|
Callac-de-Bretagne |
|
Page
Retour
Les Bretons devant l'impôt
(AUX LECTEURS)
Si
vous croyez trouver, dans les pages qui suivent, une étude d'histoire
sur l'attitude des Bretons devant les impôts au cours des siècles
passés, vous serez déçus.
Telle n'a pas été notre intention.
Nous
nous sommes rencontrés avec des auditoires de paysans, d'artisans,
d'ouvriers, de petits commerçants. C'était à eux que nous nous
adressions, c'était pour eux qu'avaient été jetées sur le papier les
notes qui font l'objet de cette brochure.
Il
n'en reste pas moins qu'il y a une étude fort attachante à écrire sur
les impôts en Bretagne. depuis les origines jusqu'à la Révolution, sur
les révoltes nombreuses et parfois sanglantes qui illustièrerit chaque
fois leur injustice ou leur lourdeur. sur les hommes qui se firent les
conducteurs de notre peuple et n'hésitèrent pas à montrer leur énergie et leur esprit d'indépendance. .
Ces
quelques pages. nous les dédions à nos amis des campagnes et des
bourgades du Vitréais, dont la communauté d'idées, quand nous allions
de village en village, nous fut précieuse.
Nous espérons qu'un jour venant, le grain que nous avons semé lèvera et que d'autres, après nous, en seront les moisson-neurs.
C'est notre unique désir et ce sera notre récompense.
J. Choleau(1937)
il doit être recouvré de la manière la plus commode. il doit être recouvré économiquement.
L'impôt
impopulaire. — Parce que, aujourd'hui, l'impôt tend à ne plus répondre
aux mêmes conditions, il est en passe de devenir, comme sous les
anciens régimes, impopulaire,
Quand
les contribuables d'un pays comme le nôtre, qui ont l'habitude de juger
froidement, en toute liberté, se rendent compte de la paperasserie
formidable qui sévit dans toutes les administrations, — quand ils se
rendent compte du nombre incalculable (comme nous le montrerons plus
loin) des formalités, compliquées à plaisir, — quand ils constatent
que, chaque jour, on invente des tracasseries nouvelles envers ceux
qui paient, — quand ils touchent du doigt l'inégalité choquante des
charges qui pèsent principalement sur les pays peuplés, comme la
Bretagne, alors que d'autres régions dépeuplées sont favorisées, —
quand ils constatent que l'argent des impôts suit toujours une même
direction et que son emploi profite toujours aux mêmes; — quand ils
savent tout cela, — ils ont la volonté ferme de faire cesser ces
tracasseries, ces complications, ces vexations, cette inégalité
choquante des charges et des profits. — Ils sont prêts, alors, à
refuser le paiement de l'impôt, si cela leur semble nécessaire.
Peut-être même iront-ils, si on les pousse à bout, jusqu'à vouloir
mettre la force, — la force désordonnée et redoutable des foules. —la
force brutale, au service de leur juste cause.
Car,
ne l'oublions pas, Messieurs. l'impôt injuste, l'impôt impopulaire, est
à la base de toutes les révolutions. Tous les gouvernements de la
France, depuis un siècle et demi, sont nés de révolutions.
Ici
même, dans notre beau pays de Vitré, quand. faisant fi du traité de
1532, qui liait Bretagne et France et définissait les droits des
parties, disant, entre autres choses, que nul impôt nouveau ne
pourrait être établi sans le consentement des Etats, quand, dis-je, le
Roi voulut établir en 1675 l'impôt sur le Papier timbré, que nous
connaissons encore, établir le monopole des
Tabacs,
la marque de la Vaisselle d'étain.—ce fut chez nous, comme un grand
souffle libérateur, qui souleva nos ancêtres, paysans, artisans et
bourgeois.
La
rapacité des fonctionnaires. — Nos aïeux se plaignaient à bon droit de
la rapacité des commis chargés de percevoir les nouveaux impôts,
écrit l'historien Lemoine. Ils se plaignaient de la multiplicité des
fonctionnaires.
Au
XVII siècle, on comptait déjà un fonctionnaire par 20 habitants en
Bretagne. Dans une petite ville (Hennebont). il y avait vingt-trois
notaires royaux, seize procureurs fiscaux, et, dans les juridictions
subalternes, plus de deux mille fonctionnaires, tant procureurs,
notaires que sergents.
« Il s'en crée tous les jours, dit un écrit du
temps, pour l'oppression du peuple, »
Faut-il
rappeler l'exécration dans laquelle étaient tenus certains agents du
fisc. Ma mère m'a souvent conté les extraordinaires aventures qui
ridiculisèrent le procureur fiscal du Breil-menphani, qui, si je ne me
trompe. sévissait pas très loin d'ici.
A
la suite de la révolte des contribuables du XVII• siècle, ce fut, de la
part des gens du roy, une répression féroce. Et les vieux chênes des
forêts bretonnes recueillirent les gémissements de nos ancêtres qui se
balançaient au plus haut bout des branches, au grand rafraîchissement
et plaisir de la « divine marquise, à qui les Vitréens du XIX°
siècle, reconnaissants, élevèrent une statue.
Les
remontrances au Roy. — Si le peuple se révoltait, les corps constitués
bretons conservaient la liberté de faire des remontrances au Roy.
