Callac-de-Bretagne

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LE COMBAT DE DUAULT par le recteur de Duault, Joseph Sérandour.




« Le 10 juin 1944, dans la soirée, un convoi d'Allemands traversa le bourg de Duault et prit la route de St Servais. Aux croisées de chemins, embranchements, bifurcations, des éclaireurs avaient dessiné sur la route une flèche qui devait empêcher toute erreur de direction.

Longtemps après le convoi, passa une auto occupée par deux officiers. Entre temps, un mauvais plaisant avait tourné la pointe de la flèche de Kernaëret sur le chemin du bois. Sans se méfier, les deux Allemands s'y engagent. A la bifurcation du Vernhir(Le Guernhir), ils enfilent la route de Kerhamon et aboutissent à une impasse.
L'un des Allemands va aux renseignements et trouve dans la cour la femme Le Lay qui a vite fait de lui préciser exactement l'endroit où il a dévié de la bonne direction.
Elle rentra alors dans sa maison, et l'Allemand qu'elle aurait voulu voir partir entra aussi, sans doute mis en éveil par les bruits de voix venant de l'intérieur.
Le curieux se trouva nez à nez avec une douzaine de « terrorisés », car, en l'occurrence, c'était lui le seul terroriste. Heureusement qu'il n'en eut pas conscience et il prit congé prestement.
Un des patriotes le poursuivit dans la cour, déchargea l'unique balle de sa mitraillette sur l'indiscret qui tomba tout de son long, tandis que son peloton gagnait dare-dare les profondeurs du bois de Duault.
Le prétendu mort ressuscita, se tâta et constata qu'il n'avait rien, quelle chance... "Ah ! Les braves" dit-il, faisant sien le mot de Guillaume 1er au spectacle de « La charge des Cuirassiers de Reichshoffen ».

A peine en voiture, il dit au chauffeur de peser sur l'accélérateur de peur que les "terroristes" ne les coupent avant d'arriver à St Servais.

C'est le préambule comique d'un drame épouvantable. Dès le lundi matin, une équipe d'incendiaires était déléguée pour mettre le feu au village de Kerhamon. Les patriotes les attendaient de pied ferme cette fois. Ils étaient épaulés par des parachutés de l'avant-veille. A force de grenades et de mitraillettes, ils eurent rapidement raison du car et de ses nombreux occupants. Une deuxième voiture subit le même sort. S'ils tiennent à incendier, les Allemands devront auparavant livrer bataille.

Ils arrivèrent bientôt sur les lieux avec des forces imposantes. Le jeune Robert Chenu, domestique à Kerivoal, qui gardait le troupeau de la ferme sur le bord de la route, effrayé par tout cet appareil guerrier, prit imprudemment la fuite et tomba sous les balles ennemies.
À ce moment, les mitraillettes patriotes entrèrent dans la danse, danse macabre pour les Allemands qui perdent beaucoup de monde avant d'avoir pris position.
Dès lors, la bataille fit rage de part et d'autre pendant des heures et des heures. La fusillade ininterrompue et nourrie, grossie par l'écho du bois et des vallons, crépitait et produisait au loin l'impression sinistre de forteresses croulantes. Dans les villages d'alentour, les habitants avaient pris la fuite. Les bêtes beuglaient de frayeur dans les étables. Celles qu'on avait lâchées dans les pâturages, affolées, déguerpissaient à toutes jambes jusqu'à épuisement.
Cependant les patriotes tenaient bon. Parmi leurs recrues insuffisamment instruites et entraînées, il y en avait quelques-unes d'excellentes, de gonflées à bloc, "des patriotes cent pour cent".

Des parachutés, des "poignes de fer" disaient les Allemands, leur prêtaient main-forte. Au prix de pertes sanglantes, nos envahisseurs réussirent à les faire reculer, mais en bon ordre et après avoir démoli les fusils mitrailleurs qu'ils ne pouvaient emporter. "Si nous avions été cinq cents, les deux mille Allemands qu'on avait envoyés contre nous ne nous auraient jamais fait sortir du bois", disait le parachuté Stéphan après la bataille.
Cinq parachutés et deux patriotes Jean Nicolas de Callac et Henri Auffret de la Chapelle-Neuve restèrent sur le champ de bataille. On ne connaît pas le nombre des morts du côté ennemi. Mais il dut être fort grand, si l'on en juge par la déception et la rage de celui-ci.
Pour se venger de leur déconfiture, les incendiaires livrèrent aux flammes les deux fermes de Kerhamon et les trois de Guernhir entre lesquelles s'était déroulé le combat.

