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Claude
BUDES,
Sieur
Recteur de Duault et ses paroissiens
Histoire d'une révolte rurale au XVIIème siècle
Armes
des Budes de Guébriant
D'argent
au pin de sinople accosté de
deux fleurs de lys de gueules.
Il y a trois cents ans, en juin 1675, la Bretagne
se soulevait avec violence contre l'augmentation des
impôts. Les grandes secousses populaires qu'évoque
l'histoire naissent souvent des excès de la fiscalité.
En 1532, la Bretagne était devenue une province française.
Les députés qui avaient accepté l'union, avaient bien
pris soin de stipuler que les Bretons conserveraient leurs
antiques privilèges et, en particulier, qu'ils seraient
exempts des impôts qui frappaient les autres provinces ou,
tout au moins, ne paieraient que ceux qui auraient été votés
par l'assemblée des États. Tous les ans, le gouverneur et
les députés se réunissaient pour voter la part
contributive de la Bretagne aux charges du royaume. Cette
somme, fort considérable, s'appelait - par euphémisme - le
"don gratuit". Les Bretons n'acquittaient de taxes
ni sur les boissons ni sur les marchandises. Surtout, ils
ignoraient la gabelle, l'odieuse gabelle, cet impôt sur le
sel tant abhorré de tous ceux qui y étaient soumis, car le
sel était alors un produit de première nécessité
beaucoup plus encore qu'aujourd'hui puisqu'il était
indispensable pour conserver certains aliments. En Bretagne
le sel coûtait soixante fois moins cher que dans les
provinces soumises à la gabelle.
Au début du règne personnel de Louis XIV, les
Bretons se montrent de fidèles sujets. La province connaît
une prospérité exceptionnelle, aussi est-ce sans trop
protester que les États de Bretagne votent en 1671 et 1672
le "don gratuit ", pourtant singulièrement accru
du fait de la guerre de Hollande. Les députés des trois
ordres acceptent de voter en 1673 une somme supplémentaire
fort lourde : 2 600 000 livres. Après un vif débat, le
gouverneur, le Duc de Chaulnes1],
obtient satisfaction.
Mais après une période d'expansion économique, la
Bretagne connaît à nouveau des difficultés. Les produits
agricoles se vendent mal et leur prix ne cesse de diminuer,
provoquant un appauvrissement général. C'est dans cette
atmosphère peu favorable qu'une information vient accroître
le mécontentement. On annonce que de nouvelles taxes vont
être introduites en Bretagne. Elles frapperont le papier
timbré (dont on fait grande consommation en matière de
procès et autres pièces administratives), le tabac et
aussi la vaisselle d'étain, celle qui est la plus usitée
dans les campagnes comme dans les cités.
C'est donc l'introduction de nouvelles taxes royales,
la crainte de la gabelle qui furent le prétexte à une révolte
générales des paroisses dans le Poher et la Cornouaille.
La révolte prit un caractère social et fut souvent
soutenue par les prêtres qui desservaient ces paroisses. On
appela les révoltés les Bonnets Rouges, du nom de leur
coiffure.
Des articles nombreux, des livres connus ont évoqués
la longue série des luttes antifiscales et des guerres
paysannes du XVII° siècle. Les analyses des causes sont également
nombreuses et variées et différent suivant l'appartenance
idéologique des auteurs. Notre propos se bornera à relater
l'enquête effectuée par les représentants de l'ordre,
deux mois après le saccage du presbytère de Duault, le 15
Juillet 1675. Ce texte inédit[2],
trouvé dans la série G des Archives Départementales a été
actualisé pour une meilleure compréhension.
Cet évènement, malgré les troubles graves qui déchirent
la région depuis le début de l'année, cache une
opposition farouche entre un recteur et son curé. En effet,
Claude Budes est recteur de la paroisse de Duault. C'est
l'une des plus importantes de l'évêché de Cornouaille et
elle comporte quatre trêves ou fillettes : Locarn,
Quelen, Burthulet, Saint-Nicodème et Landugen. Il
appartient, de par sa naissance, aux Budes de Guébriant,
famille de chevalerie et de noblesse d'ancienne extraction,
alliée aux Rohan, aux Du Guesclin, aux Arrel et Le Bigot.
Il est recteur depuis 1633 à l'âge de 28 ans et en 1646,
il reçoit en commande le Prieuré de Saint Jean de
Landugen, fief des Bénédictins de l'abbaye de Sainte-Croix
de Quimperlé. Malgré la relative pauvreté de la région,
la dîme ecclésiastique rendait ses revenus importants
comme nous le verrons dans le récit suivant.
