Callac-de-Bretagne

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Les vicissitudes de René LE BOURHIS, dit BRINDAMOUR, soldat de marine callacois en 1706.

 
Vaisseau de guerre

 

 

Préface.

 

En janvier 1707, une affaire de police vint troubler dans toute sa quiétude la petite cité de Callac, groupée autour de sa place du Martray, sa cohue[1] et sa chapelle sainte Catherine. Un soldat de marine, sorte de sergent recruteur, né à Callac, de retour en décembre 1706 de ses lointaines campagnes aux Indes, permission en poche, profita de son congé pour revoir son pays natal, ses parents et amis, et veiller à ses affaires de famille.


La fin de son congé approchant, il en profita le mercredi 6 janvier 1707, jour du marché, pour célébrer sa fin de congé et son  prochain retour à Brest. Ayant invité plusieurs de ses amis à l’auberge de François Guénégou, dans laquelle  ils partagèrent quelques bouteilles de cidre ; une  soirée plutôt bien arrosée comme cela se conçoit pour un soldat de marine. Pour agrémenter cette rencontre et donner un air de fête à la réunion, il avait invité un sonneur de bombarde de ses amis, Pierre Morvan. Ils firent, sans aucun doute, quelques tapages et vacarmes devant l’auberge « Le Cheval Blanc » en voulant donner une aubade
.

 

Cette auberge, tenue par François Le Baron, recevait ce soir-là plusieurs personnalités d’importance, dont le sénéchal de la juridiction de Callac, Guillaume Floyd. Ce dernier personnage craint et redouté, dérangé par ce tumulte, sortit avec trois autres personnes et qui s’en prirent violemment  au groupe bruyant. René Le Bourhis, voulant défendre le sonneur de bombarde, se vit frapper de plusieurs coups de plat d’épée par le sénéchal ;  et de plus, confisquer par le même homme, son chapeau,  son épée et de son justaucorps.

 

 Comme il devait rejoindre Brest le lendemain. Il entra dans l’auberge de François Le Baron afin de réclamer chapeau, épée et justaucorps[2]. La dispute reprit et le sénéchal, jugeant que l’affaire avait assez durée, fit saisir par ses sergents avec une certaine rudesse,  René Le Bourhis et deux de ses compagnons, puis les enfermèrent dans la prison de Callac, bâtiment attenant aux halles. Le sénéchal garda les clés de la geôle et nos trois malheureux restèrent dans cette situation jusqu’au vendredi soir, sans secours, ni assistance.


                                         Scène de cabaret (Dessin d’Olivier Perrin)

Biographie succincte de René Le Bourhis, dit Brindamour.


René Le Bourhis, fils du sergent[3] de la juridiction François Le Bourhis et Marie Jeanne Hervé, naquît vers 1682. Il avait donc environ une vingtaine d’année au moment des faits. Il était  neveu et filleul du procureur fiscal de la juridiction de Callac, Maître René Soreau, également sénéchal de plusieurs juridictions : La Rochedroniou, Keranlouant, Kergadou, Coatrescar et Le Brunaut. Ce personnage demeurait au manoir de Lesmabon en Duault et c’est dans ce lieu, chez son oncle, que René Le Bourhis passait son congé.
Le procureur fiscal  Soreau venait de prendre la ferme[4] des Dîmes en 1701, succédant à son beau-père Thomas Gallet, fermier en 1686. Ses rapports avec le sénéchal Guillaume Floyd, successeur de son père Julien Floyd[5], d’une famille d’origine écossaise, n’étaient pas au beau fixe et il régnait même une certaine antipathie entre ces deux fortes personnalités.

La plainte de  René Le Bourhis le vendredi 8 janvier 1707.


René, dans l’obligation impérative de rejoindre sa formation à Brest, donnait procuration à son oncle René Soreau afin qu’il porta plainte contre le sénéchal Guillaume Floyd pour l’avoir enfermé en prison sans aucun jugement. Puis, il se rendit à Carhaix consulter le chirurgien royal Julien Montfort, rue du Fil, se plaignant de ses blessures.

 

                                                                  Certificat.