Jean Marie Le Morellec, qui n'avait pas quitté sa maison pendant la bataille, fut brûlé avec tous ses biens.
Jean Le Goff du Rest et Théophile Le Barzic de Kerfichant, pris en plein travail par les Allemands, avaient été tués dans l'un des cars incendiaires où on les avait fait monter pour servir de paratonnerres ou de boucliers à leurs infâmes bourreaux.

Le soir du combat, lundi 12 juin, il y avait donc onze cadavres à Duault. Ils reçurent les honneurs de la sépulture religieuse trois jours après, le 15, avec l'autorisation de nos occupants.
Presque personne n'avait osé assister aux obsèques de ces héros qui étaient pourtant morts pour que la France vive et que renaissent les beaux jours de la paix.

La peur du « Boche » dans mes paroissiens me révolta. Moi qui comptais garder un silence prudent, j'explosais au moment de l'absoute. Je saluai la dépouille de ces braves dont la plupart portaient ou le chapelet ou le scapulaire à leur cou. Je félicitai la France, notre commune et malheureuse mère, d'avoir de tels fils, capables de mourir plutôt que de vivre dans les fers, préférant à la vie la liberté. Ainsi firent nos pères à toutes les époques de leur histoire. J'évoquai Tolbiac, Bouvines, Denain, Valmy, Austerlitz, la Marne et Verdun. Personne, dis-je,  ne peut nous interdire de la défendre, et c'est la raison et la justification du mouvement de la Résistance. Nous ne haïssons personne, mais ne pouvons supporter qu'on outrage notre mère. Le sacrifice de leur sang, ô pères, ô mères qui pleurez, aura ouvert à deux battants les portiques éternels à ceux qui, espérons-le, seront nos dernières victimes.

Épilogue du combat de Duault.

Nos espoirs furent trompés. A peine le combat fini, et tandis que Kerhamon et Le Guernhir flambaient, les Allemands, la rage au cœur et l'écume aux lèvres, pareils à des fauves en liberté, s'abattaient sur les jeunes gens des villages voisins et, sans égard pour leur innocence, se saisissaient d'eux en guise d'otages. Ainsi tombèrent dans leurs griffes Tidou, domestique au Vernhir, René, jeune parisien réfugié à Kerivoal, Fernand Banner de Kereven en train de soigner ses chevaux, Quéré de Kerlarin, les deux Pinson de Lesmabon, tous trois venus comme par hasard ou par curiosité à Kereven d'où l'on pouvait suivre ou deviner les péripéties de la bataille et la fureur des incendies.

Un peu avant la nuit, ils traversèrent le bourg de Duault, marchant au pas derrière les voitures, encadrés comme des criminels par deux colonnes ennemies bardées de fer et hérissées d'armes. Ils s'avançaient dans l'attitude d'holocaustes, haut les bras et les mains jointes derrière la nuque. En les voyant, vous eussiez dit des croix celtiques en marche. Ah ! Qu’ils étaient beaux, qu'ils étaient grands, qu'ils étaient émouvants. Presque tous étaient en sabots, en bras de chemise, sommairement vêtus. Ce simple appareil même clamait leur innocence : il était évident qu'on les avait pris au milieu des paisibles travaux des champs. Leur rafle constituait un attentat contre la dignité humaine, une sorte de sacrilège. Un homme sans armes ou désarmé est un être sacré. On aurait voulu les couvrir de fleurs. Nos cœurs attendris et endeuillés, nos yeux en larmes appelaient sur eux les bénédictions du Ciel.
C'est dans cet attirail plus spectaculaire que triomphal, à tous égards fallacieux et mensonger, que les Allemands pénétrèrent à Callac. Ils auraient voulu faire croire qu'ils montaient au Capitole. Mais en sourdine les callacois murmuraient : "Sinistres bluffeurs, vous oubliez que la roche Tarpéienne touche au Capitole, ce sera bientôt votre très juste partage".

Le lendemain 13 juin, les parents des victimes tentèrent de voir et d'embrasser leurs enfants, d'apporter aussi quelques adoucissements à l'odieux régime de privations qu'on leur imposait. Ce fut en vain. Les monstres restèrent sourds à tous les appels de la nature et du sang, de la miséricorde et de la pitié. Ils mettaient du sadisme à piétiner des cœurs déjà brisés et broyés sous le faix de la douleur.

