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Les malheurs de Louis Le Denmat.
« Un jeune paysan victime de la fureur des Dragons… »
Préambule.
Au 17ème siècle, l'armée, contrairement à l'usage, n'était pas
limitée à l'intervention militaire contre les émeutes dans un rôle
répressif. On peut nuancer cette vision traditionnelle et affirmer
qu'elle fut également utilisée dans la police des villes, collaborant
voontiers avec les autorités civiles. Les intendants du Roi pouvaient ainsi
demander l'aide des militaires comme aide à la police municipale afin
de servir parfois comme force d'appui les sergents de ville, qui eux,
étaient nommés et salariés par les communes. Les militaires
n'intervenait donc ni dans la partie législative, ni dans la partie
judiciaire de la police mais étaient très présents dans la manutention
de la police. En temps ordinaire, le service policier de l'armée était
particulièrement développé pendant la nuit. La garnison se tenait dans
le corps de garde attenant à la prison à l'intérieur de la halle sur la
place du Martray à Callac.
Des années 1700 à 1750, Callac reçu surtout des cavaliers des régiments
du Roy-Cavalerie, du Royal Cravates(Croates), des dragons de
Tournemine, des Dauphins, de Montauban et c’est de ces derniers dont il
est question dans l’affaire suivante…
L’affaire du régiment de dragons de Montauban en quartier d’hiver à Callac.
Dragons en campagne vers 1700...
Que s’est-il réellement passé sur la place du Martray le mercredi 15 mars 1713 ?
Est-ce une rixe entre des cavaliers de la compagnie de Monsieur de
SUCRE du régiment de dragons de Montauban et un jeune homme de la
métairie noble de Kerret en Botmel, Louis, fils de Jacques Le DENMAT et
d’Isabeau CADIC, ses père et mère ?
Les raisons en sont multiples, mais elles n’apparaissent pas très
apparentes au premier abord dans le déroulement de la plainte que
dépose le 22 mars suivant, dix jours après son agression, le «
plaintif[1] », Louis le DENMAT contre les cavaliers du régiment de
Montauban qui l’ont sauvagement agressé à coups de sabre sur la place
du marché de Callac, pour une simple histoire de clôtures, appelées ici
« clayes », qui avaient été déplacées ou dérobées sur un champ et un
pré appartenant aux DENMAT, métayers de la métairie noble de Kerret.
Présentation de la plainte le 22 mars 1713.
Monsieur le Sénéchal, Guillaume FLOYD[2], et seul juge de la Juridiction
et Châtellenie de Callac, fief amorty subdélégué de Monseigneur
l'Intendant de cette province, fait paraître le jeune DENMAT, assisté
de son procureur François Le QUENQUIS, notaire de Saint Gildas en
Carnoët ; son récit qui suit :
" Suplie humblement Louis Le DENMAT, filz de Jacques et de
Issabeau CADIC, ses pères et mères, vivant avecq sa mère en la
mettairie noble de G/ret(Kerret) en la treffe de Bonmel, parroisse de
Plusquellec en evesché de Quimper.
La métairie noble de Ker(r)et, appelée ici K/ret tostan (plus près) est
située sur la route de Morlaix à environ 0,4 km de la fontaine de
Guerhallou, dont nous voyons plein Nord-Est l’emplacement.
L’aménagement de la route en ligne droite vers Callac fut réalisé en
1850…
( AD22-Cadastre ancien-Callac, feuille F1)
Et Tous
Remonstre que le mercredy quinzieme de ce presant mois de Mars mil sept
centz traize, estant au marché de Callac, pour vendre quelques
boysseaux de seigle ; il fut des plus surpris de se voir tout à coup
assailly par des cavalliers et quy sont en quartier d'hyver de la
Compagnie de Monsieur de SUCRE, au régiment de Montobant, lesquels
armés de sabres, de fusils et de pistolets deschargerent sur le
supliant, plusieurs coups de sabres sur la teste desquels il est
grievement blessé, et mis en danger de la vie, sans touttes foys leur
avoir donné occation de le faire, ce en effet le plainiff ne meritoit
pas un sy mauvais traitement, n'ayant jamais eu affaire avecq ces
cavalliers. Ils ne l'ont maltraité de la sorte que par détermination,
de ce qu'il leur avoit fait rendre des clayes qu'ils luy avaient
enlevés et vollés de dessus ses champs, mais comme ces voyes de fait et
ces mauvais traitements sont très étroitements deffandus par touttes
les Lois et méritoient l’intervention de la Justice, le plaintif
requiert ce considéré.
