Callac-de-Bretagne

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Les Bretons de Paris-St Denis en 1953



Ce n'est pas seulement dans de grandes villes que l'on trouve des colonies bretonnes. On en découvre aussi dans de modestes agglomérations. Ainsi dans la commune de la Ferté-Fresnel, dans l'Orne, connue dans le pays sous le nom de « Petite Bretagne ».En juillet 1939, un notaire nous écrivait : «On m’assure qu'il existe Grand-Couronne, en Normandie, une colonie de plus de 600 Bretons originaires de Spézet (Finistère), qui travaillent comme manœuvres dans ses usines de cette localité 137. En 1947, un directeur d'école du Finistère nous faisait cette remarque : « Chaque commune semble avoir un centre d’attraction dans sa région parisienne : Karloff se retrouve à Versailles. ».A Saint-Cyr-sur-Ecole on remarque surtout des Bretons de la région de Guingamp.

 Beaucoup de familles de Saint-Carreuc, nous disait-on pendant l'occupation, sont établies à Mantes-la-Ville(1), comme cimentiers. Il y a là une colonie de Saint-Carreuc, au moins une trentaine. Les centres qui fournissent à Vaujours et aux environs (Seine-et-Oise) le contingent des Bretons sont : Le Relecq-Kerhuon, Pont-de-Buis, Moulin-Blanc. D'autres localités en ont fourni également, mais seulement quelques unités. C’est surtout des environs de Châtelaudren, spécialement de Plélo, Trégomeur et Tréméloir, que viennent les maraichers de Montesson et Croissy .Le breton de Villejuif, nous rapportait-on en 1948, un millier environ, sont presque tous du Finistère, surtout d'Elliant. Beaucoup sont infirmiers à l'hospice P. Brousse ou l’asile psychiatrique. De Guilliers (Morbihan), on estime qu'il y a plus de 500 émigrés parisiens, presque tous dans le service de santé. Loguivy-les-Lannion envoyait bon nombre de gens à Ivry, travailler à la maison Amoy. De même, quelqu'un nous écrivait en 1947: « Nos compatriotes, et plus spécialement les miens (je suis originaire de Lannion), sont nombreux, dans le XVIIIe arrondissement, occupés aux Etablissements Maggi. »Beaucoup de gens de Trémuson allaient autrefois travailler dans les glacières à Paris : on les employait, en particulier, à transporter de la glace dans les hôtels.

Déjà l'abbé Cadic pouvait écrire au sujet des Bretons : « Par un phénomène singulier qui prouve bien les tendances particularistes de ces gens, à l'exception des domestiques que les exigences de leur condition condamnent à se disséminer, les ouvriers ont soin de se grouper sur des points déterminés, par familles, par dialectes, par cantons. Les Trégorois, vous les verrez en force à Vaugirard, à Plaisance, à Saint-Denis ; les Roscovites, près de la Bastille; les Pontyviens choisissent de préférence les faubourgs de Saint-Ouen, de Levallois, de Clichy et les alentours de la gare d'Ivry. Ce n'est qu'à la longue qu'ils en viennent à se sectionner, et, en débarquant à Paris, ils commencent par se fixer pêle-mêle aux environs de la gare qui les a amenés. Notre-Dame-des-Champs où s'élève la gare Montparnasse, en comptait 2.692 en 1891. Ce centre forme maintenant, avec celui de Plaisance, leur véritable quartier général, une extension de la Bretagne en quelque sorte.