Pendant que les chefs jouissaient de la sueur de sang des familles éplorées, à un bout de la ville, leurs subordonnés entassaient dans le car de la mort, à l'autre bout, trente-deux prisonniers choisis pour être offerts en sacrifice aux mânes des Allemands tombés dans le bois de Duault.

Et le départ de Callac de la voiture funèbre, du convoi macabre, eut lieu avant celui des familles elles-mêmes. Quand celles-ci se surent jouées, elles exhalèrent le plus émouvant cri d'épouvante, de colère et de douleur. Elles refoulèrent cependant les imprécations et les malédictions qui leur montaient du cœur aux lèvres et incapables d'ailleurs de croire que tout fut fini, elles rentrèrent dans leurs foyers respectifs en s'accrochant désespérément à l'espérance, doux et immortel baume accordé par le ciel aux affligés de la terre.
Cette semaine même, sans honte pour leur crime ni respect pour une douleur que tout Duault partageait, les Allemands s'installèrent chez nous, lieutenant et sous-officiers au presbytère.
Les intéressés profitèrent pour venir demander quelques renseignements sur ceux dont le sort ne leur laissait aucun repos.
Ils n'obtinrent jamais que des réponses évasives, dilatoires.
Je me permis d'intervenir moi-même auprès de ceux que je croyais mes hôtes et qui eurent tôt fait de m'apprendre qu'ils étaient bel et bien mes maîtres.
Résultat : néant. Que cachait ce silence ? Quel mystère d'iniquité.
Tout à coup les Allemands déguerpissent. Peut-être nos angoisses et nos importunités ne furent pas étrangères à ce départ.
Presque immédiatement les rumeurs les plus sinistres commencèrent de circuler. Je n'en pouvais croire mes oreilles. Après trois lettres précédentes à Quimper, Pontivy, Rennes, j'écrivis une quatrième à Plestan à l'instigation d'une aimable paroissienne.
Nous étions sur la bonne piste. Voici, en effet, la réponse de M. le Recteur de Plestan :

Plestan, 22 juillet
« Cher Monsieur le Recteur,
Je réponds à votre lettre du 11, que je reçois aujourd'hui seulement. Il est exact qu'on à découvert dans le bois de Plestan deux fosses où étaient entassés, dans l'une seize et dans l'autre quinze cadavres d'hommes, dont la mort remonterait à la nuit du 13 au 14 juin.
Des démarches ont été faites à la Préfecture et par elle à l'autorité allemande de St Brieuc et de Lamballe, à la suite desquelles les cadavres ont été exhumés par les soins de mes paroissiens, mis en bière et déposés dans une fosse commune, près de là, car l'autorisation du transport au cimetière avait été refusée. Ceci s'est fait le dimanche 2 juillet pour la première fosse et le lundi 3 pour la seconde.
Chacun de ces jours, je suis allé réciter les prières de l'inhumation et bénir les corps et la fosse longue d'environ vingt-cinq mètres, où les cercueils sont disposés en ordre avec une distance entre chacun, suffisante pour qu'on puisse les retirer un à un.
Chaque cercueil renferme un numéro reproduit sur une croix dressée à la tête de chacun. A ce numéro correspondent des détails suffisants pour l'indentification de tous. De plus, chacun a été photographié séparément.
Le lendemain, 4 juillet, j'ai chanté une messe solennelle d'enterrement et hier un service de septième auxquels assistait une grande partie de mes paroissiens qui se sont montrés admirables de dévouement et de charité chrétienne. Mais pour éviter des représailles, la Préfecture défend de divulguer quoi que ce soit jusqu'à nouvel ordre.
Donc, rien de certain à dire aux familles. Nous comptons sur votre discrétion absolue.
    Respectueux sentiments en Notre Seigneur.
         Le Solleu, prêtre.

P.S. - Je viens de revoir la longue tombe : elle est couverte de fleurs apportées par de nombreux visiteurs d'ici et des environs jusque de Broons. Le premier dimanche, on en a bien compté cinq cent cinquante."

