Callac-de-Bretagne

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Les Délices de Capoue[1]

 

 

J'assistais il y a quelques mois à un émouvant festival Georges Brassens,   

lorsque ma voisine de fauteuil me demanda à brûle-pourpoint d'où vient l'expression les délices de Capoue qui apparaît dans la chanson Le Fantôme. Capoue, en Italie Capua, nous ramène à l'histoire d'Hannibal, ce général de Carthage venu par l'Espagne avec ses éléphants au  troisième siècle avant notre ère pour s'emparer de Rome.

Une immense bataille fut livrée dans la plaine de Cannes – non pas celle du festival de Cannes, Dieu nous en préserve! mais la Cannoe des Romains, un bourg d'Apulie. Le combat fut épique  et stratégique; le fameux capitaine africain battit à place couture une armée de 80 000 légionnaires dont la plupart restèrent étendus dans la plaine... Cela se passa en l'an 216 avant Jésus et frappa durablement les imaginations antiques, faisant d'Hannibal le plus redoutable guerrier de tous les temps.

 

C'est au milieu de ce triomphe que le Carthaginois commît une erreur: au lieu d'aller sur-le-champ prendre Rome apeurée, affaiblie par ce désastre, il songea à donner du repos à ses troupes qui ; en effet, venaient-de loin. Et quel repos! Il s'empara de la ville de Capoue afin d'y passer son hiver - car le climat, dans ce premier millénaire à rebours, était encore rude dans la Péninsule. Capoue, au nord de Naples, était alors la ville la plus riche et la plus luxueuse d'Italie, le séjour par excellence de toutes les délices.

Les reîtres gaulois, africains, espagnols et numides qui composaient la troupe d'Hannibal se vautrèrent soudain dans le stupre:

  «Les soldats carthaginois qui avaient résisté à toutes les souffrances, dit Tite-Live, succombèrent sous l'effet des plaisirs et des jouissances. »

Le vin, les bains, les courtisanes eurent bien vite raison de leur humeur farouche : « ils ramollirent leur âme et leur corps. » Capoue, c'était la dolce vita avant l'heure, la folie du farniente ! Il en ressortit, au printemps de 215, une armée alanguie, veule, ayant perdu toute combativité sur les couches molles des festins.

C'est au XVIIe siècle que les délices de Capoue entrèrent dans la phraséologie, symbole des dangers du luxe et du bien jouir. Les moralistes du XIXe en firent grand usage; le père Lacordaire écrivait:


Le Père Lacordaire

« L'histoire de tous les succès est l'histoire d'Hannibal à Capoue. » Cela mérite réflexion dans le monde où nous vivons: « On s'oublie, on s'endort, on s'enivre; le poison lent de la mollesse détend tous les"ressorts de !'activité ; et l'être,
qui n'est rien que par l'activité, se dissout peu à peu dans l'ignominie d'un lâche sommeil. » Décidément, je n'aurais pas pu raconter tout cela à Patricia - ainsi se nommait par hasard ma voisin de chaise ­le récit nous eût entraînés bien au-delà des vers de Brassens dans un débat de société qu'il est préférable de laisser de côté. Nous vivons aujourd'hui dans des conditions matérielles qui feraient paraître bien rudes et grossières les délices de la Capoue d'antan...

Aussi la locution s'est -elle raréfiée: nous n'avons plus rien à envier à ces Latins de grande cuisine.

 

Alors... joyeux No"ël !

 

Claude Duneton

 »Le Figaro Littéraire »-jeudi 10décembre 2009



[1] La ville italienne Capoue accueillit en 215 avant JC les troupes d’Hannibal. Il venait de reprendre celle-ci, qui était connue pour la facilité de la vie et les multiples plaisirs auxquels on pouvait s’adonner. Après une longue période de repos dans cette ville, les Carthaginois perdirent l’habitude du combat et ne tardèrent pas à être battus par les Romains qui, en guise de vengeance, rasèrent Capoue. On dit qu’une personne "s’endort dans les délices de Capoue" lorsqu’elle a tendance à se laisser bercer par une vie trop facile et sans contrainte.

 


  

 

 


 



            


 

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