Le Bulletin de la Paroisse bretonne notait en novembre 1901 :« A Grenelle, il y a des rues entières de Bretons et il nous souvient d'avoir trouvé, au cours de nombreuses visites que nous fîmes au moment des inondations, une maison de la rue de Javel qui comptait 130 Bretons presque tous originaires de Morlaix et qui travaillaient dans les usines du voisinage. En 1936, des 705 originaires des Côtes-du-Nord habitant Colombes, 269 venaient de l’Ouest de ce département, d'une région équivalant à 9 cantons, ce qui donnait une moyenne de 30 par canton : 157 venaient d'une région centre et du sud-est équivalente à 8 cantons donnant une moyenne de 20 par canton; tandis que les 279 autres, issus de 31 cantons, voyaient leur moyenne tomber à 9 par canton. A la même époque, chiffres analogues pour les XIIIe, XIVe et XVe arrondissements de Paris, où les cantons les plus représentés, sont toujours ceux de l'extrême ouest et parfois, mais un degré moindre, quelques-uns du sud, XIIIe arrondissement. — Sur 245 électeurs originaires des Côtes-du-Nord, 113 viennent de 9 cantons (moyenne de 12 par canton), 132 de 39 cantons (moyenne de 3 par canton).XIVe arrondissement. — 159viennent de 9 cantons (moyenne de 16), 295 de 39 cantons (moyenne de 7).XVe arrondissement. — 378 issus de 17 cantons (moyenne de22), 242 de 31 cantons (moyenne de 8).Le « premier prix » reviendrait au canton de Plouaret qui comptait en tout 101 originaires électeurs dans ces trois arrondissements. Le  second prix ex-aequo, aux cantons limitrophes de Lannion et de Plestin, qui en comptaient chacun 61.

D'une manière générale, les originaires des Côtes-du-Nord, électeurs Paris et banlieue que nous avons relevés dans notre important sondage (relevé complet de nombreux arrondissements de Paris, de plusieurs communes de banlieue) sont en grande majorité de l'ouest, des cantons de Plestin et Bégard à ceux de Maël-Carhaix et Mûr. Il existe une deuxième région dans le Méné, qui va de Quintin et Moncontour à Loudéac, et comprenant les communes qui s’étendent de Plénée-Jugon à Illifaut. Dès 1896, il y avait à Versailles une très nette prédominance de gens venus des Côtes-du-Nord puisque, sur 4.268 Bretons, 2.982 étaient de ce département. M. L’abbé Euzen déclarait en 1908 : « J'ai pu remarquer que ce sont les arrondissements de Guingamp et de Lorient qui fournissent Versailles le plus d'ouvriers bretons. La région de Guingamp devait l'emporter de beaucoup, car nous trouvons les précisions suivantes dans un article intitulé : Quand les provinciaux s'annexent la ville du Roi-Soleil : « Après Saint-Denis et le Havre, Versailles est considéré par les statisticiens comme le troisième grand centre français de l'émigration bretonne. Cette affluence, assez surprenante au premier abord, s'explique surtout par le fait que Versailles se trouve située sur les deux lignes Paris-Brest, Paris-Quimper, voies importantes desservant la Haute et la Basse-Bretagne. Cependant, on nous fait remarquer que la plupart des Bretons de Versailles sont originaires du Finistère et des Côtes-du-Nord. Les Morbihannais, par exemple, sont très peu nombreux. Cela vient de ce que la ligne Paris-Quimper ne passe à Versailles que depuis une quinzaine d'années à peine. Ce sont donc des originaires de Brest, Morlaix, Guingamp et Saint-Brieuc qui, les premiers, sont venus s'établir en Seine-et-Oise et à Versailles en particulier. Quels sont les principaux quartiers bretons ? Montreuil  d'abord, la rue du Vieux-Versailles et ses abords immédiats.

La partie Chesnay vienne du boulevard Saint-Antoine. Qui, de nous, dans ces quartiers, n'a entendu des groupes parler le rude langage celtique ou rencontrées coiffes blanches se rendant à la gare des Chantiers ? Tous ces Bretons émigrés constituent d'importants effectifs à la S.N.C.F., sur les chantiers de construction et dans la police. Faut-il parler de la Société des tramways versaillais qui semble n'avoir parmi ses employés que des Armoricains ? Nous avons pu, en effet, jeter un coup d'œil au bureau de la Compagnie sur le registre où figure le nom du personnel et nous avons été surpris par l’abondance de noms à consonance celtique. Une avalanche de Le Gac, Le Dru, Le Coz, etc. A noter que la plupart de ces employés viennent de Morlaix, Huelgoat et Guingamp, sans oublier le petit bourg Scrignac qui, jusqu’à présent, est le principal fournisseur de wattmen et de receveuses. On ne pourrait plus aujourd'hui généraliser ces rapprochements au point d'y voir une sorte de loi, comme refaisait Sébillet. « Il est intéressant, disait-il, de constater que partout où les Bretons sont quelque peu nombreux, on les voit se grouper  à côté des autres dans un quartier spécial. On peut vérifier ce fait d'après la plupart des grandes villes où les Bretons sont employés comme ouvriers ou comme manœuvres ; en certains cas, à Trélazé par exemple, ils arrivent à former une sorte d'îlot qui pendant longtemps est réfractaire à l'assimilation. 