Cinq cent cinquante visiteurs... Ah ! Combien de familles éprouvées courent, comme celles de Duault, à la recherche de chers disparus, dès qu'est ébruitée la découverte de quelque fosse !
A peine eussé-je pris connaissance de cette lettre, que j'écrivis de nouveau pour demander quelques précisions et des photos si possible.
Voici la réponse de mon admirable correspondant :

« Plestan 16 août
Cher Monsieur le Recteur,
Votre lettre a mis quinze jours à me parvenir et mes occupations des jours derniers m'ont empêché d'y répondre plus tôt. Du reste, la contrainte qui retenait les langues n'existe plus, Dieu merci ! Et je sais que plusieurs personnes de Callac, dont un notaire, sont venues prendre des informations sur place. Ils se sont empressés sans doute de les communiquer à Duault.
Je crois que le doute n'est point possible : les restes de vos malheureux paroissiens reposent là, près de nous, dans le bois de Plestan. Comme je vous l'ai écrit, il sera possible et même facile de les identifier grâce aux précautions prises.
Nous possédons trois ou quatre exemplaires des photos de chacun. Dites aux intéressés de s'adresser pour tous renseignements à Melle Renée Deschamps au bourg de Plestan. Ils s'entendront eux-mêmes avec elle pour participer aux frais, s'il y a lieu. C'est pourquoi vous trouverez ci-joint les trente-cinq francs que contenait votre lettre.
Un dernier mot sur ce qui nous intéresse spécialement.
Aux services chantés à Plestan pour les trente-et-une victimes, il faut ajouter : un service à Tramain recommandé par M. Bruno, originaire du pays breton, et deux services chantés à Plédéliac. Cette question ne semble pas intéresser les callacois.
    Croyez bien......... etc...
    T(?). Solleu, prêtre, Rr. Plestan. ( )

P.S. - Vous ai-je dit que le service de septième chanté à Plestan fut recommandé par M. François Quénard, commerçant en grains, pommes, etc... à Lamballe. Il connaît Duault. »

La charité chrétienne si dévouée et si surnaturelle de Plestan, Tramain, Plédéliac est ignorée en effet de Callac. Personne ne s'est dérangé pour me remercier de ce que nous avions fait à Duault pour Jean Nicolas de Callac ni pour les autres patriotes enterrés religieusement à Duault. Cela n'intéresse vraiment pas Callac. Nous n'avons pas moins honoré de notre présence et de nos prières les funérailles de cette glorieuse victime dans sa paroisse natale. Les Callacois d'ailleurs nous rendront la pareille quand les cendres de nos dix victimes reviendront.
Car c'est dix victimes que nous avons à Plestan. A celles que j'ai déjà nommées, il faut ajouter, Jean Yves Bonnet, Jean Gragne du bourg et les deux Le Coz (père et fils) du Pénity qui furent pris par les Allemands la veille et l'avant-veille du combat du 12.

Ces dix-là furent embarqués avec vingt-deux autres de diverses paroisses ou de cantons différents dans le convoi funèbre de Plestan. Leurs familles avaient apporté de quoi leur servir un bon petit dîner. "C'est déjà fait" répondit un des chefs allemands. Je crains que les malheureux n'aient été soumis à une diète complète.
Probablement étaient-ils garrottés dans le char de la mort. Sur la route, un des condamnés tomba de l'autocar : il avait dit-on les mains liées. Ancien parachuté, peut-être se parachuta-t-il à dessein à moins qu'il ne dormait. On ne s'arrêta pas pour le ramasser. Puisse-t-il avoir rencontré le bon Samaritain pour lui bander ses plaies et couper ses liens !
Quelle pouvait être l'attitude des trente-et-un qu'on transportait en vitesse vers le lieu de l'exécution ? Sans doute n'échangeaient-ils aucun propos ni gai ni triste. Ils étaient repliés sur eux-mêmes et s'abandonnaient aux caprices d'un dialogue intérieur. Quelques-uns évoquaient la douceur du foyer, les travaux qu'on faisait à cette heure chez eux. Les jeunes gens voyaient à travers leurs larmes leurs mères éplorées; les mariés une épouse désolée au milieu de deux ou trois orphelins. Malgré le vrombissement du gros camion, ils percevaient leurs soupirs mutuels, leurs sanglots qu'ils ne réussissaient ni à étouffer ni à tarir. La plupart espéraient la rencontre providentielle des patriotes libérateurs... Tous remettaient leur sort et leur âme entre les mains de Dieu; ils invoquaient les saints familiers, leurs bons anges.
Tout à coup la voiture stoppa. On les en fit descendre. Où étaient-ils ? Ils ne le savaient. Les étoiles brillaient au ciel, témoins de leur agonie. Comme le Christ au jardin, leur pauvre chair trembla, éprouva de la frayeur, de l'ennui, du dégoût. La sueur de sang commença....
Le calice des douleurs est profond. Avant le supplice, ce sont les tortures, différentes pour chacun. On entendit des cris, des râles, des appels émouvants dans la nuit. Quel carnage horrifiant ! Les étoiles, charmantes messagères de Dieu, s'en voilèrent la face, symbole des vies qui ne s'éteignaient pas, non plus que les astres, emblème plutôt des âmes qui passaient de l'envers à l'endroit des cieux.
De trente-et-un beaux hommes, il ne reste plus que trente-et-un cadavres déchirés, déchiquetés, lacérés, méconnaissables, sanglants, quinze dans une fosse, seize dans une autre. Une légère couche de terre par-dessus.
Le sang des justes crie plus fort que tous les tonnerres du Sinaï : de profondis clamavi ad te Domine. Du fond de l'abîme, où les barbares viennent de nous engloutir, nous élevons vers toi nos clameurs et nos supplications, ô Dieu vengeur du crime.

