Callac-de-Bretagne


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Le testament de Pierre Le Bastard    

Un exemple de relations rurales complexes

Notaire au chevet du mourant(* voir notes)

  On considère les actes notariés comme une source importante de l'histoire des mentalités, en particulier de l'histoire religieuse.

C'est la raison pour laquelle nous avons voulu faire paraître ce texte du XVIIe siècle(*), relativement rare dans le milieu paysan, petit chef-d'œuvre de concision, propre à l'étude des comportements d'une société rurale en pleine Bretagne intérieure.

Le testament se comporte comme un acte religieux de prime abord, mais il est aussi un acte civil, nous renseignant sur le droit, la stratégie familiale et la vie sociale. C'est l'acte le plus solennel de la vie privée, le dernier de tous, celui qui exige le plus de soin et d'attention. Faire son testament est une obligation pour tous, quelle que soit sa fortune, même les pauvres sont tenus à cet acte social et religieux qui doit les mettre en règle avec leur prochain et espèrent-ils, avec leur juge suprême. L'adulte qui s'y refuse n'est pas inhumé en terre bénie.

C'est aussi «arranger ses affaires et avant tout une ultime tentative de s'assurer une vie éternelle confortable. » La personnalité du notaire, rédacteur de l'acte, serait intéressante de connaître car il ne peut qu'influencer le testateur. Il est, médiateur du droit et de l'écrit, d'autant plus puissant qu'il agit dans un contexte breton de faible alphabétisation. Il reçoit donc, entre d'autres actes, le testament celui-ci appelé testament nuncupatif ou notarial, c'est-à-dire dicté au tabellion par le testateur par opposition au testament olographe écrit par le testateur.

Abordons la présentation de ce personnage central de l'intrigue, objet du présent testament Pierre Le Bastard naît vers 1590/1600 à Restellou-Bras près de Callac. De son père Jean, nous ne savons pas grand chose mais ses frères Alain, mon aïeul et François, prêtre de la trêve de Botmel, ont laissé quelques traces. Il appartient à une famille de paysans aisés, possédant et payant charges et impôts, prêtant au sieur du lieu et à ses pairs, tuteur de ses neveux et nièces, enfants d'Alain et Marie Thlénaul, mes aïeux. Il meurt en 1665, sans postérité, au village de Kerlias à 700 mètres de son village natal, Restellou.

Le testament débute par la formule religieuse usuelle «ln Nomme Domini, Benedictum... » Au Nom du Seigneur, bénis... Ces invocations sont avant tout le fait du rédacteur de l'acte, il ne fait qu'utiliser les mots et les phrases coutumières(*).

Pierre est «gisant au lit, malade de corps et néanmoins sain d'esprit», ce qui signifie qu'il se trouve déjà dans l'antichambre de la mort. Cette mort, dont parle non sans emphase, le Père Antoine Yvan, un célèbre prédicateur du 17ème siècle(*)

«Il n y a point de préservatifs, ni de provisions, ni de munitions contre la mort, Elle a des ailes qui la portent partout et une faux qui tranche tout. Elle est aveugle et n 'a point d'égard à l'âge, condition, qualité, et état des personnes. Elle est sans oreilles, elle n'écoute ni les prières, ni les plaintes d'aucun pour avancer et reculer»(*)

  «ln Nomme Domini, Benedictum»

  Ce jour cinquième juillet après midi mil six cens soixante cinq, Honorable Personne Pierre Le Bastard, gisant au lit, malade de corps et néanmoins sain d'esprit et de jugement, considérant la mort être certaine et l'heure d'icelle incertaine, à souhaiter faire son testament et ordonnances des dernières volontés; ce qui a été rédigé et rapporté par écrit par le sous signant, notaire de la Juridiction de Callac de sa part mandé à cette fin en sa demeure au village de Kerlias.

  En premier

A commencé par adorable et vénérable signe de la Sainte Croix, priant le Tout Puissant de faire miséricorde à son âme et la très heureuse Vierge Marie et toute sa céleste Cour de Paradis de l'assister et recevoir son âme et la colloquer au Royaume des Cieux. Il souhaite en cas de décès de la présente maladie, son corps être exhumé dans l'église tréviale de Botmel en l'une des tombes de ses prédécesseurs et que pour le repos de son âme on fasse une octave en la dite Eglise en la dernière accoutume et que par ce, on paye la somme de douze livres aux prêtres qui y assisteront.

         De plus, ordonne aussi de faire une trentaine(*), en la dite église pour la délivrance et repos de son âme et ordonne être payé pour ce, vingt quatre livres aux sieurs prêtres qui y assisteront. Aux sieurs prêtres servants et diacres de la dite église de Botmel, ordonne être payé à chacun d'eux la somme de soixante sols...

         Ordonne être payé à jamais et à perpétuité par forme de fondation la somme de soixante sols annuellement à chaque jour et fête de M. St Pierre à commencer au prochain terme après son décès aux fabriques qui seront mises en charge l'un après l'autre en la dite église à la charge à iceux de faire célébrer un service annuel et à chaque jour de la fête de M St Pierre selon la solennité accoutumée, de laquelle somme sera payée aux sieurs prêtres qui assisteront audit service la somme de quarante sols, le surplus qu'est vingt sols demeurera à la dite fabrique.