Qu'il vous plaise MONSEIGNEUR, ayant égard à ce que dessus
exposé, recevoir la plainte du supliant ; et en conséquence luy
permettre d'informer d'office des faits cy-dessus couchés et emmener
thémoins pour y parvenir, pour passer des cas, estre par tous, Mon dit
Sieur, ou Monseigneur l'Intendant, ordonné ce qu'y sera vue et
ferez justice.
Fait en présence de Louis Le DENMAT, lequel ne sachant signer, a prié
de signer pour luy Maistre François Le QUENQUIS, son procureur, ce jour
Vingt deuxième de Mars mil sept centz traize.
L’enquête et les témoins.
Sur a directive de Monsieur l’Intendant de Bretagne[3] , dans un
ordonnance datée du 20 mars 1713, le sénéchal et seul juge de la
juridiction de la châtellenie de Callac, Guillaume FLOYD, seigneur de
Rosneven réunit en l’auditoire de la ville le 5 avril 1713, le ban et
l’arrière ban des personnes compromises dans cette altercation, afin
d’entendre le premier témoin.
Le sénéchal est assisté d’un greffier, Ollivier RIOU et d’un interprète
Joseph JEAN, tous deux sous serment. Le premier témoin appelé est
Pierre GUÉZÉNNEC, âgé de 47 ans, fils de Louis et de Marie QUÉNECH’DU,
du village de Rumoyec en Plusquellec.
Il dépose qu’étant sur la place du marché au seigle de Callac le
mercredi 15 mars 1713, il vit le dénommé Louis Le DENMAT qui courrait
poursuivit par quelques-uns des cavaliers de la compagnie des dragons.
Le dit DENMAT fut terrassé à mes pieds d’un coup de sabre donné par un
des cavaliers et qu’il reçut un deuxième coup sur la tête d’un autre
cavalier. Puis il vit un troisième cavalier lui donner des coups de
bourrade du bout de son fusil qu’il portait. Pendant ce temps, il « ouï
» un de ces Messieurs les officiers qui portait deux pistolets crier :
» Tuée, Tuée «. A la suite, un grand nombre de cavaliers armés de
fusils arrivèrent sur les lieux, entourant le jeune homme à terre. Au
bruit de cette affaire, M. René TOUBOULIC, syndic de la ville,
intervient rapidement et fait transporter Louis Le DENMAT dans les
halles toutes proches.
Un second témoin, Pierre Le BASTARD, ménager au bourg de Botmel,
également sur la place ce jour-là, témoigne qu’il a aperçu son cousin
germain, Jan Le BOURHIS, tenu par le haut de son justaucorps par un
cavalier et que Louis Le DENMAT vint au secours de son beau-frère Jan
Le BOURHIS, mais qu’il ignorait les raisons de cette dispute. Il ajoute
qu’il ne connaît aucun des cavaliers en présence, à part le dénommé
Jean GUÉNÉGOU qui s’était engagé dans la compagnie des dragons…
Le troisième témoin est Yves ROLLAND, moulnier au moulin de
Keranlouant, qui était venu vers dix heures du matin vendre sa farine
au marché déclare, qu’il a vu le plaintif courir à « toute force »
poursuivit par deux cavaliers qui avaient leurs sabres nus en main et
qui le terrassèrent à coups de sabre au bas du marché au seigle et ne
savoir ni le nom des cavaliers, ni ceux des officiers…
Un autre témoin, Yves GUIADER, ménager au village de Kerret, âgé de 60
ans, interrogé à son tour, expose qu’un jour qu’il ne peut dater,
venant à Callac très tôt au matin, il vit qu’il y avait une claye
dessus un des champs et une autre sur un pré des DENMAT et qu’elles
avaient été plus tard ôtées par les cavaliers en quartier d’hiver à
Callac…
Son fils, Ollivier GUIADER, maréchal à Kerret et âgé de 29 ans,
interrogé également, répond que les cavaliers de la compagnie avaient
emporté de « hayches ou clayes » dessus un champ et d’un pré des DENMAT
et qu’il avait vu deux cavaliers, très tôt un dimanche matin remettre
les clayes en place…
Le 6 avril 1713- Certificat du Chirurgien Royal, Jean Baptiste Du BROCA.
