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L'affaire
du bois de Feunten Men en 1650
L'Homme
et la Forêt.
Les
rapports de l'homme avec l'Arbre et la Forêt sont aussi
anciens que l'humanité même. La place qu'occupe l'arbre
dans nombre de religions, en tant que symbole ou divinité,
suffit d'ailleurs pour en témoigner.
La
forêt française s'étend sur environ 135.000 km², soit
24% du territoire, plantée d'1/3 de résineux et de 2/3 de
feuillus et contrairement à une opinion répandue, notre
forêt en ce début de millénaire est bien plus importante
et en meilleure santé qu'il y a trois siècles, à l'époque
où se déroule notre événement.
La
situation forestière en Bretagne procède d'un cas
particulier, car c'est en effet une région de faible densité
de bois et forêts ; elle est, après la région du Nord et
Pas de Calais (6% du territoire) et à égalité avec la
Basse Normandie (9% du territoire), la moins boisée de
l'hexagone ou plutôt la région la plus déboisée sous
l'influence démographique, propre au pays de bocage. Il
subsiste, bien sûr, des vestiges de grandes forêts
d'autrefois parfois légendaires comme la forêt de Paimpont
ou de Brocéliande.
|
Dans les Côtes d'Armor, il ne subsiste que la
forêt de Duault, les forêts de Beffou, Coat-An-Noz
et Coat-An-Hay, le bois de Malaunay, les forêts de
la Hunauday et de Saint-Aubin, la forêt de Coëtquen,
le bois d'Yvignac, la forêt de Boquen, celle de la
Hardouinais près de Merdrignac, la forêt de Loudéac,
la forêt de Lorges et le bois d'Avaugour près de
Saint-Péver. |
Fig.1-Bois
et Forêts des Côtes d'Armor en 2003
(description
dans le sens horaire en partant de la gauche (Ouest)
La Forêt d'autrefois.
Au
cours des âges, la forêt et la lande, éléments
essentiels d'un paysage rural bien différent de celui que
nous connaissons, reculèrent devant les labours.
A ses applications ordinaires, la forêt ajoutait
celui de pacage qu'elle partageait avec la lande. Pour le
Haut-Moyen-Age, cette Bretagne centrale était un pays de
landes, de marécages, de brousse, de bois nombreux et de
forêts plus étendues qu'aujourd'hui. Mais on ne saurait
l'imaginer comme une immense étendue forestière à peine
coupée de quelques clairières. L'histoire du peuplement
prouve le contraire. Selon Ogée, la forêt de Loudéac
contenait en 1460 plus de 40.000 arpents,
soit environ 22.800 hectares. A la fin du 18e siècle,
elle n'en contenait plus que 8.000. On imagine aisément
l'ampleur des défrichements intermédiaires. Il faut dire
aussi que les actes anciens avaient tendance à exagérer
les étendues sylvestres. Les erreurs d'appréciations étaient
alors inévitables et l'on semble avoir englobé dans les
forêts les menus bois qui les bordent. Il est donc fort
probable que leur étendue aurait peu varié depuis une époque
très reculée. Ce qui est sur, c'est que les forêts
conservaient à peu près, au début du 19e siècle,
les limites qu'elles avaient à la fin du 17e siècle
et leur étendue ne différait guère de ce qu'elle est
actuellement.
Le Code
Forestier
A
l'époque de notre événement, on criait déjà au danger
du déboisement. La vérité, c'est que les forêts s'épuisaient
et se dégradaient. Le fait est ancien, une exploitation défectueuse,
le pacage, les incendies, les besoins en bois de la marine
et les industries rurales de la toile et du fer, l'ouverture
des clairières cultivées les appauvrissaient. Au milieu du
15e siècle, une ceinture de taillis entourait
les futaies et l'on dut réglementer leur exploitation. De
1285 à 1669, de nombreuses prescriptions, d'ailleurs
transgressées par les nobles, les moines, les gardes et les
riverains comme dans le cas qui suit, tendirent à
restreindre les abus du pacage, à prolonger la durée des révolutions
et à imposer la pratique du balivage, c'est à dire le
choix des arbres à abattre.
En janvier 1664, le roi Louis XIV enjoignit aux
communautés ecclésiastiques de Bretagne de faire parvenir
leurs titres devant la nouvelle chambre de Réformation
instituée dans cette province, sous l'égide du parlement
et ceci sur l'initiative de Jean Baptiste Colbert.
