Callac-de-Bretagne




Assises des Côtes-du-Nord.
Le crime d’une brute.

PAUL, Pierre, cultivateur, âgé de 38 ans, demeurant à Kermarc, avait épousé en 3ème noces, en septembre 1908, Françoise Le Cam. Cette dernière était mère d’un enfant naturel âgé de trois ans.
Pierre manifesta bientôt à l’égard de cet enfant, le jeune Joseph Le Cam, des sentiments les plus hostiles et se livre sur lui à d’odieuses brutalités.

Dans le courant de novembre 1908, il lui porta un violent coup de pied au bas-ventre et le blessa gravement.
Le 26 novembre 1908, Pierre, se disant malade, envoya sa femme à sa place à sa journée. La femme voulut emmener avec elle le petit Joseph, mais son mari l’en dissuada promettant d’en prendre soin.
La femme partie, l’accusé envoya son propre fils faire une commission au bourg, afin de rester seul avec Joseph, dont il avait évidemment résolu de se débarrasser.

La petite victime était assis sur un tabouret près du foyer ; d’un coup violent de poing, il jeta Joseph à terre ; l’enfant tomba en syncope ; il le transporta alors sur le banc-coffre, le saisit à la gorge qu’il tint serré pendant plusieurs minutes, lui mettant l’autre main sur la bouche pour étouffer ses cris. Il le rejeta ensuite sur le lit et le pauvre petit ne tarda pas à expirer.

Lorsque son fils revint de Duault, il lui dit que Joseph Le Cam s’était tué en tombant d’un talus.
Les voisins soupçonnèrent aussitôt un drame. L’autopsie révéla en effet, les violences subies par l’enfant.
L’accusé reconnaît les faits : il avoua avoir frappé violemment Joseph Le Cam au ventre, l’avoir serré « à la gorge pendant 10 minutes » et lui avoir appliqué la main sur la bouche pour l’empêcher de crier.
Il reconnaît aussi qu’au moins depuis midi il avait décidé de tuer l’enfant et avait ainsi prémédité son crime.
Les renseignements démontrent que Pierre est ivrogne, violent et brutal.
Le médecin légiste, qui l’a examiné au point de vue mental, a reconnu que sa responsabilité est entière.

L’interrogatoire

Ivrogne, violent, méchant, redouté, voilà le tableau que fait l’accusation de cet homme, qui aurait traité l’une de ses femmes, le première, car il se marie trois fois, de telle façon que la malheureuse serait morte de ses violences.

Un certain mystère plane encore sur le mari de sa première femme !
Pierre proteste  lorsque M. Le Président des Assises lui rappelle les renseignements résultant de son dossier.
D.- Vous aviez de la haine contre votre victime, depuis quand date cette haine ?
R.- Seulement du jour où je l’ai tué.
D.- Pourquoi l’aviez-vous pris en haine ?
R.- Je n’avais pas de haine contre lui et je ne le maltraitais pas.
D.-Tous les habitants du village faisaient les compliments de cet enfant qui était doux, aimable, caressant.
R.- Je ne dis pas le contraire.
D.- Cinq ou six semaines avant sa mort vous avez déjà tenté de le tuer : il portait des traces de strangulation ?
R.- Je lui avait seulement « glissé » un coup de pied, pas fort, mais je n’avais pas touché  au cou.
D.- Votre femme vous adresse des reproches et vous lui avez même donné cinq francs pour se faire soigner.
R.- J’aimais cet enfant autant que les miens et je n’avais rien contre lui.
D.- Le petit Le Cam avait passé la matinée dans le village, il est rentré à midi et vous n’étiez pas ivre.
R.- J’avais bu une chopine d’eau-de-vie avant, après j’en ai bu une autre, tellement j’avais du chagrin de ce que j’avais fait.
D.- Vous avez éloigné votre enfant avant le crime, pour quel motif ?
R.- C’était pour avoir de l’eau-de-vie.
D.- C’était pour rester seul avec le jeune Le Cam. Vous l’avez même avoué.
R.- Je n’ai jamais dit cela.
La scène du Crime
R.- L’enfant jouait avec le feu, je lui ai dit de rester tranquille, il m’a répondu insolemment et alors je lui ai donné un coup de poing, il est tombé dans sur le foyer, il saignait, je l’ai porté dans son lit et pour étouffer ses cris je l’ai serré à la gorge.
D.- Vous avez déclaré que vous l’auriez tué même s’il ne vous avait, pas dit le mot que vous lui reprochez.
R.- Je n’ai jamais dit cela, et je n’ai jamais eu l’intention de le tuer.
D.- Pourquoi l’avez-vous frappé au ventre ?
R.- Je ne croyais pas le blesser aussi grièvement, ce n’était pas pour le tuer.
D.- Mais enfin pourquoi l’avez-vous tué ?
R.- Je ne sais pas, je n’ai jamais eu l’intention de le tuer.
D.- Vous avez prétendu à un moment donné que c’était votre femme qui vous avait poussé à cela.
R.- Oui, j’ai eu l’idée de le dire, mais je n’ai pas persisté, jamais ma femme ne m’a donné semblable conseil.
D.- Vous avez dit qu’au moment de le tuer, vous reculiez et vous pleuriez ?
R.- C’est vrai, j’ai dit cela au médecin, mais je  ne savais pas ce que je disais.