A peine les massacreurs de la Gestapo, les faucheurs de la mort démarraient-ils que, dépistés et repérés par des avions alliés, ils sont à leur tour massacrés et fauchés. Personne ne les plaindra tant ils étaient indignes de vivre.
Nous nous sommes longtemps refusé à croire à un tel raffinement de cruauté. Le silence des bourreaux était pourtant assez significatif. Enfin, au lendemain des fêtes du 15 août, nos familles ont envoyé une délégation à Plestan pour voir les éléments d'identification qu'on avait eu soin de recueillir. A la vue de ces reliques, tous les doutes, toutes les espérances se dissipèrent. Nos dix enfants ou amis étaient au nombre des trente-et-une victimes. Il n'y avait plus qu'à prier pour leurs âmes en attendant le transfert des dépouilles mortelles dans leurs paroisses respectives.
L'exhumation a eu lieu à Plestan hier 30 août. Les cendres de nos martyrs sont arrivées à Callac à six heures de l'après-midi. Combien le retour diffère du départ. Autant celui-ci fut macabre, autant celui-là est triomphal. O renversement prodigieux ! Les bourreaux sont dans les fers, ils sont vaincus, taillés en pièces, écrasés, couverts d'infamie, tandis que nos martyrs resplendissent de gloire et de fleurs.

Les dépouilles mortelles ont passé la nuit dans l'église de Callac, gardées par un piquet de patriotes. Leurs âmes s'unissaient aux Anges pour adorer le Dieu de l'Eucharistie. A dix heures, messe solennelle chantée par M. l'abbé Jules Chéruel**, aumônier des patriotes. Après dîner, rassemblement des corps au pied du monument des victimes de l'autre guerre, discours officiels puis départ vers les paroisses respectives pour l'inhumation.

Quand les voitures qui les transportaient ont roulé sur le terrain de Duault, les ossements de nos regrettés amis ont dû tressaillir dans leurs cercueils. Combien émouvantes pour eux la descente au bourg, l'entrée au cimetière, la station à l'église, les prières liturgiques. Dans un instant, ce sera la dormition dans la terre bénite à l'ombre du clocher natal et de la Croix, unique espoir du bonheur sans fin dans le Ciel, au milieu de leurs parents et de leurs compatriotes.
Et maintenant, pères, mères, épouses, enfants, frères et sœurs éplorés, donnez libre cours à vos larmes. Le Fils de Dieu qui s'est fait homme, qui s'est fait cœur, a pleuré devant le cadavre de Lazare. Pleurez, non comme ceux qui n'ont pas d'espérance, mais tels ceux qui croient à la résurrection des corps.

La vie, le plus précieux des biens, n'a pas été enlevée à nos chers morts, mais seulement changée. Jésus-Christ est la Résurrection et la Vie. Disons-lui donc « Pie Jésus Domine dona eis requiem sempiternam ».

Tous nos compliments à nos jeunes filles et à leurs maîtresses qui ont composé ces magnifiques gerbes de fleurs ainsi qu'à tous ceux qui ont aidé, dans un sentiment d'union sacrée, à faire, des obsèques nationales des martyrs de la Patrie, une véritable apothéose.


