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Callac-de-Bretagne |
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Yves Marie Le BON

"Deux armées aux prises, c'est une grande armée qui se suicide."
Henri Barbusse(1916)[*]
Le
Callacois Yves Marie Le Bon [1] a laissé un très fort témoignage d'«
Impressions et de souvenirs » de sa guerre entre 1915 et 1917.
Introduction.
Yves
Le BON naît à Callac le 20 novembre 1896 dans une famille de couvreurs
callacois, son père Yves Marie et sa mère Marie Isabelle Cadic
s’étaient mariés l’année précédente en juin 1895 et demeuraient rue du
Costang, rue qui deviendra plus tard la rue Traversière, reliant le
chemin de Botmel à la rue de la Gare. Contrairement aux autres frères
Le Bon ayant une importante descendance, le couple n’aura d’autre
enfant qu’Yves. Celui-ci se fera remarquer par le directeur de l’école
de garçons de Callac, Albert Le Moal, qui, voyant ses aptitudes aux
études, lui fera suivre un cursus scolaire spécial. A l’âge de 15
ans, il se présente à l’étude notariale de la rue de l’Église, tenue
par M° François Marie Le Bozec[2], où il fait office de garçon de
course, puis de clerc de notaire et en fin des années 30, de clerc
principal de l’étude de M° François Marie Le Bozec.
Un groupe de Callacois, dontYves Marie sur le permier rang, avant-dernier à partir de la gauche.
Peu avant 1911, Yves a la douleur de perdre son cher père Yves Marie,
décédé à l’âge de 44 ans ; il reste seul avec sa mère Marie Isabelle
Cadic toujours dans la rue du Costang, où il est mentionné au
recensement de 1911. Nous le trouvons en 1912 et 13, comme adhérent à
la société "La Callacoise"[3] comme jeune sportif et fidèle aux séances
de tir.
Sa carrière militaire.
Né en
1896, Yves Marie appartient à la classe 1906 dans laquelle il porte le
n° 756 au recrutement ; son signalement est décrit ainsi, cheveux
noirs, ses yeux marrons, ayant un front large et un nez rectiligne, il
est relativement grand puisqu’il atteint la taille de 1, 70m. Son degré
d’instruction est de 3, ce qui signifie qu’il possède un cursus
scolaire au-dessus de la normale.
Au
conseil de
révision de 1915 à Callac à l’âge de 19 ans, il est classé au n°1.
Incorporé à compter du 11 avril 1915, il est affecté au 54ème Régiment
d’infanterie comme soldat de 2ème classe, puis aux armées 1er décembre
1915. Passé au 324ème RI le 27 juillet 1916 et évacué pour blessures le
10 jullet 1915 ( Main gauche cicatrisée à la face dorsale du poignet).
Rentre au dépôt le 12 avril 1918 et passe aux Armées le 12 décembre
1918. Il est incorporé au 95ème RI le 15 janvier 1919.
Yves Marie est nommé sergent dans la Réserve à compter du 5 novemebre 1930 avec une pension permanente de 10%.
Il reste, à partir de cette époque, sujet à de nombreuses
affections : vessie, foie et vésicule qui se reporteront sur son moral.
Son mariage.
En 1934, à Callac, le 12 mai, Yves Marie
épouse Suzanne Yvonne Marie Carboulec, fille de Yves
Carboulec, marin de Pléhédel et de Marie Anne Cavorzin ; le
couple s'installe dans la rue de Tréguier en 1935. A notre
connaissance, ils resteront sans enfants, et au décès d'Yves Marie en
novembre 1949, son épouse, n'ayant aucune attache à Callac, part à
Paris dans le 17ème arrondissement, où elle décède le 22 novembre 1983
au 26, rue Poncelet.
Article du journal "OUEST-FRANCE" du 29 juillet 2014.
Premier volet d'une série de cinq parutions consacré au témoignage d'un poilu de Callac.
