autres forains et en tenant compte évidemment du prix de revient des balles, des cartons, des armes. J'achète les balles en gros ; les 10.000 balles coûtent actuellement 2.600 F et durent environ trois ou quatre fêtes. Les cartons servant de cibles ne sont pas chers (60 F le mille); c'est là que nous faisons notre bénéfice, je fais venir les armes de Saint- Etienne. J'en ai une vingtaine mais seulement huit en circulation. Les autres servent de réserve et de dépannage. Une carabine dure à peu près trois ans parce qu'elles servent beaucoup et que les clients les maltraitent, les font tomber. Je surveille niais pour une baraque de six mètres je suis toute seule. Je ne peux donc pas tout voir et le matériel est souvent abîmé. La dernière carabine que j'ai achetée m'a coûté 2.300 F. Je n'utilise pas de carabines à répétition ni de pistolets car c'est trop dangereux ; il y en avait beaucoup, auparavant, dans les baraques foraines mais c'est fini maintenant. Parfois, lorsque je rentre dans nia boutique, je me demande si je vais bien en ressortir. J'ai six canons autour de moi, très peu de place entre et, pour aller d'un client à l'autre, je dois nie glisser sous les carabines. Les clients gagnent du vin, du mousseux, du blanc, du rouge, du rosé. Quand avec cinq balles ils enlèvent la
mouche au centre de la cible située au fond d'un petit
tunnel. ils emportent la bouteille de leur choix. J'achète le vin chez des fournisseurs en Bretagne et chaque bouteille me revient à 5 F. Je n'ai pas intérêt à ce que le client gagne à chaque fois mais j'ai malgré tout de bonnes carabines. Certains stands de tir, au contraire, donnent des armes volontairement faussées. Chez moi, quelqu'un qui sait tirer gagne deux bouteilles avec trois cartons.

    Betty: Dans la confiserie nous vendons du nougat, des berlingots, des sucettes, des pommes d'amour, du chocolat. Nous fabriquons les berlingots, les sucettes et les pommes d'amour; nous nous faisons livrer le reste. Pour faire deux kilos de berlingots, je mets deux kilos de sucre à cuire avec de l'eau et du vinaigre. Quand le sucre fait des petites bulles, j'ajoute le colorant et je le verse sur le marbre. Je le travaille au crochet pour l'allonger pendant dix ou quinze minutes puis je coupe les berlingots aux ciseaux et j'écrase les sucettes pour leur donner une forme. plate. Plus le sucre est travaillé, mieux c'est. Autrefois, nous fabriquions des «pailles», c'est-à-dire du sucré travaillé le plus longtemps possible, très allongé, jusqu'à ce qu'il devienne souple, presque transparent. On ne le fait plus aujourd'hui car c'est un travail trop délicat : le sucre est très fragile et se casse facilement. Je vends les berlingots au poids (5 F les 100 grammes) et les sucettes à la pièce (5 F l'une). Pour les pommes d'amour, je pique un bâton dans la pomme, je fais bien cuire le sucre, j'y ajoute du colorant rouge, je trempe la pomme dans le sucre et je laisse refroidir; la pomme coûte aussi 5 F.

Quand les fêtes sont courtes, je fabrique les bonbons d'avance. Quand elles sont plus longues, je fais un peu de fabrication pendant l'ouverture de la boutique pour que les gens voient bien que nous le faisons nous-mêmes. Mais, dès qu'il y a du monde, il devient très difficile de faire les deux à la fois, de vendre et de fabriquer, car le sucre durcit très vite et, une fois dur, on ne peut plus le couper. Ou alors il faudrait travailler au glucose. On peut alors laisser le sucre sur le marbre, il ne durcit pas. Mais je travaille au sucre, c'est bien meilleur. De plus, il faut bien surveiller la cuisson du sucre car il «graine» facilement et une cuite grainée est irrécupérable ; il faut la jeter. Si l'on essaye de recuire le sucre, c'est beaucoup moins bon et certains parfums ne peuvent pas, de toute façon, être recuits. C'est le cas de l'anis, de la violette, de la menthe. Quand le fourneau marche, il fait chaud dans la boutique; il suffit que nous levions un store de côté pour qu'un souffle d'air passe et «graine» le sucre. 11 faut donc faire très attention.

Vous vous occupez aussi, m'avez-vous dit, de la loterie de vos parents?


La loterie de M. et Mme Annick MOUTON,
oncle et tante de Georgette et Betty avec leur neveu.