 »
Le 8ème  janvier 1707, Julien Montfort, chirurgien royal, juré et receu, résident à Carhaix, rue du Fil, certifie avoir visité le soldat de marine pour le service du Roy, selon qu’il me l’assure et luy ai remarqué une contusion considérable située sur la région de la ratte tendent à guérison, de plus avoir remarqué à l’endroit et au-dessus de l’os sqameux dextre  quantité de cheveux arrachés avec une mollesse en cette partie de la peau, et dit ledit Bourhis avoir depuis ses maltraitements, grande douleur de tête et « aussy un brisement de tout le corps », particulièrement au côté gauche et vers les reins, que c’est avec peine qu’il a pu venir à Carhaix pour s’y faire visiter et médicamenter. « Tout ce que dessus paroist estez faites par instruments contondentz et thuméfiants comme coups de pieds, de poing, et prises aux cheveux ou autres faisants pareil effectz. »

 

Il appartient pour traictementz et médicamentementz la somme de trois livres, estant obliger d’aller deux fois par jour le visiter et y mettre onguentz et emplâtres et cela en la demeure du sieur Clairjour, hôte de la « Perruque » …

 

                                                                                           Julien MONTFORT »

Cette visite, comme le souligne et constate le chirurgien Julien Montfort dans le certificat ci-dessus, était vraiment nécessaire et les coups portés par le sénéchal étaient bien réels.

La préparation de la défense.

En arrivant à Brest, quelques jours plus tard, René se fit délivrer par son chef de corps, le 17 janvier 1707, un titre de congé et un certificat de recrutement :

 

 « Congé et certificat accordés à René Le Bourhis, soldat de marine, par Monsieur d’ATTELAN de Norcy, son capitaine, qui avait sûrement plus d’aptitude au commandement et au maniement du sabre d’abordage qu’aux règles de grammaire…

 

 

 

1-« Nous, lieutenant de vaisseaux et capittaine d’une compagnie franche de la marine, avons donné congé à René Le Bourehise dit Brindamour, soldast, daler che lui à Calaque pour vacquer à say aafaire pendant le mois de désambre 1706 »
         
                                                          

     2-« Je sertiffie que jay donné une permission de depuis le mois de désembre dernier à René        Le Bourhis dit Brindamour, soldat de ma compagnie pour aller che luy et pour y tacher di faire  quelque bons hommes pour rendre ma compagnie complètes ne pouvant choisir un soldat plus chage que luy et qui soit de melieure conduite et plus attendu à me faire des soldats degré agrés en foy de quoy nous luy avons donné le présan sertificat pout luy servir ce que de raison ».

                            « Fait à Brest, le 17 jeanvier 1707 ».

                                                                              Signé : D’ATTELAN de Norcy

  

L’enquête de renommée à Duault en janvier 1707.

 

René Soreau, habitant du manoir de Lesmabon, fait intervenir Yves Guillerm, curé de la paroisse

sous l’autorité du recteur de Crechriou, le 9 janvier 1707 :

 

  «  »Je, qui soussigne, Yves GUILLERM, curé de la paroisse de Duault, certifie et rapporte à qui il appartiendra, avoir publié et banni à haute et intelligible voix, en langage breton, au prône de ma grand messe, ce jour, sur le réquisitoire de René Le Bourhis, soldat de marine pour le service de sa Majesté.
S’il y avait quelqu’un dans la dite paroisse qui aurait lieu de se plaindre du dit Le Bourhis, et s’il lui aurait vu faire quelques actions mauvaises, sur quoi les dits paroissiens, au nombre qu’ils étaient en la dite église, dirent tous que depuis le peu de temps qu’il demeura au manoir de Lesmabon, qu’ils l’ont vu venir au bourg à la messe, fêtes et dimanches, sans jamais lui avoir vu faire la moindre action, que celle de la connaître pour un très honnête garçon et fort sage. Lesquels paroissiens présents m’ont prié de faire le présent certificat, et de lui délivrer au dit Le Bourhis présent, pour lui valoir et servir ainsi qu’il appartiendra.

Fait au dit bourg de Duault, ce jour 9ème janvier 1707.


                             Yves GULLERM, curé de Duault. »
                                 
                                             

 

 

 

L’affaire présentée devant la Juridiction de Carhaix.

