Callac-de-Bretagne

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Quelques défauts des Bretons…

                                   « Où l’on parle de beurre, de cidre et également d’éloges aux bretons »




 

«  Arrivons au beurre. Il existe dans le Finistère, le Mor bihan et les Côtes-du-Nord, un usage qui consiste en ceci :
Plusieurs fois par an des personnes sûres parcourent les fermes, ramassent les œufs, le beurre et le blé qu'on veut offrir au curé ou au vicaire, et portent à ces derniers le produit de leur quête. C'est épouvantable, n'est-ce pas? Eh bien ! Ce n'est rien !
Ce qui met le comble à l'indignation de certaines 'gens, c'est que les prêtres font vendre toutes ces denrées aux enchères. Et après ?..: après? Mais c'est tout !... Et là-dessus, les épithètes s'accumulent, les anathèmes s'entassent, les qualificatifs galopent les uns après les, autres, les adjectifs malsonnants et grossiers se superposent ; dans une chevauchée superbe on voit défiler des mots comme ceux-ci : « Dîme, corvée, ancien régime, rapines, exactions, mendicité, appât du gain, etc... »


Remettons les choses au point. Nos paysans aiment beaucoup leurs prêtres ; ils voient en eux des pères, des soutiens, des consolateurs, des amis. Or ils veulent leur témoigner leur reconnaissance, et de même qu'ils portent à la chapelle de la Vierge la première gerbe de leur récolte, de même ils offrent au ministre de Dieu le produit de leurs biens, les fruits de leurs travaux. C'est leur droit, je suppose ; et quelle différence y a-t-il, s'il vous plaît, entre un laboureur qui offre à son pasteur une pièce de deux francs, ou un autre qui lui donne deux douzaines d'œufs ? Les Bretons veulent que leurs cadeaux revêtent cette forme. Pourquoi ? Cela ne nous regarde pas et ne regarde personne ils le veulent, et cela suffit.

 Eh bien ! Que voulez-vous que M. le recteur fasse de tous ces dons ?
-Vous ne pouvez tout de même pas le condamner à manger des omelettes pendant plusieurs mois pour écouler 40 ou 50 douzaines d'œufs : il me semble que dans ce cas-là les dernières ne vaudraient pas les premières ! Vous ne pouvez pas le forcer non plus, je suppose, d'ordonner à sa servante de dépenser en trois semaines 60 ou 80 mottes de beurre; nous qui avons tant de peine à. enseigner l'économie à nos cuisinières ... Il n'a qu'une chose à faire, c'est ce qu'il fait : il les vend. C'est la solution la plus simple, la plus pratique, la seule rationnelle.

Personne ne s'en plaint ; tout le monde est content, celui qui reçoit autant que ceux qui donnent.
Personne ne se plaint ... Je me trompe ! Il y a des gens qui poussent à ce sujet des cris stridents et qui se voilent la face avec toute la pudeur d'un pharisaïsme effarouché. Si leurs scrupules étaient sérieux, on pourrait leur répondre en invoquant l'histoire. On pourrait leur dire que depuis les autels gaulois, où la chair des victimes appartenait aux druides, dans tous les temps et dans toutes les religions, c'est toujours la piété des fidèles qui a nourri les prêtres. On pourrait leur affirmer que si pur, si vivifiant et si salubre que soit l'air en Bretagne, il ne saurait suffire à lui tout seul à faire vivre le clergé breton et que selon la parole de saint Paul : « Le prêtre vit de l'autel.»

 Mais ne vaut-il pas mieux leur dire tout simplement avec une brusque mais loyale franchise : «  De quoi vous mêlez-vous ? De quel droit venez-vous vous immiscer dans des choses qui ne vous regardent pas, et quelles raisons pouvez-vous apporter pour blâmer un usage consacré par tant de siècles d'existence ? » On daigne cependant remarquer que, malgré notre avarice sordide,  la bourse des bretons n'est jamais fermée aux mendiants et aux quêteurs.  Cela ressemble bien à un compliment, ou je ne m'y connais pas. A. moins toutefois que l'aumône, qui est une vertu pour toutes les autres nations, soit un défaut pour nous !... Ce serait encore bien possible ...

