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LE COMBAT DE DUAULT par le recteur de Duault, Joseph Sérandour.
« Le 10 juin 1944, dans la soirée, un convoi d'Allemands traversa le
bourg de Duault et prit la route de St Servais. Aux croisées de
chemins, embranchements, bifurcations, des éclaireurs avaient dessiné
sur la route une flèche qui devait empêcher toute erreur de direction.
Longtemps après le convoi, passa une auto occupée par deux officiers.
Entre temps, un mauvais plaisant avait tourné la pointe de la flèche de
Kernaëret sur le chemin du bois. Sans se méfier, les deux Allemands s'y
engagent. A la bifurcation du Vernhir(Le Guernhir), ils enfilent la
route de Kerhamon et aboutissent à une impasse.
L'un des Allemands va aux renseignements et trouve dans la cour la
femme Le Lay qui a vite fait de lui préciser exactement l'endroit où il
a dévié de la bonne direction.
Elle rentra alors dans sa maison, et l'Allemand qu'elle aurait voulu
voir partir entra aussi, sans doute mis en éveil par les bruits de voix
venant de l'intérieur.
Le curieux se trouva nez à nez avec une douzaine de « terrorisés »,
car, en l'occurrence, c'était lui le seul terroriste. Heureusement
qu'il n'en eut pas conscience et il prit congé prestement.
Un des patriotes le poursuivit dans la cour, déchargea l'unique balle
de sa mitraillette sur l'indiscret qui tomba tout de son long, tandis
que son peloton gagnait dare-dare les profondeurs du bois de Duault.
Le prétendu mort ressuscita, se tâta et constata qu'il n'avait rien, quelle chance... "Ah ! Les braves" dit-il, faisant sien le mot de Guillaume 1er au spectacle de « La charge des Cuirassiers de Reichshoffen ».
A peine en voiture, il dit au chauffeur de peser sur l'accélérateur de
peur que les "terroristes" ne les coupent avant d'arriver à St Servais.
C'est le préambule comique d'un drame épouvantable. Dès le lundi matin,
une équipe d'incendiaires était déléguée pour mettre le feu au village
de Kerhamon. Les patriotes les attendaient de pied ferme cette fois.
Ils étaient épaulés par des parachutés de l'avant-veille. A force de
grenades et de mitraillettes, ils eurent rapidement raison du car et de
ses nombreux occupants. Une deuxième voiture subit le même sort. S'ils
tiennent à incendier, les Allemands devront auparavant livrer bataille.
Ils arrivèrent bientôt sur les lieux avec des forces imposantes. Le
jeune Robert Chenu, domestique à Kerivoal, qui gardait le troupeau de
la ferme sur le bord de la route, effrayé par tout cet appareil
guerrier, prit imprudemment la fuite et tomba sous les balles ennemies.
À ce moment, les mitraillettes patriotes entrèrent dans la danse, danse
macabre pour les Allemands qui perdent beaucoup de monde avant d'avoir
pris position.
Dès lors, la bataille fit rage de part et d'autre pendant des heures et
des heures. La fusillade ininterrompue et nourrie, grossie par l'écho
du bois et des vallons, crépitait et produisait au loin l'impression
sinistre de forteresses croulantes. Dans les villages d'alentour, les
habitants avaient pris la fuite. Les bêtes beuglaient de frayeur dans
les étables. Celles qu'on avait lâchées dans les pâturages, affolées,
déguerpissaient à toutes jambes jusqu'à épuisement.
Cependant les patriotes tenaient bon. Parmi leurs recrues
insuffisamment instruites et entraînées, il y en avait quelques-unes
d'excellentes, de gonflées à bloc, "des patriotes cent pour cent".
Des parachutés, des "poignes de fer"
disaient les Allemands, leur prêtaient main-forte. Au prix de pertes
sanglantes, nos envahisseurs réussirent à les faire reculer, mais en
bon ordre et après avoir démoli les fusils mitrailleurs qu'ils ne
pouvaient emporter. "Si nous avions été cinq cents, les deux mille
Allemands qu'on avait envoyés contre nous ne nous auraient jamais fait
sortir du bois", disait le parachuté Stéphan après la bataille.
Cinq parachutés et deux patriotes Jean Nicolas de Callac et Henri
Auffret de la Chapelle-Neuve restèrent sur le champ de bataille. On ne
connaît pas le nombre des morts du côté ennemi. Mais il dut être fort
grand, si l'on en juge par la déception et la rage de celui-ci.