Ce dernier fait, surtout, est de moins, en moins vrai. On rencontre encore cependant des regroupements, étonnants. Celui des quartiers de Saint-François et de l'Eure, au Havre, était célèbre. La guerre l'a dispersé en détruisant cette partie de la ville. On a pu écrire avec un peu d'exagération que les rues Vanda, Mme et Vercingétorix, autour de l'église Notre-Dame-du-Travail de Plaisance, dans le XIVe arrondissement de Paris, sont presque exclusivement habitées par des Bretons. Est-il vrai qu'il y a 2.000 Bretons groupés dans un quartier de Gennevilliers près de Colombes ? En tout cas, voici sur Saint-Denis des précisions exactes. En 1896,sur les 5.115 Bretons de cette commune, 2.286 étaient des Côtes-du-Nord. En 1931, celles-ci en comptaient 3.927 sur 7.502. Soit 44 % à la première de ces dates, 52 % à la seconde. Nous avons pu relever le lieu de naissance de 1.550 hommes originaires des Côtes-du-Nord, électeurs de Saint-Denis en 1931.

Tous les cantons sont représentés, mais très différemment. Le foyer d'émigration vers Saint-Denis est ainsi très nettement déterminé : les électeurs inscrits à Saint-Denis sont en énorme majorité de Cornouaille, surtout des centres de Belle-Isle-en-Terre, de Plouaret, Callac, Rostrenen, Gouarec. Soit une masse compacte de 70 communes fournissant à Saint-Denis 1.220 électeurs. Tandis que les 320 autres communes du département en fournissent seulement 330 entre elles toutes. En gros, cette région d'environ 100.000 âmes, soit le cinquième à peine des Côtes-du-Nord, compte à peu près 3.000 émigrés à Saint-Denis, tandis que les quatre autres cinquièmes, ensemble, n'en comptent pas un mille. Par conséquent, la première région compte à Saint-Denis environ 30 pour mille de ses originaires ; le reste du département, environ 2 pour mille. Voici, du nord au sud, les communes qui comptaient en 1931 le plus d'électeurs à Saint-Denis : Trégom : 20 — Plounévez-Moëdec : 49 — Louargat : 56— Belle-Isle : 30 — Loguivy-Plougras : 36 —Plougonver : 34 — Bourbriac : 28 — Callac : 20 — Maël-Pestivien : 30 —Carnoët : 25 — Saint-Nicolas-du-Pélem : 40 — Kergrist-Moëllou : 27— Maël­Carhaix : 20 — Plounévez-Quintin : 47— Corlay : 26 — Plussulien : 20 — Laniscat : 46 — Glomel : 39 — Plouguernével : 46 — Saint-Gelven : 30 —Caurel : 32.

C'est Louargat, dans le canton de Belle-Isle, qui vient en tête. N'est-il pas surprenant qu'une commune des Côtes-du-Nord, située à 440 kilomètres de Paris, compte 56 de ses fils adultes regroupés sur un aussi petit territoire que Saint-Denis ?D'autant que, si l'on tient compte de la proportion générale, ces 56électeurs indiquent, 150 originaires de Louargat domiciliés à Saint-Denis. Et encore faudrait-il tenir compte du fait qu'un bon nombre ont pu ne pas se faire inscrire sur les listes électorales .Si maintenant l'on considère, non plus les chiffres absolus, mais le pourcentage de l'émigration à Saint-Denis par rapport à la population restée au pays, la proportion la plus étonnante nous est fournie par trois petites communes limitrophes situées au sud du département : Laniscat et Saint-Gelven, dans le canton de Gouarec, et Caurel dans le canton de Mûr. Elles ont respectivement 46, 30 et 32 émigrés électeurs à Saint-Denis, ce qui indique, d'après la proportion générale, 110, 75 et 80 émigrés des deux sexes et de tous âges. Comme ces trois communes avaient en 1931, à l'époque de nos recherches, Laniscat, 901habitants ; Saint-Gelven, 723 ; Caurel, 763, il s'ensuit que ces deux dernières avaient 10 % de leur population à Saint-Denis et Laniscat12 %.