Mais bien vite, on s'aperçut des limites du contrôle
forestier exercé en Bretagne par les officiers du roi. S'il
appartenait à ces derniers d'intervenir dans les cas réservés
par les ordonnances, il ne leur revenait pas de se
substituer aux intéressés eux-mêmes. Dans cette province,
c'était la justice locale qu'il incombait d'exercer son
contrôle, sous la tutelle de la Cour du Parlement. Ce régime
original et complexe procédait d'esprit moins préventif
que curatif. A l'abri des franchises ecclésiastiques, il prêtait,
on s'en doute à d'innombrables fraudes. Ses insuffisances
éclateront au cours du siècle suivant, lorsque les besoins
accrus des bâtiments monastiques, souvent en cours de
reconstruction, ajouteront à la crise aiguë dont
souffraient les forêts de mainmorte
dans cette province.
L'enquête au bois de Feunten-Men
Voici
donc, quinze années avant l'application du Code
Forestier, une visite d'un bois par le Sénéchal du lieu,
agissant au nom du Seigneur de Callac, à l'époque
Jean-François-Paul de GONDI, coadjuteur de Paris en 1650,
abbé commendataire
de l'abbaye de sainte Croix de Quimperlé de 1622 à 1667.
Fils de Philippe Emmanuel de GONDI et de Marguerite de
SILLY, il reçut, à la mort de son frère Henri en 1622,
les abbayes bretonnes de Buzay et de Quimperlé. Malgré
son physique ingrat et sa petite taille, il collectionna
plusieurs maîtresses, dont Anne de ROHAN, princesse de Guéméné
et Marie de COSSÉ-BRISSAC vers 1635-1637, puis Denise de
BORDEAUX vers 1641. En 1648, le coadjuteur entre en Fronde
et veut chasser MAZARIN, objet de sa haine viscérale.
Nommé cardinal en 1650, il est arrêté en 1652, exilé
à Rome et ne rentre en France à Commercy qu'après six
années d'errance à travers l'Europe. En 1675, il
commence alors la rédaction des
"Mémoires" et meurt à Paris, victime
d'une congestion pulmonaire le 24 août 1679 et est inhumé
dans l'église abbatiale de Saint-Denis, face au tombeau
de François Ier.
Les délits étaient forts nombreux à cette époque
et les autorités souvent impuissantes à faire régner
l'ordre dans les forêts et bois dépendants de leur
juridiction malgré la présence de gardes généralement
choisis parmi les paysans des villages voisins. Le récit
qui suit, relate la visite annuelle du Sénéchal du lieu
accompagné de Laurent LAMOUREUX, Intendant Général de
Bretagne, du
Substitut du Procureur fiscal, Jacques DOUALLAN, sieur de
Kerlossouarn en Callac
et du notaire René LE JOLIFF, faisant office de
greffier. La visite a également pour raison le changement
de gardes forestiers et
la passation des consignes entre Morice ROUSSEAU et Rolland
LE HENT, gardes sortants et Jan LE NOAN et Pierre LE CAM,
gardes rentrants.
Fac-similé du rapport rédigé par le
Notaire René LE JOLIFF
le 25 août 1625. (AD22- B232)
Nous Gilles LOHOU,
écuyer, sieur du Brunault, sénéchal de la juridiction de
Callac, savoir faisant que ce jour vingt cinquième d'aoust
mil six cent
cinquante, que instamment et le requérant Ecuyer Laurent
Lamoureux, sieur de la Jucallité(?), Intendant Général de
Bretaigne des affaires de Monseigneur le Coadjuteur de
l'Archevêché du Tarn, abbé commendataire de l'Abbaye de
Sainte-Croix de Quimperlé, Seigneur de Callac, Nous Nous
sommes rendus en la forest de Feunten-Men, dépendant de
cette seigneurie de Callac, à l'entée d'icelle prouver ce
jour ai quéri en la compagnie…
Le
récit se poursuit par la déclaration des deux gardes
sortants, à qui le Sénéchal exige sous serment une déclaration
des dégâts occasionnés par les sieurs et paysans des
alentours.
"nous aurions trouvés Morice Rousseau et
Rolland Le Hent, forestiers de la dite forêt, ausquels nous
avons fait lever la main et promettre véritable et fidèle
rapport des desgats commis en la dite forest depuis notre
dernière visite et aurions procédé à la visite comme
ensuite et nous on,t les vieux forestiers
fait voir :
En premier
Une souche de foutteau,
couppé à trois piedss
de hault de terre, de deux pieds de tour par le valet du
seigneur du Cludon,
prit l'an.