Après les guerres de Louis XIV, alors que le Trésor obéré prétendait
établir un nouvel impôt dit « du cinquantième denier, le Parlement
de Bretagne usa de ses prérogatives, sans grands résultats d'ailleurs.
Aujourd'hui,
nos corps constitués font, eux aussi, parfois de timides observations.
Témoins celles de nos Conseils d'arrondissement, de nos Chambres clz
Commerce ou d'Agriculture. Mais, quelle importance peuvent-elles avoir
quand on sait que, par principe. les gouvernements n'en tiennent que
rarement compte.
Il
ne nous reste donc, pour faire entendre notre voix, que le groupement
de tous, non pas en vue d'une révolte, d'une révolution que personne
ici ne souhaite, mais afin de faire comprendre aux gouvernants que,
s'il est peut-être très facile de rester sourds aux plaintes des
organismes politiques ou professionnels,
il sera plus difficile pour eux, de s'opposer aux millions de voix qui
clament leur volonté de ne payer que ce qui est juste, de ne payer que ce qui est légitimement dû par ceux qui travaillent ; les paysans, les commerçants, les travailleurs de toutes
sortes et de toutes catégories, enfin réunis sous l'égide des ligues de contribuables.
L'impôt actuel est-il juste ? — Non...
Parce qu'il grève très lourdement certaines catégories de citoyens : les commerçants. les patrons, les artisans, les cultivateurs, les ouvriers, parce qu'il est affecté au paiement de dépenses souvent inutiles: parce qu'aux sacrifices des payants ne correspond pas toujours une judicieuse économie dans les dépenses: parce que, quand le commerce ne va pas, quand l'industrie
chôme,
quand les produits de la terre sont avilis. il est souverainement
injuste, tyrannique, de demander à des impôts nouveaux ou accrus, les
ressources que peuvent donner les économies.
L'impôt actuel n'est pas
juste, donc, il n'est pas sain.
Impôt d'argent. Prélèvement du sang. — On s'est plu à établir une comparaison entre les impôts et la transfusion du sang :
Un
homme. par suite d'un accident, a perdu presque tout son sang. Il va
mourir. Pour le sauver, on prend, à un homme de bonne volonté qu'on
appelle « le donneur s, du sang, on le transfuse au malade. Le sang étranger ranime ce dernier. Il est sauvé.
Cette transfusion se fait sans danger pour le donneur si la prise est faite lentement et non pas brutalement. Si le chirurgien agit brutalement, le donneur peut tomber en syncope. S'il lui tire
plus que le poids de sang normal, il tue le donneur ». Au lieu d'une victime, il en fait deux,
La transfusion du sang est l'image de l'impôt. On peut tirer à un citoyen, pour le transfuser à l'Etat. une partie de son travail.
Mais,
il ne faut pas que cette saignée soit portée à l'extrême limite. Car
alors, le donneur, le citoyen, souffre. Si le fisc, ne voulant pas
écouter les plaintes du travailleur, du contribuable, veut aller au
delà des limites extrêmes, c'est la ruine générale.
Et,
ce jour-là, qui n'est peut-être pas loin, l'Etat et les
fonctionnaires, qui ne tirent plus du contribuable les sommes
nécessaires à leur subsistance, ne peuvent plus vivre.
Tandis
qu'avec un impôt modéré et non exagéré. le contribuable. à quelque
classe qu'il appartienne. qu'il soit patron ou ouvrier, travaille sans
trop s'apercevoir des taxes.
Parce
que le Fisc est allé au delà des limites permises, le Pays s'en va
vers la Ruine. les contribuables vers la Faillitte. Ce phénomène n'est
pas nouveau.
Nos
législateurs devraient se souvenir qu'à toutes les époques où l'impôt a
été trop lourd, des crises se sont produites. Nous ne pouvons en douter
: l'écrasement des payants a été l'une des causes et non l'une des
conséquences de la crise actuelle.
Voici
cinquante ans. — L'économiste Joret, bien connu par ses travaux sur
l'Agriculture et la population de Normandie, parlant de la grande crise
de 1884. écrivait les lignes suivantes, que je vous demande la
permission de citer textuellement, tant elles se rapportent à la
situation actuelle du pays :
«
Parmi les causes du malaise général dont on se plaint, l'une des plus
graves et l'une de celles dont on parle le moins, c'est l'exagération des impôts.
Ces impôts exagérés entravent le mouvement économique du pays, ce qui
se comprend de soi, puisqu'ils augmentent outre mesure les charges de chacun.
«
Longtemps, on a fermé les yeux sur ce qu'il y avait de désastreux dans
une politique économique qui, accumulant ainsi, comme à plaisir,
dépenses sur dépenses, augmentait sans cesse les charges de la culture et de l'industrie...
«
Le Déficit, un déficit inévitable, est venu, vous le savez. Après les
sept vaches grasses, le temps des sept vaches maigres est arrivé, et
plaise à Dieu, que ce temps ne soit pas trop long... On a dépensé sans
regarder... Au lieu de restreindre le rôle de l'Etat aux fonctions qui
lui sont propres, on l'a indéfiniment étendu... De là, un accroissement
considérable des services publics.,, véritable socialisme d'Etat auquel
se sont laissées «
(A suivre)
Extraits de l'article de Jean Choleau paru en 1937.
J. Lohou (août 2017)
| | |