La pauvre Bretagne., après toutes ces attaques, est bien malade, vous n'en doutez pas ; il lui faut le coup de grâce, le
Voici : « Panera et circenses », clamait le Romain de la décadence. La goutte  réclame le breton ; peu lui importe le reste, pourvu qu'on ne le dérange pas dans ses habitudes de malpropreté et ses traditions de fétichiste.

Il est bien évident que par amour de la Bretagne vous n'attendez pas de moi que je vienne ici approuver, défendre et
conseiller l'ivrognerie. Renan a écrit : « La race bretonne veut l'infini, elle en a soif, elle le poursuit à tout prix. Le défaut essentiel des peuples bretons : le penchant à l'ivresse, tient à cet invincible besoin d'illusion.  » Eh bien ! Je serai plus sévère que Renan ; je ne chercherai pas d'excuse à ce défaut, qui n'en a pas ; à ce vice, aussi funeste au point de vue physique qu'au point de vue moral ; à cette habitude dégradante et avilissante, qui est la source de tous les crimes. Je dis, et je dis bien haut, qu'il faut combattre l'ivrognerie par tous les moyens possibles ; mais j'ajoute qu'il est injuste de prétendre que les Bretons s'enivrent plus que les autres, mettons autant que les autres.
L'ivresse est la mère de tous les crimes, soit; mais, est-ce que par hasard ce ne serait qu'en Bretagne qu'on pourrait se
convaincre de cette vérité ? Est-ce que notre pays aurait cette triste et peu enviable spécialité ? Est-ce que tous les tribunaux de France n'en font pas chaque jour la lamentable expérience ?

Un journal  vient de me tomber sous la main, je l'ouvre et j'y lis l'entrefilet suivant : « Les jurés de la Seine-Inférieure réunis pour la troisième session, avant de se séparer : Vu les nombreux cas jugés ressortant surtout des excès alcooliques si répandus dans la région normande ; émettent le vœu que les pouvoirs publics étudient d'une façon très sérieuse les moyens de réprimer ces excès et appellent d'une façon toute particulière l'attention des représentants du corps législatif sur les moyens de nature à enrayer ce vice dégradant. » En résumé, l'ivresse sévit en Bretagne malheureusement comme partout ailleurs, et c'est bien le cas de redire ici : « Que ceux qui sont sans péché nous jettent la première pierre. » En tout cas ce ne seront pas nos bons voisins les Normands, car, ne leur en déplaise, ils n'ont rien à nous envier, et si je leur dis  que sous ce rapport ils sont tout à fait dignes d'êtres bretons,
ils n'en seront peut-être pas très flattés, mais tant pis ! Le jour de l'inauguration du chemin de fer de Brest à Rennes,
on remarqua aux environs de Plouaret des paysans agenouillés sur le bord du chemin. Parmi les invités, se trouvait dans le premier train un reporter, qui envoya le soir à son journal de Paris un long article sur « la bêtise de ces sauvages. Qui n'avaient trouvé d'autre moyen de manifester leur stupéfaction que de se mettre à genoux devant la locomotive.  Or la vérité était que, peu sensibles aux progrès de la civilisation, les Bretons des Côtes- du-Nord récitaient une prière au pied d'une croix de granit, que le rédacteur du journal n'avait pas vue ou qu'il avait fait semblant de ne pas voir. Et voilà comment on écrit l'histoire !
Il en est ainsi de tous ces gens qui viennent visiter notre province, par exemple à l'occasion d'un voyage de noces, et
qui l'étudient avec un esprit de parti pris et de mauvaise foi. Ils voient quelques paysans entourer leurs saints d'un culte simple, naïf, où se lisent quelques vestiges de superstitions anciennes et païennes ; donc tous les Bretons sont des fétichistes, des païens et des sorciers. Ils voient les prêtres vendre les denrées qu'on leur offre ; donc le seul dieu du clergé- breton, c'est l'argent. Ils voient quelques gens tituber après avoir trop cultivé la dive bouteille : donc tous les Bretons; sans exception, sont ivres du matin jusqu'au soir.
Certes, nous avons nos défauts, mais nous avons nos qualités aussi, et de ces qualités là nous avons le droit d'être fiers, parce qu'elles ont fait et font encore l'admiration de tous ceux qui ont étudié ]a Bretagne avec un esprit franc et sincère.