M. Joseph SÉRANDOUR*, recteur de Duault de juillet 1942 à juin 1947.

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* Joseph Sérandour est né le 22 mars 1886 à Saint Gilles-Pligeaux, il est le fils de Pierre et de Jeanne Marie Coadou. Nommé recteur à Duault en juillet 1942, il meurt d’une crise cardiaque le 5 juin 1947 à l’âge de 61 ans. Historien amateur, il se passionne pour l’histoire et laisse après lui un important manuscrit dans lequel il trace, de l’origine aux années 1950 les heurts et malheurs de la petite cité. Mais dans ce récit, il ne se contente point d’exposer les évènements successifs importants, il les analyse avec sa personnalité d’homme d’église engagé et prend parti avec force et détermination sur les principales modifications survenues de la Révolution à la Loi de 1905.
Le recteur Sérandour oublie ces quelques prescriptions élémentaires que doivent scrupuleusement respecter les historiens qu’ils soient amateurs ou professionnels :

 « A quoi sert l’écriture de l’histoire, dès lors qu’elle nous distrait d’une considération attentive du moment présent, et peut fausser notre regard, en nous portant à considérer un événement fondamentalement nouveau comme s’il était le réécriture d’un événement passé ?  
Le seul désir de connaître, cette horreur du vide que l’esprit humain a au même titre que la physique est-il capable de justifier l’écriture de l’Histoire ? »

    

** CHÉRUEL, Jules-(Dinan 1908- St Brieuc 1978), abbé, professeur de philosophie, résistant de la première heure, membre du mouvement « Défense de la France », directeur du journal catholique «  La Voix de l’Ouest ».




Notes de la rédaction : Les victimes civiles du combat.

1)-Jean Yves BONNET, né le 11 mars 1913 à Montauban dans le Tarn et Garonne réfugié chez ses parents à Duault depuis le mois d’octobre 1943 pour échapper au STO, demeurant : 17 rue  France- Mutualiste à Boulogne –sur-Seine, électricien.  Ramassé le samedi 10 juin.

2)- Jean GRAGNE, né le 8 mai 1922 à Beauvais-sur-Oise, mécanicien à Saumur, venu de réfugier chez ses parents à Duault, il avait quitté Saumur pour Rosporden, était venu à pied à Duault. Ramassé trois quarts d’heure après y être arrivé.

3)- Fernand François Marie LE BANNIER, né à Duault le 29 septembre 191, demeurant à Kereven en Duault,  ramassé chez lui le 12 juin alors qu’il soignait ses vaches.

4)- Joseph PINSON, né le 26 août 1923 à Duault, cultivateur demeurant à Lesmabon en Duault, arrêté et raflé le 12 juin 1944 à Kereven.

5)- Jean François PINSON, né à Callac-de-Bretagne le 4 décembre 1914, cultivateur et célibataire demeurant à Lesmabon. Raflé le 12 juin à Kereven.

6)- Jean François LE QUÉRÉ, né à St Servais le 18 juillet 1920 demeurant à Kerlarin en Duault. Raflé le 12 juin, alors qu’il fuyait son village qui était rapproché des lieux du combat.

7)- Valentin TYDOU, né à Lohuec le 11 avril 1926, demeurant à Duault, ouvrier agricole chez Jean Marie LE MORELLEC, ses parents demeurants à Callac-de-Bretagne,

8)-Pierre LE COZ, fils,  né à Plusquellec le 10 juin 1927, célibataire demeurant à Kerviou( ?). Ramassé chez lui le 11 juin 1944.

9)- Pierre LE COZ, père, né à Plourac’h le 21 septembre 1894, marié demeurant à Kerviou( ?). Ramassé chez lui le 11 juin 1944.

10)- René MOLIERE, né à Paris en 1920, réfugié chez le cultivateur Yves LE JEUNE à Kerivoal en Duault où il est arrêté, il portait l’identité d’emprunt de Maurice MORVAN. Raflé le 12 juin.

11)- Jean Marie LE MORELLEC, né le 13 octobre 1887 à Duault et cultivateur demeurant à Guernhir, brûlé vif le 12 juin 1944.

12)- Théophile LE BARZIC, né le 21 juillet 1925 à Duault, cultivateur, demeurant à Kerfichant en Duault, célibataire.

13)- Jean Yves LE GOFF, né le 20 juillet 1922 à Duault, cultivateur, demeurant au Rest en Duault, célibataire.


 


 

                

  

 

 
                                             
Joseph Lohou (août 2012)
                                                          

 

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