Callac-de-Bretagne

Page Retour

 Le Révérend E.W.L. DAVIES loge chez Gédéon THOMAS et Marie LE MOIGNE, son épouse dans le seul hôtel valable de la ville de Callac en 1855.





EXTRAITS
"Ayant séjourné, comme je l'ai dit, pendant deux saisons, dans les villes les moins fréquentées et les plus reculées de Basse-Bretagne, pour chasser dans ce pays, ma connaissance des hôtels, dont il y en a au moins un qui a des prétentions dans chaque petite ville, était aussi complète que celle d'un commis-voyageur tombant de Brest ou d'un autre port de mer avoisinant. Chez M. Gédéon Thomas, j'avais souvent passé la nuit ; et connaissant bien l'installation de ses chambres à coucher, je me demandais comment il arriverait à nous caser tous confortablement, comme l'avançait Saint-Prix[1], dans les limites de son étroit domaine. En dehors de notre groupe comprenant Keryfan, Shafto, le louvetier et moi, quatre autres messieurs s'étaient joints à nous, tous décidés à ne pas retourner chez eux avant que les chiens n'aient regagné leur chenil près de Morlaix. Trois chambres composaient le local réservé aux voyageurs pour la nuit ; et bien que deux lits, l'un en face de l'autre, garnis de fournitures propres et blanches comme de la neige, fussent installés dans chaque chambre, il en manquait deux pour caser tout notre groupe.

Pendant qu'on discutait sur cette difficulté, M. Thomas entra et proposa une solution qui le montra comme un hôtelier obligeant. Il proposa d'abandonner la chambre que Mme Thomas, et lui occupaient et de s'installer dans une chambre du rez-de-chaussée. Sur le Continent, surtout chez les Français et les Allemands, le rez-de-chaussée, à cause de son insalubrité pendant la mauvaise saison, n'est occupé que par ceux que les circonstances forcent à dormir sous les escaliers. Cette offre fut de suite acceptée, non sans que Saint-Prix, pour reconnaître le sacrifice consenti par le couple méritant, ait fait beaucoup de façons et traitât Mme Thomas comme la première Duchesse du pays.

Je découvris dans la suite que la chambre du rez-de-chaussée n'était autre que la cuisine et leur couchette un trou dans le mur, à six pieds au-dessus du sol ; recoin ordinairement destiné à loger la batterie de cuisine, mais actuellement converti en dortoir, assez semblable dans sa forme d'excavation à l'un de ces loculi[2]) dans lesquels on peut voir un couple de squelettes reposant côte à côte, dormant le long sommeil de la mort dans quelque catacombe italienne ; mais Thomas et sa femme étaient rien moins que des squelettes; et comment l'un et l'autre purent tenir dans cet étroit espace, sans tomber, restera pour moi un mystère jusqu'à la fin du chapitre. Cet arrangement, incommode pour eux, nous donna à nous complète satisfaction, mais aussi assura le réveil matinal de l'hôte et de l'hôtesse, résultat important puisque lui faisait les fonctions de cuisinier et elle celles de servante dans l'établissement, et cela d'une manière parfaite, rarement égalée. Aussi, avant le point du jour, un déjeuner substantiel, composé de côtelettes de mouton et d'omelettes, fut cuit en un instant et un café bouillant fuma sur la table ; et Keryfan lui-même, bien que déconcerté par l'absence de ses ustensiles habituels de toilette, était prêt à partager l'avis de Saint-Prix sur l'hôtel et déclara, que malgré ses prétentions modestes, il avait trouvé là une meilleure chère et moins d'inconvénients que dans beaucoup de plus grands hôtels de Bretagne.
Sept heures venaient de sonner à la vieille horloge de la salle à manger, et notre repas avait été si vite dépêché que les pipes avaient déjà été allumées et les trompes mises autour du corps dans le but d'un départ immédiat pour Duault, quand Louis Trefarrec, entrant, rapporta qu'un cheval d'équarrissage, tué pour les chiens la veille et mis à vingt mètres de la porte du chenil, avait été dévoré pendant la nuit par les loups et qu'il ne restait plus de l'animal que les os pour signaler la chose.
«J'avais bien entendu, dit le piqueur, les chiens aboyer furieusement au milieu de la nuit et plus d'une fois je fus tenté de me lever pour connaître la cause du bruit. Si je l'avais fait, j'aurais sauvé la viande et rétabli la tranquillité dans le chenil.
« Et puis les chiens auraient été plus frais pour leur travail de la journée, dit le louvetier, grandement excité par ces nouvelles. »
« C'est vrai, dit le rusé piqueur ; mais les loups, ayant eu le temps de se gorger de toute la viande, se trouveront lourdement chargés quand ils seront chaudement poursuivis et cet avantage, je pense, pèsera rudement dans la balance en faveur des chiens. »

Notes.
[1] TIXIER DAMAS de SAINT PRIX, Capitaine au bataillon des Mobiles de Morlaix en 1870.
Décoré de la Croix de La Légion d'Honneur(Dossier Léonore N°L2611028)
Héros de l'ouvrage de E.W.L. DAVIES, louvetier en titre de 1855 à 1883 et
fils d'Emilie Barbe Marie GUITTON(° Callac 1789-Morlaix 1869)
[2] tombes collectives dans l'Antiquité.
 

           Joseph Lohou (février 2013)