L'ÉOLIEN a-t-il encore un avenir.
ÉNERGIE.
Cet hiver, quand la vague de froid s'est intensifiée, le
caractère intermittent des énergies renouvelables a une nouvelle fois
montré leurs limites. L'éolien figure plus particulièrement clans la
ligne de mire tant les oppositions locales sont virulentes : trop
d'impact sur le paysage, trop de pollution sonore et surtout trop peu
de production par rapport aux investissements consentis. Dans le même
temps, on assiste au développement ra¬pide du photovoltaïque, bien
mieux accepté par la population et dont les coûts de production de
cette électricité sont en très nette baisse depuis des années.
Ajoutons que l'éolien en mer, outre son prix de production élevé, ne
voit toujours pas le jour sur les côtes françaises, alors que des
appels d'offres ont été attribués au début de la décennie. Dans ce
match des nouvelles énergies, l'éolien a longtemps fait la course en
tête, mais sa suprématie est contestée. Face à un climat de défiance,
l'industrie du vent va-t-elle résister et éviter une marginal isation ?
UNE CROISSANCE EN TROMPE-L'ŒIL.
En 2016, l'éolien a contribué à près de 5% de la consommation
d'électricité en France. Cette contribution est stable, alors que le
parc a gagné 1345 mégawatts (MW) supplémentaires en 2016, pour un total
de 11700 MW. Il faut remonter à 2009 pour retrouver la trace d'une
telle progression, ce qui n'empêche pas que l'objectif de 19 000 MW en
2020 - dans le cadre du paquet énergie-climat de l'Union européenne -
semble aujourd'hui inaccessible. Aujourd'hui, la part du renouvelable
(éolien, solaire, biomasse...) dans la consommation finale d'énergie ne
dépasse pas 15 %, contre plus de 50 % en Suède, près de 40 % en
Finlande et 33 % en Autriche - pour citer les meilleurs élèves
européens.
«Bien sûr, nous sommes en retard miais il faut noter que l'éolien
revient de loin, souligne Jean-Louis Bal, le président du Syndicat des
énergies renouvelables (SER). En 2012, le durcissement des procédures
environnementales a causé un vrai coup d'arrêt pour la filière.
D'ailleurs, nous ne sommes jamais à l'abri d'un mauvais coup sur le
plan réglementaire. » En 2015, une sérieuse menace s'est d'ailleurs
profilée avec l'interdiction par le Sénat d'installer des éoliennes à
moins d'un kilomètre des habitations. «Si cette mesure avait été
appliquée, c'était tout simplement la fin de notre développement.
Heureusement les députés ont annulé cette disposition. » Reste que les
projets éoliens mettent toujours entre cinq et sept ans pour aboutir,
voire plus, victimes à la fois des lenteurs administratives et des
contestations lo-cales. Dans le même temps, l'espace géographique
apparaît de plus en plus saturé. Les régions les plus favorables en
termes de régime de vent, comme la Picardie ou la Champagne, offrent
moins de possibilités, tandis que d'autres régions, comme l'Aquitaine,
ne sont guère prisées. «Mais cette couverture du territoire n'est pas
figée, répond Gwenaëlle Huet, qui pilote l'activité renouvelable en
France chez Engie (ex -GDF Suez). Grâce entre autres à des évolutions
du design des pales, on parvient désormais à exploiter des vents moins
forts. Cela veut dire non seulement un développement dans de nouvelles
régions mais aussi une amélioration de la production des parcs à venir.
»
LA SUPRÉMATIE DU SOLAIRE.
Chez les différents acteurs du renouvelable, la philosophie est bien
établie : pas question d'opposer le solaire à l'éolien, les deux
industries ayant au contraire vocation à être complémentaires. Chargé
de mission à France Énergie éolienne (FEE), Pierre-Albert Langlois
souligne que «les deux énergies présentent des profils de
fonctionnement différents mais qui s'additionnent efficacement au
service de la courbe de consommation: le solaire est produit en journée
et encore plus pendant l'été, tandis que l'éolien délivre en continu -
jour et nuit -, avec une fourniture plus importante pendant l'hiver. »
Une position recevable mais qui n'empêche pas que le solaire s'est
emparé de la pole position, avec son rang de première énergie mondiale
en termes de nouvelles capacités installée en 2016 avec quelque 71
gigawatts (GW) supplémentaires. «En schématisant un brin, on pourrait
dire que l'éolien est parti plus vite mais qu'il plafonne aujourd'hui
autour de 80 euros le mégawattheure (MWh), tandis que le solaire est
parti de plus loin mais que son prix a descendu plus rapidement,
passant de 300 à 60 euros le MWh" , explique Daniel Bour, le président
d'Enerplan, le syndicat du photovoltaïque en France.