   M. Asté, Procureur de la République, qui occupe le siège du ministère public invite l’accusé à faire connaître les circonstances précises du crime.
   Pierre répète de nouveau que pour faire cesser les cris de l’enfant, il l’a serré à la gorge, mais qu’il n’a jamais eu l’intention de le tuer.

D.- Vous aviez pourtant avoué lui avoir donné des coups sur la poitrine et le ventre parce que la mort ne venait pas assez vite.
R.- Je ne lui ai donné qu’un coup.

   Pierre ne parle que la langue bretonne ; il porte le costume des paysans des environs de Callac. Il  l’aspect dur, et répond sans émotion, malgré la gravité de sa situation, car il ne faut pas perdre de vue  qu’il encourt la peine de mort, peine qui pourrait bien être prononcée contre lui, car son crime est des plus abominables.

Les témoignages

M. Brodbecker, brigadier de gendarmerie à Callac, affirme que l’accusé a lui-même avoué avoir prémédité son crime, et avoir même écarté dans ce but tout témoin gênant ; c’est pour cela qu’il avait envoyé son propre fils au bourg.

   Pierre a même déclaré au brigadier qu’il cherchait les occasions de se défaire du pauvre enfant, et qu’il ne pouvait le sentir parce qu’il n’était pas de lui.

    M. Le Faucheur, maire de Duault :

       -«   Quand l’accusé était pris de boisson, il était très méchant. Tout le monde le craignait.
     M. Trégoat, médecin à Callac, vient déclarer ensuite que quelque temps avant le crime l’enfant lui fut conduit,  et il constata qu’il portait des traces de violences.
  M. Joseph Le Nohaïc, boulanger  à Callac, avait eu chez lui, pendant longtemps, la petite victime ; et tout ému, dit qu’il l’aimait beaucoup : le petit Le Cam était caressant, et il se faisait aimer de tout le monde !

La femme de l’accusé est ensuite introduite. La femme Pierre n’a encore que 24 ans. Elle parle d’une voix si éteinte, qu’on l’entend à peine.
    « Que voulez-vous que je vous dise, répond-elle aux interpellations du président, sinon qu’il l’a tué !
Souvent j’ai constaté que mon enfant avait été victime de brutalité  de la part de mon mari.
Lorsque je suis rentrée chez moi le jour du crime, mon enfant était mort. Je n’ai pas cru les explications de mon mari.
D.- Votre mari vous a menacée si vous le dénonciez ?
R.- Je l’ai peut-être dit. Je  ne me rappelle pas cela.
La femme Pierre paraît être encore terrorisée par son mari.
Le Ministère Public. – Vous savez que votre mari vous a accusée de l’avoir poussé à le tuer.
R.- Oui je le sais.

   Tous les témoins entendus sont unanimes à déclarer que le pauvre petit Joseph Le Cam était un enfant d’un charmant caractère, aimé de tout le monde. Il était aussi, de notoriété publique que l’accusé le maltraitait et que la victime, qui en avait peur, le fuyait instinctivement. Pierre était également violent envers sa femme, et le chassait parfois de chez lui ;

M.  François Le Men, l’un de ses voisins, outré de sa conduite, déclare à la Cour qu’il menaça même Pierre de le dénoncer à la gendarmerie.
-«  Je crois, dit-il, qu’il a tué l’enfant, parce que c’était un enfant naturel, aussi parce qu’il était jaloux et qu’il ne voulait pas le nourrir.
Pour moi, ajoute encore ce témoin, depuis longtemps, Pierre avait le projet, bien arrêté de tuer  cet enfant.