   Georgette : Lorsque nous sommes ouverts, je ne tiens que mon tir; j'astique mes tunnels en cuivre, mes fusils et j'attends le client. Il y a plus de travail dans une loterie où il faut déballer la marchandise, attendre les fournisseurs de poupées, de peluches. de vaisselle. J'aide donc mes parents qui sont âgés (ils ont 74 ans) pour les déballages, remballages. Nous faisons aussi les billets, nous roulons les gagnants. Nous achetons les billets dans les Vosges et nous inscrivons un lot sur certains ; ce sont les gagnants. Les billets sont dans une corbeille et le client en tire trois pour 5 F. Nous faisons aussi des lots de billets à 10 et 20 F où il y a nécessairement un billet gagnant. En cas de plaintes de clients, la police des jeux peut venir vérifier qu'il n'y a pas que des billets perdants dans les corbeilles ou les paquets. Certaines loteries qui ont des lots assez chers., comme de grosses peluches ou des transistors, ont tendance à tricher. Le forain groupe quinze ou vingt billets en appelant le client à venir y chercher le gagnant. Mais le gagnant, il l'a dans la main ! Ce n'est pas honnête. Ce n'est plus de la loterie mais du vol. Ce n'est pas toujours dans les belles loteries qui exhibent de gros lots qu'on a le plus de chance de gagner.

Nous donnons, chez nous, de la vaisselle qui vient de Quimper, des peluches et des poupées que nous achetons aux représentants qui visitent les fêtes. Certains de nos lots sont plus chers que d'autres et nous devons bien calculer. Les couvertures, par exemple. Nous n'en mettons que trois pour 250 billets car elles valent environ 100 F pièce. Les lots les moins chers se trouvent dans la vaisselle ; nous payons 5 F un saladier ou un cendrier. Une peluche de 20 centimètres coûte 20 ou 30 F et nous ne trouvons pas de poupées à moins de 50 F. Il faut donc bien calculer nos billets gagnants.

Des trois métiers appartenant à votre famille, lequel est le plus rentable ?

     Betty: La confiserie, car c'est le seul où on peut faire des bénéfices de 50 %. C'est-à-dire qu'on revend au double du prix d'achat. Mais pour fixer nos prix, nous nous entendons avec les autres forains sur la fête.

Qui s'occupe de votre comptabilité ?

   Georgette : Nous-mêmes comme tout commerçant. Nous faisons un relevé de comptes en fin d'année, nous payons nos impôts. Nous n'avons jamais pris de crédit, jamais eu de traites, donc notre gestion est très simple. Nous n'avons pas besoin de comptable.

Vous êtes ce que l'on appelle des «régionaux» puisque vous ne tournez qu'en Bretagne.

     Georgette : Oui, nous restons toujours en Bretagne, dans le Finistère et les Côtes du Nord. Nous suivons la tournée établie par nos parents. Nous sommes à Loudéac à Pâques, à Callac en mai, à Tréguier pour la Saint- Yves, à Saint-Brieuc en juin, à Guingamp en juillet, puis dans de petites fêtes à Goudelin, Pontrieux, Huelgoat, Rostrenen, Châteauneuf, Châteaulin, puis Landivisiau, Lesneven, Morlaix, Concarneau et nous terminons à Carhaix en novembre.

     De novembre à mars nous arrêtons. Nous hivernons chez mon frère qui a une maison à La Roche- Maurice. Nous vivons dans nos caravanes garées dans la cour de la maison. Auparavant, nous allions à Brest pendant l'hiver mais c'était très pénible sous la tempête, le vent, la pluie et nous ne gagnions rien ; certains jours 30 F seulement ! Nous avons donc abandonné depuis 10 ans et nous faisons depuis la même tournée. Nous avons nos droits de places et nous écrivons nos lettres de réservation en janvier. Évidemment certaines fêtes sont meilleures que d'autres comme Morlaix, Rostrenen, Guingamp. Châteaulin. D'autres comme Saint-Brieuc, deviennent vraiment mauvaises. Il y a quinze ans. nous étions en plein centre ville à Saint-Brieuc. nous ouvrions le matin jusqu'à minuit et nous avions beaucoup de monde. Puis on nous a changé de place, nous sommes à la périphérie, nous ouvrons seulement l'après-midi et nous avons une mauvaise clientèle de voyous. Ce n'est plus du tout une fête rentable mais on continue à y venir parce que nous n'avons rien d'autre. 

   Betty : Et puis, certaines fêtes sont beaucoup mieux équipées que d'autres. 