Le nommé Du Broca, Jean Baptiste, chirurgien royal de Carhaix, à la
demande du sénéchal de Callac, se rend ce jour au village de Kerret en
Bonnelle(Botmel), paroisse de Plusquellec distant de Carhaix de quatre
lieus afin de visiter le nommé Louis Le Denmat, fils de Jacques et de
Isabeau Cadic, ses pères et mères, où étant rendu, il trouve le dit
Louis couché dans son lit.
Le récit du chirurgien in-extenso :
« Le sieur Guéry, qui la pansé jusqu’à ce jour, ayant levé son
appareil, m’a fait voir et le luy ait trouvé deux playes à la teste
plus qu’à demies guéries, dont la première est actuellement de la
longueur de six travers de doit et de largeur d’environ deux lignes
ayant pénétré jusqu’à l’os avec impression dont il a été séparé
plusieurs esquilles saignantes. Le rapport du sieur Guéry, laquelle
playe est située sur la partie supérieure moyenne du pariétal[4] dextre,
en traversant la suture sagitale[5] continuant son progrès sur la partie
supérieure moyenne du pariétal gauche, fait avec un instrument
tranchant et pelant comme sabre ou semblable donné à
plomb(verticalement).
L’autre playe ayant la figure approchant de la ronde est située sur la
partie moyenne postérieure du même pariétal dextre où tout a été
pareillement découvert de la largeur d’une pièce de quinze sols faite
avec un pareil instrument tranchant donné obliquement et comme en
glissant.
Pour les pansements et médicaments depuis le commencement jusqu’à la
parfaite guérison des dites playes, il compette( ?) la somme de
soixante-quinze livres, ce que j’affirme véritable en foy de quoy, j’ay
signé ce présent raport pour servir et valoir ce que de raison.
Fait au dit village de Kerret ce même jour et an que dessus.
Signé : Guéry et Dubroca.
Reçu pour vacation et journée, et répétition, la somme de dix livres. »
Conclusion.
Cette plainte déposée et adressée à Monsieur L’Intendant[6] de la
province de Bretagne parvint sûrement à son destinataire à l’hôtel de
Brie de Rennes, mais le jugement prononcé ou non, ne figure dans pas
dans les documents de la série de 1713 à 1720, malgré toutes nos
recherches. Nous possédons peu d’informations sur les relations qui
pouvaient exister à cette époque entre la population locale et ces
militaires du pays d'oc, ô combien étrangers à cette paysannerie bretonne aux moeurs et
langues si étranges !
La compagnie du régiment de dragons de Montauban quitta Callac fin
avril pour une destination inconnue et fut remplacée par un autre
régiment de dragons dit : MONSIEUR LE DAUPHIN, commandé par le
lieutenant, Jean de la Prade en septembre 1715.
Sources.
AD22, série B, art.233.
Annexe.1
Liste des personnes mentionnées.
Noms et Prénoms Titre ou fonction Lieu Notes
FLOYD, Guillaume Sénéchal de Callac
Sr de Rosneven Seul juge et commissaire
JEAN, Joseph Greffier et Interprète Callac
BROCA du, Jean Baptiste Chirurgien
royal Carhaix-Plouguer Ecrit
également : de Brocart
DENMAT(Le), Louis Ménager et laboureur Kerret Fils de Louis
DENMAT(Le), Jacques Ménager Kerret Père de Louis
CADIC, Isabeau Ménagère Kerret Mère de Louis
GOERY(GUERIFF), Jacques Chirurgien ordinaire Callac X François Le Grand
RIOU, Ollivier Greffier Callac
QUENQUIS(Le), François Notaire et Procureur Carnoët, St Gildas
ROLLAND, Yves Moulinier, meunier Keranlouant °1673(40 ans)
GUÉZENNEC, Pierre Ménager Plusquellec, Rumoyec ° 1666- +1748
CAM(Le), Maurice Métayer Callac, Pen ar Run ° 1658 (55 ans)
GUIADER(Le), Yves Ménager Kerret °1653(60 ans)
VAUCHEL, Pierre Notaire Callac
LOZAC’H, François Ménager Calanhel, Kerlan
GUIADER(Le), Pierre Notaire Callac
GAC(Le), Guillaume Sergent Callac
TOUBOULIC, René Syndic Callac Marchand à Callac
GUÉNÉGOU, Louis Hôte Callac
BASTARD, Pierre Ménager Botmel
BOURHIS(Le), Jean Ménager Callac Cousin de Pierre Bastard
GUÉNÉGOU, Jean Soldat Callac Dragon
SUCRE de Capitaine de Cie Dragons Monsieur Absent
Joseph
Lohou
(mars 2012)