Pour se venger de leur déconfiture, les incendiaires livrèrent aux
flammes les deux fermes de Kerhamon et les trois de Guernhir entre
lesquelles s'était déroulé le combat.
Jean Marie Le Morellec, qui n'avait pas quitté sa maison pendant la bataille, fut brûlé avec tous ses biens.
Jean Le Goff du Rest et Théophile Le Barzic de Kerfichant, pris en
plein travail par les Allemands, avaient été tués dans l'un des cars
incendiaires où on les avait fait monter pour servir de paratonnerres
ou de boucliers à leurs infâmes bourreaux.
Le soir du combat, lundi 12 juin, il y avait donc onze cadavres à
Duault. Ils reçurent les honneurs de la sépulture religieuse trois
jours après, le 15, avec l'autorisation de nos occupants.
Presque personne n'avait osé assister aux obsèques de ces héros qui
étaient pourtant morts pour que la France vive et que renaissent les
beaux jours de la paix.
La peur du « Boche » dans mes paroissiens me révolta. Moi qui comptais
garder un silence prudent, j'explosais au moment de l'absoute. Je
saluai la dépouille de ces braves dont la plupart portaient ou le
chapelet ou le scapulaire à leur cou. Je félicitai la France, notre
commune et malheureuse mère, d'avoir de tels fils, capables de mourir
plutôt que de vivre dans les fers, préférant à la vie la liberté. Ainsi
firent nos pères à toutes les époques de leur histoire. J'évoquai
Tolbiac, Bouvines, Denain, Valmy, Austerlitz, la Marne et Verdun.
Personne, dis-je, ne peut nous interdire de la défendre, et c'est
la raison et la justification du mouvement de la Résistance. Nous ne
haïssons personne, mais ne pouvons supporter qu'on outrage notre mère.
Le sacrifice de leur sang, ô pères, ô mères qui pleurez, aura ouvert à
deux battants les portiques éternels à ceux qui, espérons-le, seront
nos dernières victimes.
Épilogue du combat de Duault.
Nos espoirs furent trompés. A peine le combat fini, et tandis que
Kerhamon et Le Guernhir flambaient, les Allemands, la rage au cœur et
l'écume aux lèvres, pareils à des fauves en liberté, s'abattaient sur
les jeunes gens des villages voisins et, sans égard pour leur
innocence, se saisissaient d'eux en guise d'otages. Ainsi tombèrent
dans leurs griffes Tidou, domestique au Vernhir, René, jeune parisien
réfugié à Kerivoal, Fernand Banner de Kereven en train de soigner ses
chevaux, Quéré de Kerlarin, les deux Pinson de Lesmabon, tous trois
venus comme par hasard ou par curiosité à Kereven d'où l'on pouvait
suivre ou deviner les péripéties de la bataille et la fureur des
incendies.
Un peu avant la nuit, ils traversèrent le bourg de Duault, marchant au
pas derrière les voitures, encadrés comme des criminels par deux
colonnes ennemies bardées de fer et hérissées d'armes. Ils s'avançaient
dans l'attitude d'holocaustes, haut les bras et les mains jointes
derrière la nuque. En les voyant, vous eussiez dit des croix celtiques
en marche. Ah ! Qu’ils étaient beaux, qu'ils étaient grands, qu'ils
étaient émouvants. Presque tous étaient en sabots, en bras de chemise,
sommairement vêtus. Ce simple appareil même clamait leur innocence : il
était évident qu'on les avait pris au milieu des paisibles travaux des
champs. Leur rafle constituait un attentat contre la dignité humaine,
une sorte de sacrilège. Un homme sans armes ou désarmé est un être
sacré. On aurait voulu les couvrir de fleurs. Nos cœurs attendris et
endeuillés, nos yeux en larmes appelaient sur eux les bénédictions du
Ciel.
C'est dans cet attirail plus spectaculaire que triomphal, à tous égards
fallacieux et mensonger, que les Allemands pénétrèrent à Callac. Ils
auraient voulu faire croire qu'ils montaient au Capitole. Mais en
sourdine les callacois murmuraient : "Sinistres bluffeurs, vous oubliez
que la roche Tarpéienne touche au Capitole, ce sera bientôt votre très
juste partage".
Le lendemain 13 juin, les parents des victimes tentèrent de voir et
d'embrasser leurs enfants, d'apporter aussi quelques adoucissements à
l'odieux régime de privations qu'on leur imposait. Ce fut en vain. Les
monstres restèrent sourds à tous les appels de la nature et du sang, de
la miséricorde et de la pitié. Ils mettaient du sadisme à piétiner des
cœurs déjà brisés et broyés sous le faix de la douleur.
