Les réflexions de M° BILGER sur les évènements de la semaine
Pour
moi - je ne sombre pas avec cette lucidité dans un masochisme malsain -
le héros est d'abord, fondamentalement, ce que je ne suis pas, ce que
je ne pourrai pas être, ce que je ne saurai devenir. J'entends bien
qu'on cherche autant que possible à rapprocher le courage et la
générosité inouïs de Trèbes de notre humaine condition en répétant
qu'Arnaud Beltrame nous a donné une leçon, nous a enseigné quelles
étaient les vraies valeurs et qu'au fond nous étions dans le même monde
que lui.
Je
ne le crois pas une seconde. La leçon que sa mort sacrificielle nous
communique, nous serons toujours incapables, à mon sens, de l'apprendre
parce qu'il a été lui et que nous sommes nous. Qu'on se hausse pour
s'exalter et rêver de cet idéal en l'imaginant atteignable, pourquoi
pas ? mais il ne faut pas être dupe. La gloire du héros est
indissociable de notre intime modestie, de la perception de nos
limites. Ce qui ne nous interdit pas, bien au contraire, d'admirer
profondément cette humanité miraculeuse. Elle nous honore précisément
parce qu'elle nous serait inaccessible, parce qu'elle nous manque.
La
problématique historique la plus éclairante à ce sujet est la multitude
des citoyens qui, aujourd'hui, sans l'ombre d'une hésitation, sont
persuadés qu'ils auraient été de magnifiques et authentiques résistants
au nazisme.
Quand
la mère d'Arnaud Beltrame tire de cette terrifiante épreuve la force de
remercier pour cette union nationale et a l'allure de transmettre pour
unique conseil "d'aimer la vie", je relève que la famille a eu le héros
qu'elle méritait et que ce dernier a eu la famille qu'il devait avoir.
Un massacre, un crime.
L'assassinat
de Mireille Knoll, victime âgée de 85 ans, de confession juive,
réchappée des camps, ayant survécu à une horreur unique pour mourir
dans une horreur quotidienne, est d'abord, surtout une monstruosité
humaine.
La
motivation antisémite, si elle est confirmée à l'issue de l'instruction
- mais contradiction sur ce point entre les mis en cause (Le Parisien)
- après avoir été retenue de suite par le Parquet (pour compenser la
lenteur du processus dans l'affaire Sarah Halimi ?) - ajouterait au
mobile lucratif une haine intégriste et un concentré des éternelles
insinuations sur les juifs qui auraient forcément de l'argent et du
pouvoir. Mais ce ressort ne saurait faire oublier la nudité et la
gravité intrinsèques du crime sur lequel nous avons finalement peu de
détails. Je ne serais ni heureux si l'inspiration antisémite était
validée ni désolé si elle ne l'était pas. La monstruosité criminelle,
humaine, se suffit dans tous les cas à elle-même.
M° BILGER