 

 

      Conseillé par son oncle, le procureur fiscal René SOREAU, l’affaire est présentée devant les juges royaux de la Juridiction de Carhaix, juridiction supérieure à celle de Callac, les 10 et 12 janvier 1707. Le choix de cette juridiction devait permettre au plaignant d’échapper à l’influence de son agresseur, le Sénéchal Guillaume FLOYD, et de sa juridiction, entièrement sous son influence néfaste.

Mais c’était  compter sans  les relations amicales  entre les deux judicatures, celle  de Carhaix, et celle de Callac. Le Sénéchal Jean RAGUIDEAU transmis l’affaire au Procureur général de la province à Rennes.

 

     « au lieu de statuer sur les dites charges et informations de tel décret que le crime le requiert contre le Sénéchal de Callac et autres ses complices, le Sénéchal de Carhaix pour éluder en faveur des accusés l’aurait renvoyé le 22 janvier1717en la Cour de Rennes…

 

En mars 1707, Bernard LE CLAVIER, le Procureur général de Rennes faisant droit à la requête de BOURHIS, enjoint et fait commandement à la juridiction royale de Carhaix de statuer sur les charges et informations et »de rendre bonne et brieffve justice » au suppléant jusqu’à la sentence définitive à peine de dommages et intérêts.

La procédure est enfin introduite le 14 mars 1707 à Carhaix, mais René SOREAU qui suit de près l’affaire, se plaint maintenant des négligences et des délais du greffier M° Jean SENANT qui semble avantager le sénéchal FLOYD.

Le monitoire[6] et le jugement.

 

En septembre 1717, Monseigneur François Hyacinthe de PLOEUC, évêque de Cornouaille à Quimper, fait parvenir à la cure de Duault sous forme de monitoire, la complainte du soldat de marine, René LE BOURHIS, mineur « authorisé »  de Maîstre Jean de la ROCHEHUON, son tuteur. Ce monitoire, fut lu au prône de la grand messe en l’église de Duault par le curé Yves GUILLERM. A deux reprises,  une première fois le 20 octobre et une seconde fois le lendemain qui  ne donnèrent aucun résultat, personne ne donna son nom. Enfin à la troisième lecture, sept personnes se décidèrent à témoigner à Carhaix :

  1. Guillaume CABELLEC, un laboureur de Botmel âgé de 30 ans qui dépose qu’il n’a aucune connaissance des faits, sinon que Louis LAOUR lui a reporté qu’il avait tout vu et que le sénéchal avait donné quelques coups à René LE BOURHIS…
  2. Louis LAOUR(LALLOUR), valet du fournier[7] de Callac, 16 ans, a vu BOURHIS entrer chez GUÉNÉGOU avec MORVAN pour y boire une bouteille de cidre. Lorsqu’ils sortirent, le sénéchal, accompagné de François LE GALL et Joseph CHENEL, dit CHAMPAGNÉ, vinrent de la maison de BARON, autre hôte, maltraita MORVAN, le blessa au bras, et donna à BOURHIS plusieurs coups d’épée. Puis le dit CHAMPAGNÉ traîner BOURHIS par les cheveux et lui casser son épée…
  3. Guillaume LOHOU, laboureur âgé de 64 ans, dépose n’avoir aucune connaissance des faits..
  4. Claudine HÉRISSÉ, femme de Michel AUDREN, âgée de 50 ans, la servante du BARON, hôte de Callac, remarqua René LE BOURHIS proche de la demeure du BARON qui demandait son épée et son chapeau et vit qu’on lui jeta son chapeau de chez BARON, sans savoir par qui…
  5. François MAUVIEL, marchand de 25 ans, dépose que le premier mercredi de janvier, vers 7 ou 8 heures du soir, il entendit Pierre MORVAN jouer de la bombarde, lequel lui dit : «  Je vais donner une sérénade à mon compère le BARON ». Puis, il entendit René LE BOURHIS demander son épée et son chapeau qui lui furent jetés par une fenêtre de la maison de BARON. Il entendit une voix qui dit au BOURHIS : « Tient les voilà, le Roi te fait grâce ».
  6. Louise GUÉNÉGOU, fille de Jan GUÉNÉGOU, âgée de 16 ans, dépose qu’un jour passant près de la halle, elle remarqua le sénéchal donner un coup à René LE BOURHIS et l’emmener en prison.
  7. Yves MAUVIEL, marchand de 24 ans, dépose comme son frère François au sujet du chapeau et de l’épée. BOURHIS ayant ramassé son épée, dit tout haut : »sacré, la lame de mon épée est cassée ». Il appris le lendemain l’emprisonnement de BOURHIS et déclare : « ne lui avoir jamais vu faire aucun mal ».