Pendant que les chefs jouissaient de la sueur de sang des familles
éplorées, à un bout de la ville, leurs subordonnés entassaient dans le
car de la mort, à l'autre bout, trente-deux prisonniers choisis pour
être offerts en sacrifice aux mânes des Allemands tombés dans le bois
de Duault.
Et le départ de Callac de la voiture funèbre, du convoi macabre, eut
lieu avant celui des familles elles-mêmes. Quand celles-ci se surent
jouées, elles exhalèrent le plus émouvant cri d'épouvante, de colère et
de douleur. Elles refoulèrent cependant les imprécations et les
malédictions qui leur montaient du cœur aux lèvres et incapables
d'ailleurs de croire que tout fut fini, elles rentrèrent dans leurs
foyers respectifs en s'accrochant désespérément à l'espérance, doux et
immortel baume accordé par le ciel aux affligés de la terre.
Cette semaine même, sans honte pour leur crime ni respect pour une
douleur que tout Duault partageait, les Allemands s'installèrent chez
nous, lieutenant et sous-officiers au presbytère.
Les intéressés profitèrent pour venir demander quelques renseignements sur ceux dont le sort ne leur laissait aucun repos.
Ils n'obtinrent jamais que des réponses évasives, dilatoires.
Je me permis d'intervenir moi-même auprès de ceux que je croyais mes
hôtes et qui eurent tôt fait de m'apprendre qu'ils étaient bel et bien
mes maîtres.
Résultat : néant. Que cachait ce silence ? Quel mystère d'iniquité.
Tout à coup les Allemands déguerpissent. Peut-être nos angoisses et nos importunités ne furent pas étrangères à ce départ.
Presque immédiatement les rumeurs les plus sinistres commencèrent de
circuler. Je n'en pouvais croire mes oreilles. Après trois lettres
précédentes à Quimper, Pontivy, Rennes, j'écrivis une quatrième à
Plestan à l'instigation d'une aimable paroissienne.
Nous étions sur la bonne piste. Voici, en effet, la réponse de M. le Recteur de Plestan :
Plestan, 22 juillet
« Cher Monsieur le Recteur,
Je réponds à votre
lettre du 11, que je reçois aujourd'hui seulement. Il est exact qu'on à
découvert dans le bois de Plestan deux fosses où étaient entassés, dans
l'une seize et dans l'autre quinze cadavres d'hommes, dont la mort
remonterait à la nuit du 13 au 14 juin.
Des démarches ont
été faites à la Préfecture et par elle à l'autorité allemande de St
Brieuc et de Lamballe, à la suite desquelles les cadavres ont été
exhumés par les soins de mes paroissiens, mis en bière et déposés dans
une fosse commune, près de là, car l'autorisation du transport au
cimetière avait été refusée. Ceci s'est fait le dimanche 2 juillet pour
la première fosse et le lundi 3 pour la seconde.
Chacun de ces
jours, je suis allé réciter les prières de l'inhumation et bénir les
corps et la fosse longue d'environ vingt-cinq mètres, où les cercueils
sont disposés en ordre avec une distance entre chacun, suffisante pour
qu'on puisse les retirer un à un.
Chaque cercueil
renferme un numéro reproduit sur une croix dressée à la tête de chacun.
A ce numéro correspondent des détails suffisants pour l'indentification
de tous. De plus, chacun a été photographié séparément.
Le lendemain, 4
juillet, j'ai chanté une messe solennelle d'enterrement et hier un
service de septième auxquels assistait une grande partie de mes
paroissiens qui se sont montrés admirables de dévouement et de charité
chrétienne. Mais pour éviter des représailles, la Préfecture défend de
divulguer quoi que ce soit jusqu'à nouvel ordre.
Donc, rien de certain à dire aux familles. Nous comptons sur votre discrétion absolue.
Respectueux sentiments en Notre Seigneur.
Le Solleu, prêtre.
P.S. - Je viens de
revoir la longue tombe : elle est couverte de fleurs apportées par de
nombreux visiteurs d'ici et des environs jusque de Broons. Le premier
dimanche, on en a bien compté cinq cent cinquante."
Cinq cent cinquante visiteurs... Ah ! Combien de familles éprouvées
courent, comme celles de Duault, à la recherche de chers disparus, dès
qu'est ébruitée la découverte de quelque fosse !