D'où vient, s'écrie un auteur contemporain, qu'un si petit peuple s'est fait une si grande renommée ? C'est que cette terre  de la foi attire le cœur ; c'est que l'homme, dont la vie se compose de tant de regrets, à la vue de ses sites mélancoliques, oublie les vanités de la terre pour se souvenir ; c'est pie le breton n'est pas banal avec sa foi jeune et ses mœurs antiques, sa simplicité et sa constance. Il est de son temps, et cependant il rappelle les générations éteintes ; enfin la Bretagne n'est-elle pas située au bord d'une mer immense et souvent voilée, comme sur les rives de l'infini où nous aspirons tous. »
Et que nous importe après tout si quelques étrangers se plaisent à exagérer, à amplifier et à augmenter nos défauts ?
Il y en a assez d'autres qui ont épuisé et qui épuisent chaque jour toutes les couleurs de leur palette, toute la richesse de leur prose, toute la poésie de leurs vers à exalter nos beautés et à vanter les traits caractéristiques de notre race celtique, qui sont : la fermeté des opinions, qu'on nomme l'entêtement breton, l'enthousiasme, la foi, avec une nuance de mysticisme, l'amour du beau, et par conséquent des arts, le culte de l'honneur, » Ce qu'il faut à une mère, c'est l'amour. Qu'importe si l'on jette un peu de boue à la robe de l'Armorique, qui est vraiment notre mère à nous, si nous avons dans nos cœurs assez d'amour pour la chérir et dans nos âmes assez de courage pour la défendre ?
Et que nous font les brochures et les articles des journaux, si nous pouvons nous écrier avec l'un de ses fils :

Comme le dit une de nos gwerz « Nous sommes toujours la terre sacrée des marins, des bardes et des prêtres » c'est-à-dire de tous ceux qui savent chanter, qui savent prier et qui savent mourir. Si nous mettons en pratique ce conseil d'un de nos poètes :

« Fils d'ancêtres bretons, pieux, braves, rêveurs,'
« Sachez rêver, sachez aimer et sachez croire  »

Nous n'aurons rien à craindre du temps et nous serons dans l'avenir ce' que nous avons été dans le passé. Car notre passé, Mesdames et Messieurs, avouez qu'on peut en parler et que pour un peuple de sorciers, de fétichistes, d'abrutis et d'alcooliques », ce n'est vraiment pas trop mal de pouvoir citer des guerriers comme Du Guesclin, Richmond, La Tour d'Auvergne, Lamoricière et Bedeau, des marins comme Surcouf, Duguay- Trouin, Jacques Cartier ; des magistrats comme d'Argentré, la Chalotais, Lanjuinais ; des littérateurs et des savants comme Chateaubriand, Lamennais, Paul Féval, du Châtellier, de Kerdrel ; des historiens comme Albert le Grand, Dom Lobineau,
Dom Morice, de la Borderie ; des poètes comme Brizeux, Turquety, du Clésieux ; des héros comme... Non je n'en nommerai aucun, car il y en aurait de trop !

Bretagne ô mon beau ô mon cher pays garde tes vieilles légendes si pleines de poésie ; garde surtout ta foi si pleine de
grandeur ; continue à aimer tes prêtres, à vénérer tes saints, et, dans ta dignité fière, méprise ces misérables attaques qui partent de trop bas pour qu'elles puissent t'atteindre. Il est bon du reste qu'on t'insulte, quand ce ne serait que pour mettre mieux en relief ton charme et ta beauté ! Il est bon qu'on t'outrage, quand ce ne serait que pour procurer à ceux qui t'admirent et te vénèrent, le très noble honneur et la très grande joie de te défendre et de te venger. »

A. MILLON, Prêtre.-« La Bretagne Chrétienne », page 153/167.



Sources.
Bulletin archéologique de l’Association Bretonne-42ème Congrès de l’Association Bretonne
tenue à Lannion du 2 au 7 septembre 1901.


 


 

                

  

 

 
                                             
Joseph Lohou (avril 2012)
                                                          

 

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