Lègue aux trois confrères de la dite église, savoir au Sacrement du Rosaire à Ste Anne, la somme de trente sols une fois payée. Aux quatre chapelles étant en la dite trêve, savoir: à St Pierre, St Nicolas, Ste Catherine et Ste Barbe la somme de trente sols à chacune aussi une fois payées; à St Servais, dix sols une fois payées; à St Fiacre, dix sols; à St Michel, cinq sols.

         Disposant de ses affaires siennes, déclare avoir prêté au Sieur de Kerlossouarn Douallan la somme de trente et six livres tournois  en deniers, il y a environ huit ans, qu'il n'a depuis reçu ni rien à y valoir.

         Déclare que Vincent Lozac 'h du Crenvé au dit Botmel, lui doit six livres pour prêt à terme échu depuis la foire de la Mi-Carême. Yves Le Milbeau pareillement, doit six livres aussi à terme échu depuis longtemps déjà. Plus, déclare que Isabeau Cottonec lui  doit, outre l'acte obligatoire qu'il a vers elle la somme de cinquante cinq sols, savoir quarante et cinq sols pour vente et livraison de certain nombre d'avoine et blé noir, puis l'année de la charrette en dix sols pour prêt. Déclare que l'auge de pierre grise étant dans l'issue et la cour de Restellou-B ras, appartient aux mineurs de feu Alain Le Bastard, son frère, pour lequel il est en charge, comme aussi une presse(*) de bois de chêne et de fouteau(*), à trois armoires et deux tirettes étant dans sa demeure audit Kerlias, au devant de son lit et un petit coffre de bois de fouteau en la dite maison, icelui coffre appartenant privativement à la fille aînée des dits mineurs.

           Plus déclare avoir aussi touché des biens des dits mineurs huit ruches à mouches à miel qui pouvoient valoir chacun et l'un portant l'autre, cinquante sols cy...Dit être contraint de payer par an pour son afférant de sa rente feugère(*) due au seigneur de Callac dessus le convenant de Restellou-Bras la somme de cinquante sols qui se paye en deux termes et pour le convenant Thlénaut audit Kerlias, la somme de trente deux sols six deniers par demi-année aussi pour son afférant de la même Seigneurie. Lesquels et ordonnances le dit testateur ordonne être fait et observé de point en point, d 'heure à autre après son décès, obligeant et hypothéquant tous et chacun ses biens meubles et immeubles exploitables comme pour deniers royaux en gage pour juges de cour.

Et pour exécution testamentaire de son dit testament a nommé Vénérable et Discret Messire François Le Bastard, son frère, lequel présent, accepte la dite charge aux promesses de l'en acquitter et ne sachant le dit testateur signer, a prié de faire pour lui Maître François Le Gac sur le présent.

Le tout fait et rapporté par nous dit notaires soussignants audit Kerlias, en la présence dudit Sieur prêtre qui signe, de François Kerhervé, Henry Guillaume, Marie Thlénault et autres qui ne signent. S'y déclare outre le dit testateur devoir à Vincent Le Bastard la somme de douze livres pour des loyers de l'avoir demi en soixante sols pour le payement de sa forme verbale d'entre eux touchant Parc-an-hervez-Hir et à Jan Le Goff et son gendre, deux journées de scieurs chacun.

  Fait le dit jour et lieu et an que devant ainsi signé:

  F. Le Bastard, prêtre F. Guillaume, notaire G. Hamon, notaire registrateurs de cette.

 

 

Il est déclaré sain d'esprit, jugement et entendement, conditions nécessaires à la validation de l'acte. La maladie ne lui offre guère de chance de survie, à une époque où les conditions d'hygiène et les médecines employées étaient impuissantes à combattre l'issue fatale. C'est donc dans la pensée immédiate de la mort que le questionneur organise l'expression des dernières volontés.

Et voici d'abord la profession de foi, une profession qui ne varie guère «A commencé par adorable et vénérable signe de la croix». Dieu est toujours tout puissant et la Vierge Marie toujours très heureuse. Il supplie Dieu et la Vierge Marie de l'assister dans ses derniers moments.

On passe ensuite au lieu de sépulture, elle existe dans la plupart des testaments. Pierre veut être enterré dans l'église tréviale de Botmel, là où gisent depuis des lustres les corps de ses ancêtres. Dans l'église et non dans le cimetière qui entoure l'église, ce qui prouve sa renommée et son rang dans cette société rurale. De cette pratique d'inhumation, dont le début remonte au Moyen Age, époque où les tombes se blottirent contre les églises et chapelles ou les remplirent, on prit l'habitude d'enterrer les morts dans l'église et dans la cour attenante.