Témoignage :
"Le
3 décembre 1915, dans des wagons à bestiaux, le Callacois rejoint le
front avec 1 800 autres jeunes hommes. On le versa à la 21e compagnie
du 324e régiment d'infanterie jusqu'au premier combat des Boches, en
juillet 1916, dans la Somme. « Le général Ferradini[4], nous dit ce que
l'on attendait de nous et l'honneur qui nous était fait... L'honneur de
mourir, sans doute voulait-il dire... Mourir à 19 ans, nous trouvions
que ce n'était pas un honneur. »
De
décembre 1916 à février 1917, devant Chaulnes[5], dans la Somme. « C'est
là que j'ai connu les plus grandes misères de la guerre, je ne dis pas
les plus grandes horreurs, ni les plus meurtrières, mais celles où vous
supportez tant de souffrances physiques et morales que souvent, vous
souhaitez de tout votre cœur, mourir, pour en avoir fini » confie-t-il.
Descriptions
: « Vers la fin décembre 1916, nous nous engageâmes dans le boyau
serpentin, en plein village de Vermand-Villiers... Il ne restait pas
une pierre débout, et dans ce boyau, nous faisions 1 500 mètres dans la
boue liquide jusqu'au ventre, pour rejoindre les premières lignes dans
le bois Kratz, où les lignes boches n'étaient pas à 25 mètres des
nôtres. Des pluies continuelles avaient transformé le secteur en un
vaste marécage, où tout déplacement était un véritable martyr...
Plusieurs furent noyés dans les trous d'obus... Notre fatigue était
inimaginable. On se traînait comme des loques. Et toute cette boue qui
nous engloutissait, nous submergeait, nous prenait tous. Il n'y avait
pas d'abris, ou très peu, et nous passions des nuits entières debout
dans les tranchées. Nos effets étaient des paquets de boue des pieds à
la tête. Tout geste nécessitait un effort inouï. Nous aurions voulu
mourir. Cela dura 10 jours.
Entre
décembre 1916 à février 1917, devant Chaulnes, dans la Somme, Yves Le
Bon, soldat breton du 324e régiment d'infanterie, dit connaître « les
plus grandes misères de la guerre » dans la tranchée gorgée de boue. Il
poursuit « sa » guerre à Verdun[6], entre février et avril 1917.
Après
la pluie, c'est le froid qu'il affronte, en plus de l'ennemi. « Les
combats, ou plutôt l'immense bataille de Verdun, étaient calmés
passablement. C'était le moment où l'impitoyable hiver 16-17 se faisait
le plus sentir. Et l'Est est autrement froid que ma Bretagne humide.
Pendant huit semaines, une couche de glace sur un mètre de neige. Nous
coupions notre pain à la hache, ainsi que la viande. Chose à peine
croyable mais que beaucoup pourraient certifier : le vin à 10 ou 11
degrés que l'on nous envoyait gelait dans les fûts. Il fallait casser
la barrique pour distribuer les blocs de vin que nous faisions fondre
dans nos gamelles, au moyen d'alcool solidifié... En un mois, il y eut
une trentaine de pieds gelés parmi les 250 de la compagnie. Beaucoup
durent être amputés. »
Avant
d'assister de la tranchée à une victoire aérienne de Guynemer[7] sur un
avion allemand, le Callacois a connu aux Eparges, près du village
d'Haudiomont, « une des plus grandes peurs » de sa vie. Il raconte : «
Il pouvait être 11 h du soir. J'étais de garde, seul, auprès d'une
sorte d'observatoire de près de deux mètres de haut, fait de terre et
de branchages, et camouflé le mieux possible mais les boches devaient
tout de même le voir. J'avais deux heures à être là, avec la défense
absolue de quitter sous aucun prétexte. »
Mais
voilà que l'artillerie ennemie se met en tête de « démolir ce ridicule
petit édifice ». Yves Le Bon vient de prendre sa garde depuis cinq
minutes quand une batterie allemande de gros calibre commence son tir.