      A Saint-Brieuc, il n'y a aucun écoulement d'eau prévu. Comment voulez-vous qu'on se lave, qu'on mange? Nous allons jeter les eaux usagées dans l'égout mais ce n'est vraiment pas commode. De plus, tous les forains sont branchés sur la même source d'eau; s'il y a un feu à éteindre, un incendie, nous devons tous nous débrancher avant de pouvoir avoir de l'eau. A Guingamp au contraire, nous avons un système d'écoulement des eaux, les pompiers sur la fête, nous sommes au centre de la ville et les places ne sont pas plus chères. Quand les municipalités prévoient des emplacements mais aucun aménagement pour nos caravanes, les gens ont beau jeu de dire ensuite que nous salissons le pays avec nos eaux usagées, que nous créons des embouteillages etc.

Quels sont les prix des emplacements sur ces fêtes?

 Georgette : Ils varient selon les villes. A Saint-Brieuc en 1954 nous avons payé 20 F le mètre carré; notre loterie fait 18 mètres carrés, le tir 12 et la confiserie 18. Dans les petits villages nous payons, en général, 10 F par mètre carré. A Concarneau c'était 1.200 F pour la loterie pour les trois semaines de fête. Nous payons aussi le branchement électrique (150 F à Saint-Brieuc et 350 F à Guingamp) et la consommation (300 ou 400 F par semaine en général). Nous payons l'eau. Dans certaines villes comme Carhaix nous payons l'emplacement de nos caravanes 5 F par jour. Or nous avons plusieurs caravanes : celle de mon oncle, celle de mes parents, celle de ma soeur et moi, celle de ma grand-mère qui est centenaire et nous suit toujours partout.

 

      Nous réglons tout cela et, quand la fête est finie, il faut immédiatement partir. Comme nous n'avons pas toujours deux fêtes qui se suivent, nous essayons de trouver un coin polir nous garer, chez des amis qui ont un bout de terrain. Sinon, nous faisons des haltes de 24 heures en 24 heures jusqu'à ce que nous arrivions sur la fête. Car nous avons, en principe, un droit de stationnement pour 24 heures, pas au-delà. Mais déménager tout le temps ce n'est pas drôle, d'autant que nous n'avons pas de chauffeur pour notre camion. C'est mon frère qui, à chaque fois, vient nous déplacer. Il a quitté le métier forain depuis cinq ans et vend des plants de fleurs et de légumes sur les marchés. Comme il ne travaille ni le mardi ni le vendredi, nous profitons autant que possible de ces deux jours pour faire les convois.

      Mon tir n'est pas une voiture-boutique mais une baraque en bois et en tôle qui se démonte. La confiserie et la loterie, par contre, sont des voitures-boutiques, des remorques. Lorsque l'on quitte une fête, je démonte le tir, ce qui me prend environ deux heures, et je le charge dans le camion. Nous faisons un premier convoi avec le camion chargé qui tracte la caravane de mes parents et je conduis la voiture qui tire notre petit camping. Puis nous faisons un autre voyage avec le camion qui, cette fois, tracte la loterie. Mon oncle et ma tante se chargent quant à eux de la confiserie, de leur caravane et de celle de la grand-mère. 

Betty Mouton dans sa confiserie.





Fabrication des sucettes.
Annick MOUTON et sa nièce Betty

Fabrication des sucettes.
Annick MOUTON et sa nièce Betty


                   

 

Nous faisons donc deux tours à chaque fois pendant lesquels mon frère conduit le camion car mon père est trop vieux et ni ma sœur ni moi n'avons le permis "poids lourd"..

J'entends dire quelquefois que les forains ont la vie belle. Nous sommes libres, c'est vrai, mais nous travaillons dur. Notre vie n'est pas toujours rose, notamment quand il faut déménager sans cesse parce qu'on se fait chasser d'un endroit à l'autre.

 Betty : On nous dit souvent d'aller nous garer avec les nomades. Mais nous ne sommes pas de la même race !

Quels nomades?

 Betty : Les Gitans, ceux qui sont sales, qui mettent leurs draps dehors; vous voyez?

Vivez-vous toute l'année en caravane?

