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Les
Délices de Capoue
J'assistais il y a quelques mois à un émouvant festival Georges
Brassens,
lorsque ma voisine de fauteuil me demanda à brûle-pourpoint d'où
vient l'expression les délices de Capoue qui
apparaît dans la chanson Le Fantôme. Capoue, en
Italie Capua,
nous ramène à l'histoire d'Hannibal, ce général de Carthage venu
par l'Espagne avec
ses éléphants au troisième
siècle avant notre ère pour s'emparer de Rome.
Une immense bataille fut livrée dans la plaine de Cannes – non
pas celle du festival de Cannes, Dieu nous en préserve!
mais la Cannoe des Romains, un bourg d'Apulie. Le
combat fut épique et stratégique; le fameux capitaine africain battit à place
couture
une armée de 80 000 légionnaires dont la plupart restèrent étendus
dans la plaine... Cela se passa en l'an 216 avant Jésus et
frappa durablement les imaginations antiques, faisant
d'Hannibal le plus redoutable guerrier de tous les temps.
C'est au milieu de ce triomphe que le Carthaginois commît une
erreur: au lieu d'aller sur-le-champ prendre Rome apeurée,
affaiblie par ce désastre, il songea à donner du repos à
ses troupes qui ; en effet, venaient-de loin. Et quel repos!
Il s'empara de la ville de Capoue afin d'y passer son hiver
- car le climat, dans ce premier millénaire à rebours,
était
encore rude dans la Péninsule. Capoue, au nord de Naples,
était alors la ville la plus riche et la plus luxueuse
d'Italie, le séjour par excellence de toutes les délices.
Les reîtres gaulois, africains, espagnols et numides qui
composaient la troupe d'Hannibal se vautrèrent soudain dans
le stupre:
«Les soldats carthaginois qui avaient
résisté à toutes les souffrances, dit
Tite-Live, succombèrent sous l'effet des plaisirs et
des jouissances. »
Le vin, les bains, les courtisanes eurent bien vite raison
de leur humeur farouche : « ils ramollirent leur âme et
leur corps. » Capoue, c'était la dolce vita
avant l'heure, la folie du farniente ! Il en
ressortit, au printemps de 215, une armée alanguie, veule,
ayant perdu toute combativité sur les couches molles des
festins.
C'est au XVIIe siècle que les délices de Capoue entrèrent
dans la phraséologie, symbole des dangers du luxe et du
bien jouir. Les moralistes du XIXe en firent grand usage; le
père Lacordaire écrivait:
Le Père Lacordaire
« L'histoire de tous les succès est l'histoire
d'Hannibal à Capoue. » Cela mérite réflexion
dans le monde où nous vivons: « On s'oublie, on s'endort,
on s'enivre;
le poison lent de la mollesse détend tous
les"ressorts de !'activité ; et l'être,
qui n'est rien que par l'activité, se dissout peu à peu dans
l'ignominie d'un lâche sommeil. » Décidément, je
n'aurais pas pu raconter tout cela à Patricia
- ainsi se nommait par hasard ma voisin de chaise le récit nous eût
entraînés bien au-delà des vers de Brassens dans un débat
de société qu'il est préférable de laisser de côté.
Nous vivons aujourd'hui dans des conditions matérielles qui
feraient paraître bien rudes et grossières les délices de
la Capoue d'antan...
Aussi la locution s'est -elle raréfiée: nous n'avons plus rien à
envier à ces Latins
de grande cuisine.
Alors... joyeux No"ël !
Claude Duneton
»Le Figaro Littéraire »-jeudi 10décembre 2009
La ville
italienne Capoue accueillit en 215 avant JC les troupes
d’Hannibal. Il venait de reprendre celle-ci, qui était
connue pour la facilité de la vie et les multiples
plaisirs auxquels on pouvait s’adonner. Après une
longue période de repos dans cette ville, les
Carthaginois perdirent l’habitude du combat et ne tardèrent
pas à être battus par les Romains qui, en guise de
vengeance, rasèrent Capoue. On dit qu’une personne
"s’endort dans les
délices de Capoue" lorsqu’elle a
tendance à se laisser bercer par une vie trop facile et
sans contrainte.