Les Gourlay, sans être dépourvu de biens, sont établis à
Landugen depuis des temps immémoriaux. François Gourlay
est curé de ce lieu, sous l'autorité de Claude Budes et
voit d'un mauvais oeil le seigneur du Plessis au noir, le réduire
à la portion congrue.
L'enquête
Louis de la
Boissière, seigneur de la Châtellenie de Rosneven,
conseiller du roi, son sénéchal et premier magistrat civil
et criminel au siège de Carhaix, commis et subdélégué
par Monsieur de Marillac, conseiller du roi, conseiller
conciliaire des requêtes ordinaires en son hôtel,
commissaire délégué par sa main en cette province pour
raison des conditions et exactions populaires qui s'y sont
faites.
Ayant avec nous, Maître Jean Joseph Gogal, avocat à
la Cour, substitut du Procureur du roi, aussi commis par
Monsieur de Marillac pour conclure aux accusations.
Faisons ce jour 23 septembre 1675, sur les huit
heures du matin, nous rencontrer en notre maison, rue du fil
à Carhaix, pour exécuter notre charge : Messire Claude
Budes, sieur du Rufflay, prieur de Saint Jean de Landugen et
recteur de la paroisse de Duault, demandeur et complaignant
contre Messire François Gourlay, prêtre, Jacob Lencot et
Marguerite Quenechdu, sa femme, Charles Le Bourhis et Françoise
Jaouën, sa femme, François Le Bourhis de Guarsanvouézan
et autre François Le Bourhis, fils de Charles, mari de la
d. Jaouën, Jean Floch et Yvon Le Mouzer, Mathieu Guénégou,
Mathieu Bercot et son valet, Yves et François Le Boulch, Sébastien
Quénechdu, Sébastien et Guillaume Ropertz et autres leurs
complices déffandeurs et accusés.
Lequel, Sieur de Saint Jalmes, assisté de Maître
Christophe Rospabu, accuse les dits deffandeurs d'avoir au
son du tocsin, tant à Landugen qu'à Notre Dame de Pénity
rassemblé plus de 1500 à 2000 personnes, tant hommes que
femmes que filles . Les dits Lencot et Bourhis, principaux
chefs et moteurs de l'assemblée populaire se sont transportés
le jeudi 15 juillet dernier au presbytère paroissial du
bourg de Duault, lieu de la demeure plus ordinaire du
complaignant. Étant le dit Lencot assisté des autres nommés,
celui-ci dit tout haut : " Allons mes soldats, partons
détrousser ce gros vaurien, ce grand voleur, le recteur de
Duault" et ayant tiré une corde qu'il avait dans sa
poche, dit aussi hautement : Si nous le trouvons, il faut
aussi le pendre de cette corde à la porte et puis l'écarteler
en quatre comme aussi pendre Renée sa servante et le fera
moi-même exécuté ".
Puis les paysans des paroisses voisines comme
Plusquellec, Carnoët, Plourach, Plounévézel et Scrignac
brisèrent à coup de haches les portes de la cour, des
cuisines, salles, chambres et galetas dépendant de la
maison presbytèriale. Ils brisèrent également les fenêtres
des cabinets, puisets, coffres et armoires. Puis le pillage
terminé, ils burent quatre barriques de vin et autant de
cidre, volèrent et emportèrent son argent, sa vaisselle
tant en argent qu'en étain ainsi que les provisions, tant
viandes que pain, farines et blés et emportèrent tout ce
qu'il y avait de portatif.
Ensuite ils ont brûlés les genêts et les pailles
lui appartenant amené par des charrettes à timon près du
cimetière. Ils ont également volés quantité de bestiaux
qu'il avait à my-droit avec divers particuliers de Duault.
Commission et délégation nous ayant été donné par
Monseigneur de Marillac, intendant de justice, pour
descendre sur les lieux et faire état et procès-verbal des
choses, nous avons monté à cheval audit Carhaix et
accompagné du Sieur de St Jalmes, de Gogal,substitut, de
Rospabu, procureur et suringer de Maître Gilles Renet,
greffier des Eaux, Bois et Forêts de L'Évêché de
Cornouaille. Nous avons été guidé par le sieur de St
Jalmes jusqu'au village de la Villeneuve(Kernevez) en
Duault, appartenant à Yves Hamon et de là sur les lieux
d'une pièce de terre nommée Parc an Dour, où le Sieur de
St Jalmes nous a dit qu'il avait rentré et émulonné
22 charrettes de genêt et qui furent brûlés quelques
jours après le pillage du presbytère. Nous étant rendus
du côté le plus bas vers le village, nous avons vu les
restes du grand mulon de genêt brûlé et un peu de cendre.