Comment les Bretons de Saint-Denis sont-ils répartis au point de vue du domicile ? Pour le déterminer en gros, nous avons utilisé cette distribution en quartiers que constituent les onze sections établies dans la commune en vue de faciliter les scrutins. Cette étude nous a révélé que les divers cantons de la la cité dionysienne. Par exemple, tandis que les gens, venus des cantons de Gouarec, Mûr et Corlay, habite une occidentale des Côtes-du-Nord où Saint-Denis recrute tant d'habitants ont des quartiers d'élection dans sont volontiers dans la neuvième section, ceux de Belle-Isle-en-Terre et Plouaret vont davantage dans la huitième et la onzième. La comparaison de quatre de ces sections est particulièrement instructive : ce sont la première, la deuxième, la troisième et la sixième.

Nous y avons pointé 7.495 électeurs de Saint-Denis sur 22.237 qui étaient inscrits en 1932 sur l'ensemble des listes de la commune, soit environ le tiers. Et nous avons relevé au passage les électeurs originaires des Côtes-du-Nord que nous avons rencontrés, exactement 524, représentant également environ le tiers de l'ensemble, qui était de 1.601, des électeurs émigrés de ce département. Or nous avons constaté une distribution inverse suivant les cantons d'origine. Une région compacte qui s'étend sur une partie des cantons du nord (Plouaret, Belle-Isle-en-Terre, Bourbriac) comptait 22 originaires inscrits dans la sixième section, 95 dans l'ensemble des trois autres ; au contraire, une région du sud (parties des cantons de Maël-Carhaix, Rostrenen, Saint-Nicolas-du-Pélem)en avait 92 dans la sixième section et 21 dans les autres.

 Si l'on joint cette dernière région à une voisine qui s'étend sur Gouarec et Corlay et avait une distribution de ses originaires se rapprochant de la sienne,  on constatait le fait suivant : une superficie égale à trois cantons et demie de la Cornouaille des Côtes-du-Nord comptait 161originaires électeurs à Saint-Denis inscrits dans cette sixième section, soit 70 % de ceux des Côtes-du-Nord pour cette section et 7,8 % de tous les électeurs de cette section, autrement dit 1/12°, alors que la population de cette superficie cornouaillaise représente à peu près 1/1200e de celle de la France. Les adresses nous ont aidé également à découvrir à quel point les Bretons se sont rapprochés les uns des  autres dans cette commune où ils constituent, il est vrai, 1/11e de la population. Il est curieux de les voir habiter les mêmes rues et souvent les mêmes maisons. Les rues de Paris, de Gonesse, de Notre-Dame et du Grand-Pichet en abritaient un certain nombre. Dans l'espace de quatre ans, de 1876 à 1879, on en trouve sur le seul registre des mariages une quinzaine qui déclare habiter au n° 29 de la rue du Saulger. Il se constituait ainsi, on le voit, de véritables « Bretonneries ». Cette coutume s'est conservée. Dans certaines rues il y a de nos compatriotes dans presque toutes les maisons. Les listes électorales que nous avons   consultées nous disent qu'il n'est pas rare de trouver 4, 6, 8, 10électeurs du sexe masculin originaires des Côtes-du-Nord, logeant au même numéro. Même, en 1932, le n° 61 de la rue des Poissonniers en abritait 19, le n° 10 de la même rue : 24, presque tous originaires de communes différentes, mais voisines. Ce phénomène de rapprochement social, ces courants migratoires déterminés, montrent le rôle important des influences individuelles dans l'exode breton. Ce sont des parents, des amis, des « pays » déjà partis, qui font signe à ceux qui sont restés au village natal : ceux-ci ont demandé ce service ; ou   ceux-là, sachant les besoins des compatriotes, les invitent spontanément, les pressent de venir et leur préparent les voies. On sent aussi un peuple, sous la pression des causes que nous avons dites ailleurs, contraint de quitter                                          sa terre et qui s'engouffre partout où il trouve une issue.


Cf. Abbé Élie Gautier, Un siècle d'indigence. — La dure existence des paysans et des paysannes.


 

J.L. (octo.2017)