Bref, une compétitivité supérieure et loin d'être à son maximum puisque
les gains technologiques de cellules photovoltaïques permettent
d'espérer des prix inférieurs à 50 euros le MWh d'ici à 2025. Daniel
Bour rappelle aussi que les installations solaires sont beaucoup mieux
acceptées par les populations locales : «II est plus facile
d'accueillir sur un territoire une centrale au sol avec plusieurs
dizaines de panneaux inclinés qu'une enfilade de mâts culminant après
de 200 mètres de haut. »
Preuve que cette concurrence entre le solaire et l'éolien est devenue
bien réelle, la Commission européenne souhaiterait imposer des appels
d'offres dits à «neu¬tralité technologique », c'est-à-dire mettant aux
prises les deux énergies. «Pour nous, c'est une très mauvaise idée,
reprend Jean-Louis Bal, rentrer ainsi dans une bataille frontale
consiste à priver tout le monde de visibilité, alors qu'il s'agit d'un
ingrédient essentiel pour soutenir les in¬vestissements dans le
renouvelable. »
L'ÉOLIEN OFFSHORE EN PANNE
Verra-t-on un jour des éoliennes offshore au large des côtes françaises
? La question est sûrement provocante mais pas sans fondement. En 2012,
quatre champs ont été attribués par la Commission de régulation de
l'énergie (CRE) pour un total de 2000 MW - dont trois sites remportés
par le consortium piloté par EDF (à Saint-Nazaire, Courseulles-sur-Mer
et Fécamp) - mais, cinq ans plus tard, aucune décision finale
d'investissement n'a encore été prise. En 2014, un second appel
d'offres a octroyé au consortium piloté par Engie (ex-GDF Suez) et EDPR
les projets du Tréport (Seine-Maritime) et Yeu-Noirmoutier (Vendée),
niais les premières machines ne sont pas attendues avant 2021. Ces
différents dossiers sont considérablement freinés par l'avalanche des
recours déposés par les associations locales.
En théorie, l'éolien offshore incarne pour une part la relève de
l'éolien terrestre. Ses partisans mettent en avant l'exemple de
l'Europe du Nord : ainsi, au Danemark, les 110 turbines du parc
d'Anholt peuvent alimenter 400 000 foyers, soit 4% des besoins en
électricité du pays. En Allemagne, la puissance installée a bondi de
225 % en 2015. Toujours outre-Rhin, trois champs viennent d'être
attribués en mer du Nord avec une innovation de taille : la production
d'électricité sera vendue à un prix de marché, sans la moindre
subvention, Certains projets pharaoniques commencent aussi à fleurir,
comme cet accord entre le Danemark, l'Allemagne et les Pays-Bas pour
implanter 7000 éoliennes au large de leurs côtes respectives et
approvisionner ainsi un bassin de 80 millions d'habitants.
Vu de France, ce fort développement figure encore à des années-lumière.
«Il faut savoir ce que l'on veut: notre pays souhaite-t-il vraiment
donner de la visibilité aux professionnels de l'éolien offshore et
créer une filière en conséquence, souligne Hélène Gelas, avocate
associée au cabinet LPA-CGR avocats, dans ce cas, les pouvoirs publics
doivent prendre leurs responsabilités et ne pas laisser les projets
s'enliser. » En face, les adversaires de l'éolien en mer rappellent
aussitôt qu'à plus de 220 euros le mégawattheure (MWh) l'équation
économique est impossible à résoudre. «Mais il faut mettre en place les
conditions pour que les coûts baissent, poursuit la juriste, ce qui
devrait être au moins en partie le cas grâce à la procédure de dialogue
concurrentiel initiée pour le site de Dunkerque (Nord). »
LE REMPLACEMENT DES ÉOLIENNES EN QUESTION.
Le phénomène se généralise : un grand nombre de parcs éoliens en France
arrivent aujourd'hui au terme de leur contrat de rachat d'électricité à
un tarif réglementé - prévu initialement sur quinze ans. À la clé, un
changement d'univers. «L'énergie éolienne vendue à un prix de marché
n'affectera pas forcément la compétitivité des installations, souligne
aussitôt Hélène Gelas. La "parité réseau", c'est-à-dire le moment où
les énergies renouvelables n'ont plus besoin de mécanisme de soutien
pour être compétitives avec les énergies traditionnelles, se rapproche
de plus en plus. »
En attendant, les industriels veulent anticiper la fin de leurs
contrats de rachat à un tarif réglementé. Au cas où les coûts
d'exploitation ne pourraient pas être couverts par des prix de marché
trop faibles, le démantèlement pur et simple des éoliennes pourrait
offrir une solution. Mais ce n'est pas la voie privilégiée: la filière
pousco pour le repowering, c'est-à-dire le remplacement des machines
existantes par des turbines plus puissantes et plus récentes.
«Le principe est très intéressant car il permet d'exploiter des
vitesses de vent plus importantes avec des technologies plus
performantes et donc de produire plus d'électricité, dans des
proportions de 20 à 30 % par rapport aux éoliennes actuelles, explique
Pierre-Albert Langlois. Sur le plan environnemental également, le
re-powering doit être encouragé : moins de machines sont nécessaires
pour livrer la même quantité d'électricité. »
Mais cette substitution d'équipements est loin d'être une simple
opération de maintenance. Au contraire, les procédures administratives
sont aussi lourdes que pour le lancement d'un nouveau parc.
«Si rien n'est fait pour rendre plus souples les possibilités de repowering, ce sera plus
dommageable que notre industrie a déjà pris un certain retard
technologique et qu'il. faut le combler», termine Pierre-Albert
Langlois. Décidément, rien n'est jamais simple pour l'éolien.
Frédéric de Monicaut - Le Figaro mai 2017.