Au village, nous avons trouvé une vieille femme du nom de
Françoise Logeat, épouse de Mathieu Le Goff, qui nous a
affirmé sous serment que son mari et tous les habitants du
village étaient absents, et que dans la pièce de terre
appelée Parc an Dour appartenant à Yves Hamon, il y avait
bien un grand mulon de genêt qui avait brûlé une nuit,
quelques jours après la révolte. Mais elle ne savait point
qui avait pu y mettre le feu.
De là, nous nous sommes rendus au bourg de Landugen,
où étant proche de la maison presbytèriale, le sieur de
St Jalmes nous a fait voir les vestiges d'un long mulon de
paille de blé brûlé depuis peu de temps. Ce mulon,
d'environ 16 à 20 pieds de long et de 10 pieds de largeur,
pouvait contenir environ 25 charretées de paille. Nous ne
trouvons personne dans les maisons de Landugen. Nous
continuons notre chemin pour nous rendre au bourg paroissial
de Duault où nous arrivons vers les une heure de l'après-midi.
Nous avons mis pied à terre dans la cour d'une maison
appartenant aux héritiers du défunt Samson, vivant hôte
de ce bourg. Après avoir dînés, nous nous sommes de
compagnie transporté vers la porte du presbytère que nous
trouvons brisée à coup de haches.
Entrés dans la cour, nous voyons la porte qui est
dans la muraille séparant la cour du cimetière, arrachée
et emportée de force. Également la porte d'une petite
bauge en face de la cuisine et servant à mettre une partie
de son cidre, a été enfoncée à coup de haches. Quatre
barriques pleine de cidre ont été vidées.
Nous entrons dans la cuisine où à gauche de l'entrée
nous voyons une petite presse(armoire) à deux panneaux entièrement
saccagées et vides dans laquelle le complaignant affirme
qu'elle contenait une bonne partie des actes, jugements et
obligations sur divers particuliers. Proche de la cheminée,
une grande presse à quatre armoires a été entièrement
brisée, serrures et clavures de force arrachées.
Pareillement, dans la petite salle attenante à la cuisine,
nous voyons une autre grande presse à deux étages
fermantes à deux panneaux, brisée et emportée. Également
un lit garni d'un matelas de laine ainsi qu'un banc garni de
bourre, ont été emportés.
La porte de la salle séparant celle-ci de la chambre
basse a été arrachée et emportée. Nous avons accédé à
la chambre située au-dessus de la cuisine et trouvons la
porte brisée. Voyons dans la chambre une presse à quatre
étages brisée et rompue, un long coffre de bois de chêne
à trois serrures dans lequel était des eaux-de-vie et un
coffret de fer d'Allemagne dans lequel il y avait cent louis
d'or et neuf cent cinquante livres en argent blanc. Ce
coffre fut emporté lors du pillage et retrouvé vide par un
serviteur.
Dans la même chambre, nous voyons un autre grand coffre de
bois de chêne, ouvert et vidé, un bois de lit carré et nu
qui était au dire du complaignant garni de paillasse et
couette de plumes avec matelas de laine et couvertures,
entouré de rideaux de drap d'Angleterre rouge avec sa
frange en soye de nidorne.
Nous voyons ensuite que la porte du cabinet donnant sur le
jardin est rompue et arrachée. Également une grande presse
à trois étages a été de force ouverte et détruite à
coup de haches. Dans cette presse se trouvait les papiers et
les actes du complaignant. Une deuxième armoire, dans le
pignon du cabinet proche de la cheminée est également brisée
et vide. Un bois de lit nu qui était avant les évènements
garni de paillasse, matelas et couvertures de laine avec
deux aunes de toiles fines, garni de mocade[11].
Le cabinet, qui était sa bibliothèque, a été débarrassé
de tous les livres, le sieur de St Jalmes estime la perte à
plus de deux mille livres tournois."
Dans la petite chambre, au-dessus de la salle, il ne reste
que deux bois de lit, auparavant garni de couvertures,
matelas, paillasses et couvertures de laine de beau drap
de Londres escavatte ? avec frange de crépine[12] en soie de
même couleur. Dans la chambre, au-dessus des écuries,
deux lits garnis, une armoire, un coffre et une maie sont
brisés et détériorés.