Comme le dit si bien Philippe Ariès(*)

«Le droit : il est interdit d'enterrer dans l'église. La pratique l'église est un cimetière. »

Il fallut attendre le début du XVIIIe siècle pour que l'inhumation dans les églises soit mise en accusation car elle est à la fois contraire à la salubrité publique et à la dignité du culte. Cette présence des morts au milieu des vivants va déterminer ce qu'on a appelé «l'exil des morts». En 1776, le dix mars, un édit royal interdit désormais en France la sépulture dans les églises, suscitant localement de nombreuses résistances. Puis, vient la fonction elle-même : «ordonne être payé à jamais et à perpétuité par forme de fondation la somme de soixante sols annuellement...». Ces dons aux paroisses ou monastères servaient la justice sociale.

  L'Église est en effet seule, avec quelques seigneurs, à organiser des secours aux miséreux, aux malades, aux orphelins. Souvent la proximité de la mort conduit les épargnants les plus avares à se dépouiller de leur patrimoine dans des proportions surprenantes au profit de religieux ou parfois de pauvres. C'est une manière à la fois de racheter une gestion cupide et de faire, pour l'autre monde, l'ultime placement. Ces fondations seront sujettes à litige par les héritiers successifs et occasionneront maints procès entre ceux-ci et les généraux de paroisse, jusqu'à l'abolition de ces droits par la création des communes en 1789.

Nous nous rendons compte de l'aisance dans laquelle se trouvait Pierre Le Bastard à la fin de sa vie en faisant l'énumération des dons, legs et créances. La fondation, les messes et legs se montent à 36 livres 15 sols et ses créances à environ 56 livres 15 sols. La comparaison peut-être faite avec la rente feugère ou fouage, ancien impôt ducal qui était la contribution directe levée par feu sur les terres roturières: celles-ci se montaient annuellement à 4 livres 2 sols 6 deniers pour les deux endroits, Restellou-Bras et le convenant Thélau à Kerlias. Nous sommes dans le pays du domaine congéable(*), où ce régime domanial présentait de grands avantages puisqu'il assurait le maintien sur la même terre, de génération en génération, de familles de domaniers semi-propriétaires. Il était en effet fondé sur le partage de la propriété en deux. le seigneur disposant du fonds et le domanier des édifices et superficies En réalité ce système, loin de reposer sur des principes égalitaires, mettait le domanier dans la dépendance du seigneur foncier qui exerçait le droit de justice et se trouvait, de ce fait, juge et partie en cas de conflit. Mais le seigneur, en pays de domaine congéable, était, le plus souvent, à peine un peu plus riche ou un peu moins pauvre que ses paysans.

Depuis 1572, la seigneurie de Callac(*) était sous l'autorité de l'abbé commendataire de l'abbaye de saintes Croix de Quimperlé. Son représentant officiel à Callac était le sénéchal Jean Pichot, avocat au parlement et sieur de Trémais, assisté de Maître René Le Joliff, procureur fiscal de la Juridiction.

En regardant de plus près ce document, un lecteur attentif s'apercevait qu'il manque un élément essentiel dans ce testament. En effet, Pierre Le Bastard ne transmet d'héritage, ni à son frère François, le prêtre, ni à ses neveux, enfants d'Henry Le Bastard et de Marie Thlénault. Ce qui nous amène à nous interroger, non sur l'authenticité du testament, mais sur les finalités des omissions du texte recopié. La fabrique exerçait à cette époque un contrôle très strict sur le règlement des fondations. Nous resterons sur notre faim Quant aux raisons profondes de cet état de fait, ce qui ne nous empêche pas de goûter ce texte qui n'est cité qu'en raison de sa rareté, propre au milieu rural.

                                                                                                                                                                                                                            J. LOHOU

NOTES(*).

  •  -Hans Gruber -Gravure sur bois du XVlème siècle.

  • -Archives départementales des Côtes d'Armor -Fabrique de Botmel-Callac -20G (2 cartons non inventoriés.)

  •  -Alain Yves Lemaître Les testaments bretons -Les Actes Notariés 1978 -p. 279.

  •  -Michel Voyelle Mourir autrefois, Edit. Gallimard -Folio Histoire p. 65.

  • -Philippe Ariès L'homme devant la mort. L'univers historique -Edit. du seuil, 1977, p. 52.

  • –Trentaine: office le trentième jour après l'inhumation.

  •  -Revue du Pays d'Argoat, N°22-0ct. 1994 La Seigneurie de Callac.

  • - Léon Dubreuil Les vicissitudes du domaine congéable en Basse-Bretagne. Oberthur, 1915.

  •  -Revue du Pays d'Argoat, N°22-0ct. 1994 La Seigneurie de Callac.

  • –Trentaine: office le trentième jour après l'inhumation.

  •  -Ecu: monnaie d'argent valant 3 livres.

  •  -Fouto, foutteau du latin, fagus, hêtre.

  •  -Feugère, fouage : Droit imposé à chaque feu pour les biens roturiers.
  • -Presse, ancien nom d' armoire

Cet article est paru dans le bulletin de liaison n° 27 "Généalogie22" du Centre Généalogique des Côtes d'Armor.

 

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