A peine eussé-je pris connaissance de cette lettre, que j'écrivis de
nouveau pour demander quelques précisions et des photos si possible.
Voici la réponse de mon admirable correspondant :
« Plestan 16 août
Cher Monsieur le Recteur,
Votre lettre a mis
quinze jours à me parvenir et mes occupations des jours derniers m'ont
empêché d'y répondre plus tôt. Du reste, la contrainte qui retenait les
langues n'existe plus, Dieu merci ! Et je sais que plusieurs personnes
de Callac, dont un notaire, sont venues prendre des informations sur
place. Ils se sont empressés sans doute de les communiquer à Duault.
Je crois que le
doute n'est point possible : les restes de vos malheureux paroissiens
reposent là, près de nous, dans le bois de Plestan. Comme je vous l'ai
écrit, il sera possible et même facile de les identifier grâce aux
précautions prises.
Nous possédons
trois ou quatre exemplaires des photos de chacun. Dites aux intéressés
de s'adresser pour tous renseignements à Melle Renée Deschamps au bourg
de Plestan. Ils s'entendront eux-mêmes avec elle pour participer aux
frais, s'il y a lieu. C'est pourquoi vous trouverez ci-joint les
trente-cinq francs que contenait votre lettre.
Un dernier mot sur ce qui nous intéresse spécialement.
Aux services
chantés à Plestan pour les trente-et-une victimes, il faut ajouter : un
service à Tramain recommandé par M. Bruno, originaire du pays breton,
et deux services chantés à Plédéliac. Cette question ne semble pas
intéresser les callacois.
Croyez bien......... etc...
T(?). Solleu, prêtre, Rr. Plestan. ( )
P.S. - Vous ai-je
dit que le service de septième chanté à Plestan fut recommandé par M.
François Quénard, commerçant en grains, pommes, etc... à Lamballe. Il
connaît Duault. »
La charité chrétienne si dévouée et si surnaturelle de Plestan,
Tramain, Plédéliac est ignorée en effet de Callac. Personne ne s'est
dérangé pour me remercier de ce que nous avions fait à Duault pour Jean
Nicolas de Callac ni pour les autres patriotes enterrés religieusement
à Duault. Cela n'intéresse vraiment pas Callac. Nous n'avons pas moins
honoré de notre présence et de nos prières les funérailles de cette
glorieuse victime dans sa paroisse natale. Les Callacois d'ailleurs
nous rendront la pareille quand les cendres de nos dix victimes
reviendront.
Car c'est dix victimes que nous avons à Plestan. A celles que j'ai déjà
nommées, il faut ajouter, Jean Yves Bonnet, Jean Gragne du bourg et les
deux Le Coz (père et fils) du Pénity qui furent pris par les Allemands
la veille et l'avant-veille du combat du 12.
Ces dix-là furent embarqués avec vingt-deux autres de diverses
paroisses ou de cantons différents dans le convoi funèbre de Plestan.
Leurs familles avaient apporté de quoi leur servir un bon petit dîner.
"C'est déjà fait" répondit un des chefs allemands. Je crains que les
malheureux n'aient été soumis à une diète complète.
Probablement étaient-ils garrottés dans le char de la mort. Sur la
route, un des condamnés tomba de l'autocar : il avait dit-on les mains
liées. Ancien parachuté, peut-être se parachuta-t-il à dessein à moins
qu'il ne dormait. On ne s'arrêta pas pour le ramasser. Puisse-t-il
avoir rencontré le bon Samaritain pour lui bander ses plaies et couper
ses liens !
Quelle pouvait être l'attitude des trente-et-un qu'on transportait en
vitesse vers le lieu de l'exécution ? Sans doute n'échangeaient-ils
aucun propos ni gai ni triste. Ils étaient repliés sur eux-mêmes et
s'abandonnaient aux caprices d'un dialogue intérieur. Quelques-uns
évoquaient la douceur du foyer, les travaux qu'on faisait à cette heure
chez eux. Les jeunes gens voyaient à travers leurs larmes leurs mères
éplorées; les mariés une épouse désolée au milieu de deux ou trois
orphelins. Malgré le vrombissement du gros camion, ils percevaient
leurs soupirs mutuels, leurs sanglots qu'ils ne réussissaient ni à
étouffer ni à tarir. La plupart espéraient la rencontre providentielle
des patriotes libérateurs... Tous remettaient leur sort et leur âme
entre les mains de Dieu; ils invoquaient les saints familiers, leurs
bons anges.
