Callac-de-Bretagne

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Michel Déon, (Paris 1919-Galway-Irlande, déc. 2016) le solitaire de Tynagh

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Michel Déon avait fait pousser de profondes racines en Irlande depuis qu'il y avait débarqué en 1969. Cette année-là, il faisait ses adieux à la Grèce et aux nouvelles nuisances du tourisme de masse sur les bords de la Méditerranée. L'Irlande, pays en marge de l'Europe, convenait à la paix de l'esprit qu'il réclamait, et aussi à un état salubre de désenchantement dont il avait besoin pour écrire.

J'ai eu le privilège de le rencontrer de nombreuses fois dans sa thébaïde de Tynagh, et sur les rives lumineuses de la baie de Galway. L'homme avait le culte de l'amitié. Il était brillant, affable, modeste, non-conformiste, sa parole était pudique, mesurée. Des heures de marche passées en sa compagnie dans les grands espaces noyés de brume, je retiens les échanges fertiles sur les courants littéraires du XXe siècle, où revenaient sans cesse les figures perdues de Paul Morand, Antoine Blondin, Joseph Conrad et Valery Larbaud. La lecture et l'écriture comblaient les heures lentes de son quotidien lorsqu'elles n'étaient pas consacrées à des promenades solitaires parmi les bois et les landes mouillées de lacs. Il aimait profondément la beauté sauvage de son pays d'adoption, autant que les Irlandais pour leur histoire, leur littérature, leur génie du verbe et leur folie qui oscille entre la fête et le désespoir.

« À l'envers des modes »

Comme beaucoup des grands écrivains, Déon était insaisissable. D'une rudesse plutôt tendre, c'était un pessimiste joyeux, un conservateur monarchiste qui ne boudait pas les ré= évolutions, avouant des affinités pour les événements de mai 68. Qualifié d'anarchiste de droite, il fut séduit par les idées de Charles Maurras, mais ne partageait pas son antisémitisme. Impitoyable envers les pouvoirs qui flattent !es peuples comme envers tous ceux qui flattent les pouvoirs, Michel Déon abhorrait le double langage et se méfiait des systèmes et des hommes. A l'envers des modes, il était avant tout soucieux de se maintenir en état de perpétuelle renaissance pour garder sa liberté. En ce sens, il nous transmet plus un état d'esprit qu'un témoignage. C'était aussi un esthète exigeant, avec quelque chose de Nietzschéen. « Sur la centaine de livres que je lis pour l'attribution du Grand Prix du Roman de l'Académie française, à peine deux sont lisibles », m'écrivit-il en 2003. Il rejetait la société de consommation, fuyait la bêtise et la vulgarité d'un monde occidental qu'il jugeait en décomposition : « En voyage, disait-il, une anthologie poétique est le seul bagage complet qu'on puisse emporter. »
Afin de lever un peu le voile et approcher la sensibilité romanesque de Michel Déon, le moment est venu de lire ou de relire - comme on revisite les classiques - Un Taxi mauve, son roman le plus accompli, qui montre l'Irlande éternelle, décrite sans lyrisme superflu. Cette œuvre foisonnante, pleine de signes, et agrémentée de larges tranches d'onirisme continue à nous séduire par les vertus d'une narration rigoureuse au service de personnages multiples et hors normes. Saluons le dernier mythe d'Europe », avait écrit Déon à propos de l'Irlande. L'heure est venue de saluer le dernier des Hussards, visionnaire lucide et attentif, qui vient de nous quitter.

Hommage. Par Bernard Berrou, écrivain, auteur notamment de Je vous écris d'Irlande (éditions Dialogue).

Bernard Berrou.

J. Lohou (déc.2016)