Dans les écuries, les lits des valets et servantes sont
également détruits et pillés.
Les enquêteurs sortent de la maison et se rendent dans le cimetière,
côté de la muraille Est, où ils constatent les restes d'une charrette à
timon brûlés, puis ils se retirent pour rédiger le procès-verbal que
signent Louis de la Boissière, Joseph Le Gogal, avocat à la Cour, le
sieur du Rufflay, le Procureur Rospabu, l 'huissier Renet et l'huissier
Thépault sous réserve des auditions des témoins suivants: Gilles
Auffray, Guyon Teunou, François Thomas, Pierre Derrien, Françoise
Desjars, Guy Guillaume et Jeanne Le
Bou1ch,veuve.
.
Arrestations
des fauteurs de troubles.
Le 24 septembre 1675, à cinq heures du matin, les enquêteurs
viennent prêter main forte à Me Gilles Renet, huissier
de la Juridiction et aux sergents Patry Débordès et
Guiader, sergents inférieurs et à cheval, se dirige vers
Landugen. Le premier lieu visité est le village nommé Ar
C' Haste! (Le Château)en Landugen Bras, maison du prêtre
François Gourlay. Celui-ci, à cette heure matinale, est
encore couché dans sa chambre, à laquelle on accède par
un escalier extérieur en pierre. L'arrestation ne
s'effectue pas sans heurt. Le prêtre les injurie et
refuse de les suivre, il ne s'estime pas coupable. Devant
la force armée, il se décide enfin à les accompagner,
après avoir réclamé son rabat(9), resté dans la pièce
du bas. L'accusé monte à cheval et vers sept heures du
matin, il est enfermé dans la sacristie de l'église de
Duault. La même opération est réalisée pour François
Le Bourhis de Garsenvoizan.
A dix heures
du matin, après avoir convoqués et interrogés douze témoins,
les enquêteurs, avec leurs deux prévenus, quittent le
bourg de Duault à cheval et rejoignent la prison de la
ville de Carhaix qu'ils atteignent vers huit heures du soir
et où les deux accusés sont écroués.
Le jugement fut rendu trois ans après les évènements, le
27 mai 1678 à Carhaix, siège de la Juridiction. Les accusés,
60 habitants du Prieuré de Landugen et 36 paroissiens de
Plusquellec furent condamnés à verser au recteur Claude
Budes, sieur de St Jalmes et du Rufflay, 25 000 ou 14000
livres suivant les sources. Le Recteur Claude Budes mourut
en 1679 et Béatrice Budes, sa sœur, épouse d'Olivier de
Taillefer, héritèrent.
Mais rien ne prouve que la sentence fut pleinement exécutée,
car on ne trouve aucune trace de poursuite dans les actes et
procès qui suivirent ces évènements.
En 1676, le Roi Louis XIV accorda sa clémence
aux révoltés dans un édit qui ne mentionne aucunement
nos protagonistes de la commune de Duault.
Joseph
Lohou.
(février 2007-février 2017)
Cet
article est paru dans la revue d'Histoire et
d'Archéologie des cantons de l'Argoat- N° 31 -1/1999.
Bibliographie
-
Henri de Jougla de Morenas-Le Grand Armorial de
France-1885-Ed.Héraldiques. - Jacques Levron- Les Bretons
contre Louis XIV-Historia-06/1975.
-
Archives Départementales des Côtes d'Armor- cote:
20G66-Duault.
-
Marie Guézennec- Bulletin du Centre Généalogique du
Poher- N°4-juin 1998.
-
Généalogie des Gourlay de Landugen- J.Lohou- Étude en préparation.
.
-
Roland Mousnier- Acte du 92' Congrès des Sociétés
Savantes.-1967-Histoire Moderne- Tome I.
-Trésor
de la Langue Française -TLF)- CNRS.
[8]
- Deux termes de décorations(Nidorne, escavatte, inconnus dans les dictionnaires
usuels.
[9]
- Revers de col, porté autrefois par les hommes d'église
et les magistrats
[10]
- Marie Guézennec- Les révoltes du Prieuré de
Landugen - La Lettre du Poher
[11}
-Mocade- étoffe à chaîne et trame de fil veloutée en
laine.(TLF)
[12}
-Crépine- large galon de passementerie ajourée, garni
de franges.(TLF)
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