Tout à coup la voiture stoppa. On les en fit descendre. Où étaient-ils
? Ils ne le savaient. Les étoiles brillaient au ciel, témoins de leur
agonie. Comme le Christ au jardin, leur pauvre chair trembla, éprouva
de la frayeur, de l'ennui, du dégoût. La sueur de sang commença....
Le calice des douleurs est profond. Avant le supplice, ce sont les
tortures, différentes pour chacun. On entendit des cris, des râles, des
appels émouvants dans la nuit. Quel carnage horrifiant ! Les étoiles,
charmantes messagères de Dieu, s'en voilèrent la face, symbole des vies
qui ne s'éteignaient pas, non plus que les astres, emblème plutôt des
âmes qui passaient de l'envers à l'endroit des cieux.
De trente-et-un beaux hommes, il ne reste plus que trente-et-un
cadavres déchirés, déchiquetés, lacérés, méconnaissables, sanglants,
quinze dans une fosse, seize dans une autre. Une légère couche de terre
par-dessus.
Le sang des justes crie plus fort que tous les tonnerres du Sinaï : de
profondis clamavi ad te Domine. Du fond de l'abîme, où les barbares
viennent de nous engloutir, nous élevons vers toi nos clameurs et nos
supplications, ô Dieu vengeur du crime.
A peine les massacreurs de la Gestapo, les faucheurs de la mort
démarraient-ils que, dépistés et repérés par des avions alliés, ils
sont à leur tour massacrés et fauchés. Personne ne les plaindra tant
ils étaient indignes de vivre.
Nous nous sommes longtemps refusé à croire à un tel raffinement de
cruauté. Le silence des bourreaux était pourtant assez significatif.
Enfin, au lendemain des fêtes du 15 août, nos familles ont envoyé une
délégation à Plestan pour voir les éléments d'identification qu'on
avait eu soin de recueillir. A la vue de ces reliques, tous les doutes,
toutes les espérances se dissipèrent. Nos dix enfants ou amis étaient
au nombre des trente-et-une victimes. Il n'y avait plus qu'à prier pour
leurs âmes en attendant le transfert des dépouilles mortelles dans
leurs paroisses respectives.
L'exhumation a eu lieu à Plestan hier 30 août. Les cendres de nos
martyrs sont arrivées à Callac à six heures de l'après-midi. Combien le
retour diffère du départ. Autant celui-ci fut macabre, autant celui-là
est triomphal. O renversement prodigieux ! Les bourreaux sont dans les
fers, ils sont vaincus, taillés en pièces, écrasés, couverts d'infamie,
tandis que nos martyrs resplendissent de gloire et de fleurs.
Les dépouilles mortelles ont passé la nuit dans l'église de Callac,
gardées par un piquet de patriotes. Leurs âmes s'unissaient aux Anges
pour adorer le Dieu de l'Eucharistie. A dix heures, messe solennelle
chantée par M. l'abbé Jules Chéruel**, aumônier des patriotes. Après
dîner, rassemblement des corps au pied du monument des victimes de
l'autre guerre, discours officiels puis départ vers les paroisses
respectives pour l'inhumation.
Quand les voitures qui les transportaient ont roulé sur le terrain de
Duault, les ossements de nos regrettés amis ont dû tressaillir dans
leurs cercueils. Combien émouvantes pour eux la descente au bourg,
l'entrée au cimetière, la station à l'église, les prières liturgiques.
Dans un instant, ce sera la dormition dans la terre bénite à l'ombre du
clocher natal et de la Croix, unique espoir du bonheur sans fin dans le
Ciel, au milieu de leurs parents et de leurs compatriotes.
Et maintenant, pères, mères, épouses, enfants, frères et sœurs éplorés,
donnez libre cours à vos larmes. Le Fils de Dieu qui s'est fait homme,
qui s'est fait cœur, a pleuré devant le cadavre de Lazare. Pleurez, non
comme ceux qui n'ont pas d'espérance, mais tels ceux qui croient à la
résurrection des corps.
La vie, le plus précieux des biens, n'a pas été enlevée à nos chers
morts, mais seulement changée. Jésus-Christ est la Résurrection et la
Vie. Disons-lui donc « Pie Jésus Domine dona eis requiem sempiternam ».
Tous nos compliments à nos jeunes filles et à leurs maîtresses qui ont
composé ces magnifiques gerbes de fleurs ainsi qu'à tous ceux qui ont
aidé, dans un sentiment d'union sacrée, à faire, des obsèques
nationales des martyrs de la Patrie, une véritable apothéose.