    Épilogue.

    Les décisions de justice rendues en novembre 1707 ne nous sont malheureusement  pas connues et restent enfuies dans les profondes archives de justice de la juridiction de Carhaix aux archives du Finistère.
    FLOYD et ses complices durent certainement  payer une légère  amende pour ces faits sans préjudice pour le soldat BOURHIS.

 
Et que penser de Guillaume FLOYD, le sénéchal de Callac, qui expédiait à tort et à travers les braves gens en prison pour une simple beuverie et une joyeuse sérénade sur la place du Martray.

   Et que devint notre soldat de marine Brindamour au service de sa Majesté, après toutes ses campagnes au bout du monde ?

   Par un heureux hasard, 11 années après son enfermement et son affrontement judiciaire avec le sénéchal Guillaume Julien FLOYD, nous le retrouvons à Callac chez son oncle et parrain, René SOREAU. Ce dernier n’était plus procureur fiscal à Callac mais sénéchal de Carnoët, il demeurait à Callac dans son auberge « Le Cheval Blanc » de la place du Martray.

 


       Le 18 mai 1718, René LE BOURHIS, maintenant âgé de 36 ans, était,  ce jour-là, occupé à ranger le bois de l’auberge, lorsqu’il fut témoin d’une dispute entre deux ménagères autour du puits de la place, la Demoiselle Jeanne DOUALLAN, épouse de Vincent THOMAS et Louise LE GALL, épouse de M° Jean VAUCHEL.

        Devant la Cour de Callac, présidée par le sénéchal FLOYD et assisté du procureur M° François JEAN, René LE BOURHIS répondit en tant que témoin. Son témoignage signé ne prit parti, ni pour l’une, ni pour l’autre ménagère ; cela restait pour lui « deux mégères se cherchant pouilles[8] ».

 

 

Puis, sans raison apparente, notre René LE BOURHIS, disparu de Callac et de sa région, vraisemblablement resté célibataire, attiré depuis sa prime jeunesse par l’appel du large…



Soldat de marine

 

 

 

 

 

                                                                           Joseph LOHOU(novembre 2006-mars 2017)

 

 

 

Sources.
Archives du Finistère. Cote H. art. 162 (Carton)
Bulletin Archéologique du Finistère – Tome XXX(Mémoires) –27.
Abbé Antoine Favé.
AD22- série E- série B- art. 215-Procédures civiles.



[1] COHUE - empr. au bret. koc'hu, koc'hui « halle » . .(Trésor Langue Française)

[2] JUSTAUCORPS, Histoire du costume. Vêtement masculin serré à la taille, muni de manches, de forme longue un peu évasée du bas, qui fut d'abord utilisé dans le costume militaire.(Trésor Langue Française)

[3] Sergent - Officier de justice subalterne, chargé de signifier les actes de procédure et de mettre à exécution les décisions de justice.(TLF)

[4] Ferme- Convention par laquelle le propriétaire d'un droit en abandonne la jouissance à un tiers, pour un temps et un prix fixés. Cette convention était donc attribuée par le seigneur, en l’occurrence l’abbé du prieuré de l’abbaye de sainte Croix de Quimperlé, au procureur fiscal sous le contrôle du sénéchal.

[5] Famille FLOYD- Voir « Pays d’Argoat » – n°35-2/2001 – (Joseph Lohou )

[6] Monitoire, lettre adressée par l’autorité ecclésiastique aux fidèles leur enjoignant, sous peine d’excommunication, de dénoncer tous les faits répréhensibles dont ils ont connaissance.(T.L.F)

[7] Fournier - Ouvrier qui travaille au four à pain

[8] Pouilles – accabler quelqu’un de reproches accompagnées d’injures. (T.L.F)

 

 


 



            


 

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