Autre de
foutteau d'un pied et demi par la mesme et à mesme temps
Autre de foutteau d'un pied et demy de tour par Pierre Toupin de
Restelbers?, print l'an"
Le
bois de Feunten Men ou Coatcallac étant de dimension
modeste, suit une énumération des déprédations enregistrées
par les gardes durant l'an passé :
·
Souche de chêne de 2 pieds ½ de tour, pris par le valet du
seigneur du Cludon l'hiver dernier.
·
Souche de chêne de 3 pieds, pris par le valet de François Le Bras
de Kerglas.
·
Autre de chêne d'un pied, pris par François Louédec, fils d'Étienne
du Scalon.
·
Autre de chêne d'un pied, pris par les valets du seigneur du
Cludon.
·
Autre de foutteau de 4 pieds, pris par le valet de M. Jacques de
Lardière de Kerizoret.
·
Autre de foutteau de 2 pieds, pris par le dit Toupin il y a 10 mois.
·
Autre de foutteau d'un pied ½, pris par Louis Le Du.
·
Autre de foutteau d'un pied, pris par Yves Quérou, fils d'Alain de
Kermoyec Bras aux fêtes de Pâques.
·
Autre de foutteau de 3 pieds de tour, coupé à ras de terre par le
fils Auffret des Ferrieres d'en bas.
·
Autre de foutteau, coupé à 4
pieds ½ de terre e de 3 pieds de tour par Louis Le Lorrec,
fermier du sieur de Cresmabon du lieu du Boulmic au prieuré
de Loc Envel.
·
Autre de foutteau de 3 pieds de tour coupé par Pierre Auffret, fils
de François de Loc Envel, pris il y a 2 mois.
L'acte se termine ainsi :
" Il ait fait sçavoir que nous n'avons
remarqué autre dégâts en la forêt, Nous Nous sommes
retirés pour laisser les vieux forestiers déchargés du
bois et enjoints aux nouveaux forestiers de la fidélité
comportée par la dite charge et sont les susnommés
condamner de payer sçavoir pour chaque pied de chêne de
haut: 6 sols et pour chaque pied de foutteau, 24 sols.
Ainsi signent : LAMOUREUX, Gilles LOHOU, sénéchal
de Callac, DOUALLAN, substitut et René Joliff, greffier.
Toutes ces enquêtes et mesures coercitives étaient diligentées
par les autorités royales qui s'inquiétaient de
l'incroyable désordre qui régnait à cette époque dans
les bois de mainmorte.
Déjà en 1637, le conseiller de la Bourdonnaye
avait rendu visite aux bois de Callac et les avaient trouvés
complètement dévastés. Les dégâts s'élevaient à plus
de 100 000 livres, il confia à Maître Bonaventure Roussel
le soin de veiller aux affaires de la Juridiction de Callac.
Or, profitant de l'exil du cardinal de Retz après son
engagement dans la Vieille Fronde en 1648, cet homme peu
scrupuleux s'était entendu à mettre les bois de l'abbaye
en coupe réglées. Il fut condamner à 500 et 800 livres
d'amende au profit du roi et des hospices. Mais cette
affaire reprit après le décès de l'inculpé en 1678 et se
poursuivit jusqu'en 1687 contre Demoiselle Noëlle Allain,
sa veuve et ses enfants mineurs.
Ce bref épisode de la vie des paysans du Centre
Bretagne au milieu du 17e siècle,
nous informe des difficultés et des limites du contrôle
forestier exercé par les officiers du roi dans les bois
soumis aux franchises ecclésiastiques, qui se prêtaient,
on s'en doute, à d'innombrables fraudes.
Fig.2
Le village de Coatcallac, anciennement Feunten-Men en
Plougonver
(Carte
de Cassini)
J.Lohou(avril
2004)
(Mise à jour : août 2010)
Notes
et sources.
J.Lohou, La seigneurie de Callac-Pays
d'Argoat-
N°22- 2/1994.
Cardinal de Retz- Mémoires- Édition présentée et
annotée par Michel Pernot, Maître de conférences
honoraire à l'Université de Nancy II- Texte établi par
Marie-Thérèse Hipp.- Folio classique 3835- Gallimard.
Archives
départementales des Côtes d'Armor- Série B.
Corvol Andrée, L'Homme et l'Arbre sous l'Ancien régime- Économica-
1984.
DUVAL Michel- Forêts seigneuriales en Bretagne au XVIIe siècle-1978