     Georgette : Oui, tout le temps ; nous n'avons pas de maison. Nous avons un livret de circulation et notre commune de rattachement est Carhaix. Nous y avons notre état civil et nous y payons nos impôts. Comme nous sommes toutes les deux célibataires, nous restons avec nos parents. Nous prenons nos repas avec eux dans leur caravane et nous avons un petit camping à nous pour dormir. Mes parents ont acheté leur caravane à Landerneau il y a 40 ans ; cela n'a rien à voir avec les petits campings que nous achetons et qu'il faut changer souvent. Nous avons gardé le précédent sept ans parce qu'on s'en sert assez peu, seulement pour dormir, et parce qu'on ne fait pas de très grands parcours. Notre plus grand trajet est de 120 km. En outre, dans ces campings, il faut davantage ranger nos affaires quand on fait de la route que dans la caravane qui est plus stable. Si bien qu'on finit par laisser une grande partie de la vaisselle ou de la porcelaine emballée. Tout reste dans les boîtes, sauf pendant les quatre mois d'hiver où on est sur place. La caravane de mes parents n'est pas très grande non plus. Elle est longue de 5 mètres et large de 2,45 mètres. On ne peut y loger la machine à laver qui reste dans le couloir de la loterie. Ce qui fait que, lorsque les métiers ne sont pas à côté de la caravane, nous n'avons pas d'eau et ne pouvons pas nous en servir. Mais je n'aimerais pas avoir une caravane à rallonges comme celles que l'on construit aujourd'hui ; elles ne sont commodes que pour les forains qui font de longues fêtes car, quand on s'en va, il faut ramasser tous les meubles pour pouvoir replier. Je ne me vois pas faire cela tous les huit jours.

Vos parents ont 74 ans ; pensent-ils à s'arrêter?

Georgette : Oui, et je vais être obligée de m'arrêter aussi, d'abandonner mon tir car je ne pourrai plus faire les convois et nous n'avons pas de quoi payer un chauffeur. 1984 est sûrement la dernière année de vie foraine pour ma sœur et moi aussi.

Qu'allez-vous faire ensuite?

 

Georgette : Nous allons acheter un petit terrain près de la maison de mon frère et nous nous y installerons avec nos caravanes. Il nous suffit d'avoir l'eau, l'électricité et le téléphone. Nous vendrons notre loterie en passant une annonce dans le «Journal Forain» ; je pense en tirer environ 50.000 F.

Pour vivre, nous ferons les marchés, ma sœur et moi. On vendra du linge, de la dentelle, des chaussures, n'importe quoi. Ce n'est pas un problème, nous avons de la ressource. Nous nous approvisionnerons chez les grossistes-à. Paris, ou dans les usines pour avoir un fond de soldes. Notre vie sera différente bien sûr, mais c'est le seul métier qu'on puisse faire quand on quitte le monde forain. Nous n'avons pas d'instruction et faire les marchés est notre seul débouché.

Gagnerez-vous moins bien votre vie?

Georgette : Non, car nous aurons plus de jours de travail. Actuellement nous ne travaillons, la plupart du temps, que deux jours par semaine, les samedis et dimanches. Nous faisons surtout des fêtes de huit jours ce qui signifie en termes forains que nous arrivons généralement le mardi sur la fête pour ouvrir le samedi et repartir le lundi suivant. C'est à Saint-Brieuc, Morlaix et Concarneau seulement que les fêtes durent quinze jours ou trois semaines et que nous ouvrons tous les jours. Le reste de l'année, nous ne travaillons que le week-end. En revanche, en faisant les marchés, nous travaillerons tous les jours. Cela devrait donc revenir au même. J'aime ma vie, j'aime mon métier et je vais avoir mal au cœur le jour où je devrais le quitter. J'aime notre vie en famille, notre liberté, notre voyage. Abandonner tout cela sera difficile. Il faudra essayer.

Et que n'aimez-vous pas dans votre profession?

Georgette : Je n'aime pas le démontage du métier, cette danse des bouts de bois et des tôles. Les remorques sont beaucoup plus pratiques. Je n'aime pas non plus exploiter mon métier quand il fait mauvais temps ; je crains toujours que le vent n'emporte les tôles. Je n'aimais pas du tout, lorsque je tenais la loterie, faire le boniment au micro pour attirer le client ; je ne sais pas pourquoi mais j'avais un peu honte. C'est ridicule pour quelqu'un qui est né là-dedans !

Betty: J'aurais bien aimé avoir un petit commerce fixe. Pas une confiserie car il y a trop de concurrence avec les grandes surfaces, mais un magasin de fleurs. Parce que je ne crois pas trop à l'avenir des forains, à moins de faire de grandes fêtes comme la Foire du Trône ou des" lunapark". A mon avis, c'est la fin des petites fêtes. De plus, les gens sont parfois très agressifs envers les forains. Le dernier exemple que je peux vous donner c'est à Saint13rieuc où les habitants de l'immeuble voisin, qui ne pouvaient pas dormir à cause de la musique, nous ont jeté des oeufs, des bâtons, des bassines d'eau.

 

 


  Sources.
 
"Profession Forains", Lorenzo Annick.
Paris-Éditions Charles MASSIN-1985.



                                                                         Joseph LOHOU(décembre 2009-février 2017)


 

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