« Toutes les trois minutes environ, quatre obus en rafale. Cela tombait
autour de moi, à dix, vingt mètres, dans un fracas horrible. Les
cailloux et les éclats sifflaient à mes oreilles. Je m'étais couché à
plat ventre dans la tranchée et, à tout moment, les explosions me
projetaient contre les parois. Cent fois, j'eus la tentation de partir.
Après
Verdun entre février et avril 1917, le soldat Yves Le Bon se retrouve
en ligne le 10 mai 1917, « avec mission de prendre tout le massif de
Moronvilliers, à l'est de Reims. « À mon régiment, on donna le
Mont-Haut. » Le combat dura 27 jours.
L'histoire d'un assaut : « A 7 h, nos canons se taisent subitement.
C'est le moment de l'assaut, le cœur bondissant dans la poitrine, nous
sautons sur la plaine. Le sommet du mont était à 250 mètres. C'est
drôle à 20 ans d'offrir ainsi sa jeune poitrine à la mort. On bondit
dix mètres et on se couche... Ainsi, de suite. Les Boches sont
réveillés et nous criblent de balles. Des copains tombent en faisant
des « hans » rauques. En ces moments, le soldat est un fou, un
automate, un héros ou une brute. Moi, je l'avoue, j'avais le cerveau
vide. J'étais incapable de penser à quoi que ce soit. »
« Machinalement, je courais comme les autres. Je ne pensais même pas
que je pouvais mourir... Nous arrivons quand même, deux sur trois, à
dix mètres des tranchées boches, presque nivelées. Nous distinguons
parfaitement un groupe de boches qui criaient Kamerad françozes et nous
sautons sur eux. Ils lèvent tous les bras. On se demande s'il faut leur
serrer la main ou les tuer tous. On fit les deux, les vrais héros leur
serrèrent la main car après tout, ils étaient des malheureux comme
nous. »
« Les autres, s'inspirant des mœurs d'apaches en clouèrent
quelques-uns, la baïonnette dans le ventre. Moi, je ne fis rien du tout
que regarder les survivants filer vers notre arrière, heureux d'être
prisonniers. Nous fîmes 700 prisonniers... On est maintenant surpris
d'être en vie. »
Blessé
au bras (16 juillet 1917) et décoré de la Croix de guerre comme « très
bon soldat pour son abnégation et son attitude au feu pendant les
journées du 30, 31 et 1er juin 1917 », Yves Le Bon a survécu aux
tranchées marécageuses, au froid et aux assauts répétés au coeur de
l'horreur. Les dernières pages de son exceptionnel récit-témoignage
rendent hommage aux copains morts !
« Notre vie à nous est marquée. Ces souvenirs nous écrasent,
confie-t-il. Nous ne pouvons pas, nous, passer dans un de nos étroits
et profonds chemins bretons sans nous croire dans la tranchée... La
nuit quand il nous arrive d'aller à travers champ, on pense à la
relève... Quand un fumeur fait briller la flamme d'une allumette dans
la nuit, nous avons tout de suite envie de lui chuchoter « Éteins ça,
tu vas nous faire repérer. »»
Marqué à jamais par ses souvenirs de guerre, le Callacois en semble
presque incrédule. « Vous camarades de misère, vous que j'ai vu mourir
brutalement, alors que pendant des mois, nous l'avons échappé ensemble
dix fois, vingt fois où êtes-vous maintenant ? Vos os ont-ils été
regroupés et groupés sous une étiquette dans un de ces cimetières du
front où l'ordre, me dit-on, est impeccable mais où la fosse ne
renferme pas toujours le soldat dont le nom est indiqué sur la croix
qui la couvre... »
« Vous Dubois, Douillet, Dislys, rablés paysans mayennais, Toi Mahé le
Guingampais dégingandé à l'air de voyou alors que tu avais un coeur
d'or, Toi Yves Mercier, le modeste et doux petit fermier du Merzer,
toujours content de ton sort, où êtes-vous aujourd'hui ? Nous étions
huit de la classe 16 à l'escouade, nous nous arrangions bien et vous
êtes tous partis, morts à vingt ans !