Yves Le Guilcher, de Duault, révèle que le petit Le Cam avait tellement peur de son beau-père, qu’une fois il vit l’enfant refuser de rentrer chez lui, disant qu’il craignait que le Pierre ne le tue.

M. le docteur Corson, de Guingamp, qui a procédé à l’autopsie, décrit toutes les blessures que portait le petit cadavre : 43 traces de violences furent relevées sur lui, il avait, en outre, des lésions anciennes.
L’accusé riposte qu’il n’a donné qu’un seul coup sue le  ventre.
Mais l’honorable docteur continue des émotionnantes descriptions et affirme que les violences ont été telles que le foie était éclaté.
L’enfant a dû avoir une assez longue agonie et se débattre pour se soustraire à l’étreinte de son assassin.

                                                           Le Réquisitoire.

M. Asté, procureur de la République, fait revivre l’épouvantable drame de Duault et montre l’atrocité de ce crime, accomplit par un homme de 38 ans, sur un pauvre enfant de 5 ans.

Le ministère public a terminé son réquisitoire, en requérant la peine de mort, afin que Pierre n’ait plus d’autre espérance qu’en la clémence du chef de l’État.
Pierre pleure abondamment. Il est abattu, torturé sans doute par la peur et le remords.

                                                               La défense.
 M° Périgois avait la très lourde charge de sauver une tête.

  Il trouve les circonstances atténuantes dans le passé de son client : c’est un impulsif, brutal, mais affectueux.


                                                                 LE VERDICT

Le jury, après délibération, a admis les circonstances atténuantes.
  Pierre, interrogé une dernière fois. Il a déclaré : » Je n’ai rien à dire : je demande pardon ! »

Pierre est condamné aux travaux forcés à perpétuité.


 NOTES.

[*] Cette affaire est parue dans le journal « L’OUEST-ÉCLAIR du mercredi 9 mai 1909.
[**] Le Docteur Arsène Trégoat, (Callac-1873-1957) , jeune médecin en 1909, l’année où il se maria avec Augustine Françoise Huon à Plouigneau.
[***] Chroniques familiales : Pierre Jean PAUL, né à Carnoët en  août 1868, était le fils de Julien et de Marie Catherine Le Lostec, Son père Julien avait, comme lui épousé trois femmes, Louise Connan en 1824, Marie Le Foll en 1838 et Marie Catherine Le Lostec en 1865.

Pierre Jean, avait donc de qui tenir, puisqu’il épousa en première noce, Marie Joséphine Guillossou, fille de Pierre et de Marie Anne Auffret en janvier 1898, elle avait à peine 22 ans. La durée du mariage sera relativement brève puisqu’elle sera interrompue par la disparition brutale de la jeune mariée le 22 février, soit 28 jours à peine après son union. Cette fin, anormale et inexplicable,  attira même l’attention du Président du Tribunal qui parle de maltraitance au début de son interrogation.

Pierre Jean, 20 mois plus tard en novembre 1899, se remarie avec une jeune  veuve de 36 ans, Marie Françoise Quéré du village de Kerviou en  Duault ; elle perd ainsi son premier mari, François Louis Le Lostec âgé de 64 ans en avril 1898 et à quelque jour d’intervalle sa mère, Marie Burel, en juin de la même année, au même village.
De ce couple, deux fils étaient nés, l’un Yves Marie en 1896, l’autre François Marie en 1898, dont descendance ; pour le premier avec Anne Pastor à Carnoët en 1920 et pour le second, en 1920, également mais à Plusquellec avec Marie Gabrielle Carrou.

Avec Pierre Jean Paul, Marie Françoise Le Quéré n’aura qu’une fille, Marie Louise en juin 1900, 6 mois après leur union, ce qui fait penser que le couple avait vraisemblablement fêté : « Pâques avant les Rameux » !  Marie Louise  Paul se mariera deux fois, une première fois en 1921 avec Louis Fouquat et une seconde fois en 1929 avec François Contellec.

Dans le texte de l’évènement, le journaliste de l’Ouest-Éclair mentionne un fils de Pierre Jean Paul, qui fut envoyé au bourg pendant le drame,  mais malgré nos recherches, aucun fils Paul n’était à Duault en 1908. Le mystère reste entier….   

                                                       Joseph Lohou (janvier 2016)