M. Joseph SÉRANDOUR*, recteur de Duault de juillet 1942 à juin 1947.
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* Joseph Sérandour est né le 22 mars 1886 à Saint Gilles-Pligeaux, il
est le fils de Pierre et de Jeanne Marie Coadou. Nommé recteur à Duault
en juillet 1942, il meurt d’une crise cardiaque le 5 juin 1947 à l’âge
de 61 ans. Historien amateur, il se passionne pour l’histoire et laisse
après lui un important manuscrit dans lequel il trace, de l’origine aux
années 1950 les heurts et malheurs de la petite cité. Mais dans ce
récit, il ne se contente point d’exposer les évènements successifs
importants, il les analyse avec sa personnalité d’homme d’église engagé
et prend parti avec force et détermination sur les principales
modifications survenues de la Révolution à la Loi de 1905.
Le recteur Sérandour oublie ces quelques prescriptions élémentaires que
doivent scrupuleusement respecter les historiens qu’ils soient amateurs
ou professionnels :
« A quoi
sert l’écriture de l’histoire, dès lors qu’elle nous distrait d’une
considération attentive du moment présent, et peut fausser notre
regard, en nous portant à considérer un événement fondamentalement
nouveau comme s’il était le réécriture d’un événement passé ?
Le
seul désir de connaître, cette horreur du vide que l’esprit humain a au
même titre que la physique est-il capable de justifier l’écriture de
l’Histoire ? »
** CHÉRUEL, Jules-(Dinan 1908-
St Brieuc 1978), abbé, professeur de philosophie, résistant de la
première heure, membre du mouvement « Défense de la France », directeur
du journal catholique « La Voix de l’Ouest ».
Notes de la rédaction : Les victimes civiles du combat.
1)-Jean Yves BONNET, né le 11 mars 1913 à Montauban dans le Tarn et
Garonne réfugié chez ses parents à Duault depuis le mois d’octobre 1943
pour échapper au STO, demeurant : 17 rue France- Mutualiste à
Boulogne –sur-Seine, électricien. Ramassé le samedi 10 juin.
2)- Jean GRAGNE, né le 8 mai 1922 à Beauvais-sur-Oise, mécanicien à
Saumur, venu de réfugier chez ses parents à Duault, il avait quitté
Saumur pour Rosporden, était venu à pied à Duault. Ramassé trois quarts
d’heure après y être arrivé.
3)- Fernand François Marie LE BANNIER, né à Duault le 29 septembre 191,
demeurant à Kereven en Duault, ramassé chez lui le 12 juin alors
qu’il soignait ses vaches.
4)- Joseph PINSON, né le 26 août 1923 à Duault, cultivateur demeurant à
Lesmabon en Duault, arrêté et raflé le 12 juin 1944 à Kereven.
5)- Jean François PINSON, né à Callac-de-Bretagne le 4 décembre 1914,
cultivateur et célibataire demeurant à Lesmabon. Raflé le 12 juin à
Kereven.
6)- Jean François LE QUÉRÉ, né à St Servais le 18 juillet 1920
demeurant à Kerlarin en Duault. Raflé le 12 juin, alors qu’il fuyait
son village qui était rapproché des lieux du combat.
7)- Valentin TYDOU, né à Lohuec le 11 avril 1926, demeurant à Duault,
ouvrier agricole chez Jean Marie LE MORELLEC, ses parents demeurants à
Callac-de-Bretagne,
8)-Pierre LE COZ, fils, né à Plusquellec le 10 juin 1927,
célibataire demeurant à Kerviou( ?). Ramassé chez lui le 11 juin 1944.
9)- Pierre LE COZ, père, né à Plourac’h le 21 septembre 1894, marié demeurant à Kerviou( ?). Ramassé chez lui le 11 juin 1944.
10)- René MOLIERE, né à Paris en 1920, réfugié chez le cultivateur Yves
LE JEUNE à Kerivoal en Duault où il est arrêté, il portait l’identité
d’emprunt de Maurice MORVAN. Raflé le 12 juin.
11)- Jean Marie LE MORELLEC, né le 13 octobre 1887 à Duault et cultivateur demeurant à Guernhir, brûlé vif le 12 juin 1944.
12)- Théophile LE BARZIC, né le 21 juillet 1925 à Duault, cultivateur, demeurant à Kerfichant en Duault, célibataire.
13)- Jean Yves LE GOFF, né le 20 juillet 1922 à Duault, cultivateur, demeurant au Rest en Duault, célibataire.
Joseph
Lohou
(août 2012)