Yves Le Mercier (°Le Merzer 1894-Mont-Haut 1917)
« Ce gros 105 t'avait pris en plein corps »
« Toi, grand Vanhersel, mineur de Lens, que nous n'aimions pas beaucoup
à cause de ton air qui voulait nous prendre de haut, tu n'as pas
souffert ! Ce gros 105 t'avait pris en plein corps et nous n'avons
jamais pu retrouver même un lambeau de ta chair pulvérisée.
« Toi père Duhail, décapité comme un criminel alors que tu étais le
type du brave homme. Et vous, l'austère Ponthet, resté debout au
Mont-Haut, même en étant mort... Et toi, Sergent Thomas, râleur,
grognon, mais peu écouté parce que tu n'en n'imposais pas... Toi, Jean
Bolival, le « gars Jean » comme nous t'appelions alors que tu avais 16
ans de plus que nous... Tu étais la crème des hommes avec ton air de
père tranquille et ton flegme britannique. Vous êtes tous partis,
emportant nos souvenirs, à nous, les deux ou trois survivants de
l'escouade. »
Philippe PÉRON.
"Ouest-France des 29, 30 et 31 juillet 2014, et 2 août 2014"
MÉDAILLE MILITAIRE – CALLAC
Dans
le contingent spécial des médaillés militaires créées pour récompenser
les anciens poilus déjà titulaires de plusieurs citations pour une
belle attitude au feu et dont le tableau vient de paraître au Journal
Officiel, nous relevons les noms de MM Yves Le Bon, principal clerc de
notaire et Pierre Masson, hôtelier à Callac.
Nos sincères félicitations.
Journal « Ouest-Éclair » du 2 mars 1931.
[*] Le Feu, Henri Barbusse, éd. Flammarion, 1916, chap. 1 (« La Vision ».Wikisource)
[1]LE BON, Yves
Marie, clerc de notaire chez M° François Le Bozec, candidat communiste
sur la liste présentée par M. Trémeur BURLOT en 1925.
[2] BOZEC(LE), François Marie, (1864 Plouguernével- 1940( ?) Callac).
Marié en 1897 à Rostrenen avec Francine HERPE de Moustéru(22), d’abord
huissier de justice, puis en 1900 vient de toute urgence remplacer le
notaire de Callac, Charles Marie Le Goaziou, qui se suicida en1898 ( ?) après
de mauvaises affaires, léguant, avant sa disparition tous ses biens, à
son petit-fils Maurice Hanès de la rue de Tréguier.
[3] Société "La Callacoise".
Ce
n'est donc qu'en 1919, sous la direction de M. Albert LE MOAL,
directeur de l'école laïque qui reprenait après la grande guerre
la société sportive intitulée "La Callacoise", société de tir
fondée en 1911 et transformait celle-ci en club de football.
L’inscription était faîte sous le n° 7354, le 25 septembre 1919 à
la Préfecture des Côtes-du-Nord. Le bureau était ainsi constitué :
Albert LE MOAL, président, Pierre TRÉGOAT, vice-président, secrétaire
Jean LE NOAN, trésorier, Auguste LUCIA.
Cette société qui avait pour but la pratique de tous les sports s’intéressait surtout au tir mais effectuait de nombreux déplacements dans la région.
[4] FERRADINI, Louis Michel Jean(1868-1928), général de division d'infanterie.
[5] Chaulnes, la grande bataille de la Somme en fin 1916.
[6] Bataille de Verdun, du 20 août au 18 septembre 1917.
[7] GUYNEMER, Georges Marie Ludovic Jules (1894 Paris- 1917 Poelkapelle-Belgique)
Mise en page Joseph Lohou (mai 2015)
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