|
Callac-de-Bretagne |
|
Page
Retour
Un cousin de Fitzgerald
TOUT ÇA pour une photo. Elle est en noir et blanc, signée Walker Evans.
Katey, qui tombe dessus en 1966 dans une exposition au MoMA, reconnaît tout de suite Tinker Grey. Ah, Tinker !
La voici soudain replongée dans sa jeunesse, cette année 1938 où tout allait changer.Elle était dactylo, partageait
une chambre dans une pension avec Eve, une blonde de l'Indiana. New
York était leurs pieds. Elles n'allaient en faire qu'une bouchée.
Tinker, elles l'avaient rencontré dans un club de jazz, le soir du
réveillon. L'allure qu'il avait, avec son smoking et son manteau en
cachemire. Après, ils ne s'étaient plus quittés. Il y avait eu cet
accident de voiture où Eve avait été défigurée. Tinker, qui avait l'air
d'être riche, l'avait emmenée en Angleterre, sur la Côte d'Azur.
Katey était persuadée que le jeune homme était amoureux d'elle, mais qu'il s'occupait d'Eve
par culpabilité. Cette dernière a-t-elle gardé cette «bague de fiançailles sertie d'un diamant sur lequel on aurait pu faire du patin à glace» ?
Qu'est-ce que c'était bien, Manhattan, à cette époque ! Ils savaient
que le miracle ne durerait pas, qu'ils se perdraient de vue. Les fêtes
à Oyster Bay appartiendraient au passé. Tinker ne donnerait plus de
nouvelles. Eve partirait pour la Californie et Katey entrerait chez
Condé Nast pour créer un magazine nommé Gotham. Aucun d'entre eux
n'oublierait ces quelques mois.
Ce que c'est d'avoir eu vingt ans.,
Les taxis étaient plus jaunes, les cocktails avaient plus de goût, la
musique était meilleure. Ils avaient tous quelque chose à cacher, des
origines plébéiennes, une maîtiesse plus âgée, trop d'ambition, un
frère peintre et brutal. Amor Towles, dont c'est le premier roman,
travaille dans la finance. On le lui pardonne, après avoir refermé ce
volume sur lequel planent les ombres de Truman Capote et de Fitzgerald.
La narratrice a le franc-parler d'une Dorothy Parker et le charme d'une
Holly. Golightly. Les personnages sont mélancoliques et civilisés. Ils
parcourent les pays et les chapitres. L'auteur galope, tourne les
pages, parfois à la limite du pastiche. La richesse est ce mystère.
Elle a quelque chose d'insolent. Cette frivolité - limousines, Club 21
- masque de la détresse, des remords, du chagrin. Avec une fausse
naïveté, Towles évoque le souvenir d'une société morte, des illusions
broyées.
Où êtes-vous passés, Eve, Tinker, Wallace et les autres ?
TAWLES, Amor (Traduit par Nathalie Cunningham-Albin Michel.
Joseph Lohou( mars 2012)
|
|
© Tous Droits Réservés (Joseph Lohou) |