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Les noms des champs racontent l’histoire rurale.
Chargés
d’histoire et de poésie, miroir d’époques et de traditions révolues,
les noms bretons de champs glissent peu à peu dans l’oubli.
Parler de
patrimoine immatériel n’est sans doute pas exagéré. Les noms de champs
sont les témoins d’une histoire humaine et rurale millénaire. Transmis
oralement au fil des générations, ils sont de moins en moins employés
pour désigner les parcelles. Il y a cinquante ans, tout fermier du
village savait que « Park Diaz Kreis Ker » se situait juste avant «
Prad Don ar Person » (le champ d’en bas de la ferme du milieu se situe
juste avant la prairie du fond du prêtre !). Comme pour les vaches, au
nom poétique, on préfère désormais désigner les parcelles par des codes
cadastraux à la James Bond (AE0053) ou par des chiffres, comme le veut
la Pac qui a baptisé les « Park » en îlots numérotés.
Un patrimoine menacé
Le remembrement
avait déjà porté un coup dur aux noms de champs. Aujourd’hui,
l’agrandissement des exploitations et la « dépaysanisation » de la
société rurale menacent clairement ce pan du patrimoine champêtre.
« C’est
une énorme masse de connaissances qui se perd », se désole André Cornec
qui a épluché quelque 20 000 noms de parcelles sur les 23 000 que
comptent les cinq communes du canton de Briec, au nord de Quimper. Un
travail de bénédictin qui a débouché sur une thèse consacrée à la
microtoponymie avec une approche ethnologique. Autrement dit, une étude
linguistique des noms de champs.
Six ans
d’investigation dans les cartulaires, de furetage dans les archives
poussiéreuses, de consultation du vieux cadastre napoléonien, etc., ont
rendu intarissable ce passionné de microtoponymie. « Même si je me fie
d’abord à la graphie historique, à chaque fois que j’ai pu, j’ai
recueilli des éléments de tradition orale, voire réalisé des visites
sur le terrain. Une façon de ne pas s’écarter du sens en assurant la
convergence entre les éléments ».
Témoins d’une présence millénaire.
Machine
à remonter dans le temps, l’étude des noms de champs vous catapulte à
l’âge de bronze, voire au néoli thique. Non pas que les noms de champs
aient forcément traversé 6 000 ans, mais qu’ils rappellent une
occupation ancienne remontant à plusieurs millénaires. Comme ces «
Peulven » (menhir) que l’on trouve aux lisières des zones humides et
qui témoignent de pierres dressées souvent disparues Lien similaire
avec des vestiges mégali thiques pour ce « Park Goarem Leu-riou ». « À
ne pas confondre avec “Leur” qui est l’aire à battre ». « Tuchen »,
rappelle aussi les tumulus de l’âge de bronze (- 2000 ans avant JC).
Les champs avec « Maen» sont aussi le témoin de lieux où l’on enterrait
des urnes funéraires, tout comme les « Pot » (Park Podou).
Plus près de
nous, la féodalité a laissé son empreinte sur ses anciennes terres: «
Lez », rappelle un lieu fortifié où vivait le seigneur local d’avant
l’an 1 000 (Foennec an Elès). Tout comme les noms en « Trev » qui sont
à rattacher à un lieu cultivé et habité (Park Bihan Tregaguez). Le bas
Moyen-Âge se lit quant à lui dans les noms en « Mouden », la motte
(Liors Mouden). Au 11e siècle, l’on assiste à la multiplication des
noms en « ker » et il faut attendre le 13e pour voir apparaître les «
Park » en Bretagne (lire ci-dessous).
Importance du champ religieux.
La
microtoponymie permet également de mettre en exergue la place de
l’Église et des pratiques religieuses antérieures. « Douar » est
l’expression d’une pièce de terre sur laquelle est assise une fondation
d’obit (prêt d’une pièce de terre à l’Eglise en échange d’un service
religieux donné pour un défunt à l’anniversaire de sa mort).
Exemple : « Park Douar Per » (Saint Pierre patron de Briec).
Parfois, le nom
de champ rappelle la présence d’un signe religieux : « Goarem Ter Groas
» (terrain pierreux où étaient implantées trois croix en triangle, en
référence à la Trinité chrétienne et où passait d’ailleurs le « Tro
Breizh ») ; « Park Kervini (lieu d’asile où il y avait une chapelle
refuge)
Enfin,
dans le champ religieux, impossible de ne pas citer le « Park Groes Ven
Huella » (le champ d’en haut de la croix blanche). De quoi perdre le
nord pour ceux qui se laissent aller à la traduction littérale du
breton en français. Et d’avoir envie de courir à toute enjambée jusqu’à
« Foennec ar Pont Gwin ». Pas très catholique tout ça ! Sauf qu’on n’y
buvait pas forcément de vin mais qu’on y payait à coup sûr une double
taxe (sur le pont et la foire) au seigneur local. Obligation toujours
moins douloureuse que de passer par les fourches patibulaires du « Park
ar Justissou »...
Une énorme masse de connaissances rurales se perd.
Park », un mot du XIIIe siècle.
«
Park », signifie champ clos par un talus. Ce terme apparaît la première
fois en Bretagne au 13e siècle. Pour autant, les premiers champs clos
datent du 9e siècle. Il s’agissait d’enclos destinés à parquer le
bétail. Ce terme est également employé en Grande-Bretagne. Sur les 20
000 noms de champs étudiés, André Cornec a recensé 8 300 noms qui font
appel au terme « Park » pour nommer une parcelle.
Avant la
construction de talus, les champs étaient ouverts « Maes » (Mes Hir) ou
non clos (« Parr ») ; les « Goarem », des terrains pierreux ; les «
peur », des prairies pâturées (« Prat Peur »), etc. entrent également
dans la composition des noms. Tout comme les mots qui qualifient la
forme géométrique de la parcelle : «Park Moan » (champ étroit), « Park
Hir » (long), « Park Tric’horn » (trois angles), « Park Korn » (coin),
« Park ar Pleg » (en courbe).
André Cornec, de Briec, a épluché 20 000 noms de parcelles pour élaborer sa thèse de microtoponymie.
PAYSAN BRETON SEMAINE DU 16 AU 22 MARS 2012